" Avant que la rumeur ne s'éteigne"...
Mon oncle Marcel ...
- "Vous n'avez pas connu mon oncle Marcel ? - Il demeurait à Sauzelle, (Le village du sel ... ). On trouvait sa boutique de boucher au fond d'un canton qui donne sur la grand' rue ... Il y a un vieux puits dans ce canton, bien sûr. Sur le puits, qui ne sert plus, il y a maintenant une grande corbeille de géraniums ... Oui ... Les volets verts ... C'est ça ! Dans le mur de façade ... Peut être qu'elle y est toujours ? ... Il y avait une pierre percée ... On l'utilisait pour attacher le licou du cheval ... Regardez bien dans nos villages ... Vous verrez beaucoup de semblables pierres encore.
Mon oncle était un colosse : Il mesurait plus d'un mètre quatre vingts et pesait cent dix kilos ! Il faut l'imaginer : Il avait fait la Guerre de Quatorze dans les hussards ... On les appelait "Les Hussards à Crinière" à cause de leur casque étincelant, dont la sombre crinière retombait dans le cou ... Ah ! On pouvait dire, dans ce temps-là, que nos soldats avaient fière allure !
La tante Élise n'y avait pas résisté. Elle était fille de bourgeois, marchands de drap à Saint-Pierre ... Et elle était catholique ... L'oncle Marcel était protestant, lui, mais surtout franc-maçon ... Il paraît qu'il y avait parfois de beaux débats dans la famille, mais ceci est assez banal ...
La tante Élise ayant aperçu l'oncle Marcel sur le champ de foire sans doute, un jour où il était venu en permission, en tomba tout éblouie. On m'a raconté avec un accent de vérité tout à fait convainquant qu'elle était passée par la fenêtre de sa chambre pour rejoindre son beau hussard à la nuit tombée. On a même ajouté, avec un accent tout aussi véridique, qu'elle s'était laissée descendre du premier étage le long d'un drap qu'elle avait tordu ... Bon ! Je le crois, car j'ai eu ouï-dire de certaines autres aventures du même genre ... Nous en reparlerons peut-être ...
Elle avait bien su où le retrouver ! - On était samedi ... Il y avait donc bal au café du village, et toute la jeunesse y était : Chacun avec sa paire de sabots de bois, et ça y allait ! On galochait ... J'aime autant vous dire que cela s'entendait de loin !
Bon ... Mon oncle Marcel était boucher ... Éleveur et boucher. Je ne sais pas s'il existait des abattoirs, à l'époque, mais je peux vous dire que s'il y en avait , les animaux n'y passaient pas tous. Plusieurs fois, l'oncle m'emmena dans la cour où il abattait. Dès que l'animal était mort, ( Et cela allait très vite ... ) mon oncle pratiquait une incision dans la peau, au revers de la cuisse ... Il y glissait l'extrémité du raccord de la pompe ... Vous savez ... Ces pompes d'autrefois, pour gonfler les pneus des automobiles ... On tenait le corps de pompe vertical en plaçant les deux pieds sur les étriers, on saisissait la poignée de bois à deux mains ... On gonflait.
Il n'y avait pas beaucoup d'automobiles dans l'île, en ce temps-là ... L'oncle Marcel n'avait pas d'automobile ... Mais il avait une pompe.
Je gonflais le veau ! On entendait de petits déchirements tandis que la peau de l'animal se détachait de ses ligaments ... Lorsque l'animal avait pris des allures de montgolfière, l'oncle Marcel tapait sur la peau à grands coups de poing ... Je n'aurais pas voulu recevoir une caresse de ces énormes " paluches" .... J'aime autant vous le dire ...
Mon rôle, à moi, était terminé, mais je tenais toujours la pompe pour que le raccord ne se dégage pas, ce qui eut fait se dégonfler le " ballon ".
A-t-on le coeur assez dur, tout de même ... En fermant les yeux, il m'arrivait de voir des vaches et des veaux tout enflés, tels des nuages, voyageant poussés par le vent ...
Le but de cette opération était tout simplement de permettre un parfait " déshabillage" de l'animal : Le tanneur passait chaque mois pour acheter les peaux; il fallait qu'elles soient entières et sans déchirure !
Quotidiennement, à l'exception du dimanche, la tante Élise "faisait" le marché de Saint-Pierre. Pour s'y rendre, elle utilisait un fourgon à quatre roues, tiré par un cheval pommelé qui laissait dans la poussière blanche de la route les larges traces de ses fers luisants. Ce cheval impressionnant avait, je m'en souviens, de longs poils blancs qui recouvraient les paturons. On lui tressait la crinière. La viande était abritée dans le fourgon, maintenue fraîche par la présence de pains de glace.
Ah ! les pains de glace ! Ils étaient essentiels : Souvenons-nous que n'existaient ni réfrigérateurs ni congélateurs ... Incroyable, mais vrai ! Pour maintenir au frais la bouteille de vin blanc, on la descendait au fond du puits ... Pour conserver la raie que l'on avait pêchée, on la hissait en haut d'un mât, hors de portée des mouches et pour conserver les viandes, on les mettait dans la glacière.
C'est toujours le cousin Henri qui raconte ... ( Il est le fils de Marcel, le dernier survivant de sa génération et il a bientôt quatre vingts ans ...) ...
- " Ma soeur Marcelle ... Tu l'as connue, toi, tu t'en souviens bien ? ... Elle était un peu simplette, un peu mongolienne quoi ... Elle était gentille cependant, elle rendait des services dans la famille : Elle menait les vaches et elle faisait les commissions ... L'époque offrait encore des places à ces gens-là ... Tu te rappelles que ma soeur a fini sa vie à Saint-Georges : Elle se trouvait à la maison de retraite et elle y donnait un coup de main ... Elle rendait souvent visite à ta mère ... Mongolienne ou pas ... Elle était fille ... Et même elle avait la cuisse chaude ! ... On pouvait être certain que, si on ne la surveillait pas de près ... Tiens... Quand le père l'envoyait à Saint-Pierre pour chercher un pain de glace ... Si je ne l'accompagnais pas ... Bon, A coup sûr, à son retour ... La glace avait fondu ! "
L'oncle Marcel, lui, " faisait " le marché de Saint-Denis. Pendant un temps, il allait également à Boyardville, dans une petite boutique dont la porte s'ouvrait en contrebas, sous le niveau de la chaussée... Il fallait descendre deux marches ... C'était près du port.
Il me faisait parfois le grand honneur de m'emmener, lorsque j'étais en vacances. Sa grande carcasse un peu cassée sur le siège, mâchonnant la cigarette qu'il avait roulée entre ses doigts, dont le papier se maculait de goudron ... La moustache jaune elle-aussi ... Sa longue moustache qui retombait à la gauloise ... L'oncle Marcel tenait les rênes entre ses deux poings joints ... Le cheval allait tout seul, le long du canal de la Perrotine. Ce cheval était beaucoup plus fin que celui que menait la tante Élise... C'était un bai-brun. Il tirait allègrement un cabriolet dont l'arrière était équipé d'un long coffre de bois, peint en rouge, qui contenait la viande et la glace. De temps à autre, pour la forme, machinalement, l'oncle faisait claquer son fouet ... Le cheval faisait semblant de presser le trot ... Quelques secondes ... Puis il se fouettait le dos avec la queue pour en chasser les mouches ... Ce qui faisait s'envoler celles-ci vers son cou et sa tête : Il avait alors de longs frissons et secouait les oreilles.
Vous pouvez imaginer si j'étais fier ! Une ou deux fois, mon oncle me confia les rênes !
En passant par la Saurine, (Le port du sel, "la sault" ), là où il y a un quai construit en pierres de taille ... Là où les gabarres chargeaient autrefois pour aller rejoindre les navires qui les attendaient à Boyardville ... Nous apercevions parfois le fils aîné de mon oncle, Franck, attiré par les activités ostréicoles plus que par l'élevage ou la boucherie. Il y avait encore, à cette époque, des tas de sel sur les "bosses " des marais. Les bassins étaient encore en parfait état, pour la plupart ... Vous rendez -vous compte ... Le travail que nos ancêtres ont fait ... Creuser tous ces marais dans la vase ! ... Avec des pelles en bois ! ... Dire que maintenant, on ne sait plus curer un fossé si l'on n'a pas un engin mécanique !
Il faisait beau. L'air embaumait le fenouil. Des immortelles fleurissaient le bord du canal. L'alouette montait au ciel, tout droit, en battant des ailes, et jetait ses trilles. Passait un vol de canards, groupés. Les goélands demeuraient immobiles, juchés sur les piquets des clôtures. Au bord de la route, les chardonnerets passaient d'une fleur à l'autre, pépiant, jetant des éclats jaunes et rouges. Les vaches ruminaient, couchées dans l'herbe ... Là où il n'y a plus maintenant que " palènes", ronces et chardons ...
Il faut se souvenir que la moindre parcelle était cultivée ... Chaque bosse, à la charrue ou bien à la houe : Entre les miroirs des marais ondulaient des étangs de "baillarge" et de "froment".... Au-delà s'étendaient les vignes taillées court . Le sulfate leur donnait des tons de jade.
L'oncle Marcel n'était pas l'aîné de sa fratrie. L'aîné, c'était Marc, celui qui, pour nous tous est demeuré le héros et la référence en quelque sorte ... Le héros d'une épopée qui frappait nos imaginations d'autant plus qu'elle demeurait hors de portée de notre connaissance : Il avait fait toute sa carrière à Madagascar et était revenu prendre sa retraite dans la maison de ses parents, à Saint-Georges. Il avait rang d'Administrateur-en-Chef et quelques photographies aperçues le montraient en grand uniforme blanc, casque colonial, feuilles de chêne au bas des manches. Il n'en parlait jamais. Tout au plus découvrait-on dans un coin de sa maison quelques nattes de rabane, une ou deux petites pirogues en ébène, dans son atelier, quelques plaques d'écaille de tortue, deux carapaces énormes ...
Moustache courte, vêtu comme un "esquire " londonien, "l oncle Marc était par certains côtés l'émule de Bouvard et de Pécuchet : Il avait installé des ruches dans ses bois et sucrait son café du petit déjeuner avec son miel. Il passait des journées entières à greffer des néfliers sur des pieds d'aubépine ( Il y en encore dans les bois de la Malentreprise ...) Sa passion était son atelier : Non seulement il travaillait l'écaille, pour en faire des peignes, mais il passait des heures, en compagnie de son ami, le "Gros Pierre" à tourner des pièces de bois. Il avait même, à partir d'un flotteur d'hydravion, construit un superbe canoë dont nous eûmes la gloire de faire les essais sur les eaux du chenal du Douhet, vers la"Cabane des Douaniers", dont les murs existaient encore ... Dieu que les pagaies qu'il avait taillées étaient lourdes ! Je me souviens de sa chienne de chasse, Sarah ... Un épagneul ... Elle ne trouvait jamais un lapin, bien qu'il y en eût au coin de chaque buisson, mais elle passait les chauds après-midi de la fin du mois d'août, allongée sur le gravier de la cour, attendant qu'un abricot mûri au soleil consentît à tomber.
Mon oncle Marc avait été Maire, pendant une brève période d'une année. Il avait ensuite été juge de paix.
_ " Gratouillard!" me disait-il, parce que, chaque fois que nous venions en vacances, j'étais couvert d'urticaire et ... des puces de sa chienne ! On a oublié de nos jours ce qu'étaient les puces. Les planchers en étaient pleins, la plupart du temps... L' oncle Marc avait fabriqué un petit banc qu'il installait en travers de sa baignoire ... C'était pour s'y déshabiller et chercher ses puces ... Qui sautaient en vain, ne pouvant s'échapper de la baignoire lisse!
En fait, nous aimions bien l'oncle Marc ... Mais, comme le dit ma cousine Jacqueline, qui doit bien avoir soixante quinze ans maintenant ... Nous en avions toujours un peu la "trouille." Il nous impressionnait beaucoup.
Pour être exact, les oncles Marc et Marcel étaient frères de ma grand'mère ; ils étaient donc mes grands-oncles : La famille, issue d'un huissier prénommé Émile et de sa femme Naomie, elle-même fille de pasteur, comprenait cinq garçons : Marc, Étienne, Marcel, Émile et Franck ... Mais ce dernier était mort jeune : Il s'était noyé devant Foulerot, emporté par le même courant que le garçon qu'il tentait de sauver. Après les garçons, toutes à la file, étaient nées quatre filles : Suzanne, Madeleine, Laure, et Jeanne. Suzanne était ma grand' mère, qui avait, à dix huit ans, épousé mon grand-père, Léon, pour le suivre à Madagascar... D'où elle était revenue veuve deux ans plus tard, accompagnée d'un fils, Lucien, lequel devait devenir mon père.
Le veuvage précoce de ma grand'mère explique l'importance que sa famille avait prise pour nous. Tout particulièrement, je crois que l'oncle Marc avait beaucoup participé aux frais d'éducation de son neveu.
... J'admets qu'il soit possible que je me trompe un peu, quant à l'ordre des naissances dans la ribambelle ... Celà ne change pas grand'chose à l'affaire ...
Un jour, l'oncle Marc avait pris rendez-vous avec son frère Marcel : Il arrivait souvent que tous ceux qui se trouvaient dans l'île se donnent rendez-vous pour un pique-nique dans les bois ou pour une partie de pèche à la senne sur la plage de Plaisance ... Ce jour-là, nous devions nous rendre à la Saurine au tout petit matin. Tout le monde devait être là. C'était la fin de l'été, mais à la saison où le soleil se lève tôt encore. On m'avait réveillé avant l'aube, aussi j'étais tout excité : Nous allions "essentiner" le marais de l'oncle Marcel.
Nos parents avaient quitté Saint-Georges dans le cabriolet vert de l'oncle Marc. Nous avions dû faire la route à vélo, ronchonnant un peu de ne pas avoir obtenu le plaisir de prendre place dans le "spider" ... Vous savez : On ouvre ce qui paraît être le coffre de la voiture et, à l'intérieur, il y a deux places sur une banquette : Le vent vous fouette le visage, c'est tout à fait grisant ... Mais nous avions rarement cet honneur. Nous avions donc pédalé, que voulez-vous ... Et nous avions le vent debout !
Nous voici tous rassemblés, riant et nous tiraillant entre cousins ... Je crois bien que Germaine, la cousine de ma mère était là aussi, et puis peut être bien aussi Marthe, la belle fille de l'oncle Étienne ... Marthe qui était si belle, mais que mon père taquinait en lui disant qu'elle avait de "grosses cuisses grasses " ( Ce qui était totalement faux : elle avait des jambes splendides, les photographies que je conserve en portent témoignage ... )
On avait tartiné le pâté de lièvre de la tante Élise. On avait têté la bouteille de vin blanc tout frais ... On attendait le café, que ma mère allait servir avec une bouteille thermos... Le moteur de la motopompe hoquetait et crachotait : Il avait été mis en route deux jours plus tôt. Les tuyaux noirs finissaient d'aspirer ce qui restait d'eau dans le marais dont le cluseau était fermé. L'eau rejetée dans le canal voisin avait la couleur de la vase. Elle coulait grise, comme un jet d'étain fondu.
Le fond avait commencé à apparaître. Les anguilles grouillaient déjà. Nous poussions des cris chaque fois qu' il en passait une grosse, et quelques unes étaient énormes ...
-"Grosse comme mon bras ! ... Enfin, presque ! "
Toutes se dirigeaient vers la large flaque qui demeurait devant le cluseau. Là, impossible d'aller plus loin : Il n'y aurait plus qu'à les ramasser avec nos épuisettes et nos haveneaux ...
Vous avez déjà vu un combat dans la vase ou dans la boue? _ Les adultes avaient de hautes bottes qui leur montaient jusqu'à la taille, retenues aux épaules par des bretelles. Nous, nous pataugions en maillot de bain : Cela enfonce, cela glisse, on tombe, on se relève, on en a partout, sauf dans les orbites qui restent blancs dans le masque ... C'est d'ailleurs un vrai plaisir que de s'enduire de vase de la tête aux pieds : Pour une fois qu'il est permis de se salir !
Les filets et les épuisettes remplis, nous jetions les anguilles sur l'herbe ... Nos oncles les y prenaient et les enfouissaient dans des sacs ....
- Combien de centaines de kilos ?
- " J'exagère ? ... Écoutez : Le lendemain de notre pêche, "Cent kilos ", le coiffeur de Chéray, passant par là, en aperçut encore tant et tant qu'il retourna chez lui pour s'équiper et en prit encore quinze livres ! ... Vous vous souvenez de "Cent kilos ", le petit bossu haut comme çà et tout maigrichon ! "
Fameuses, les anguilles, quand on les a faites rôtir dans leur peau, sur une braise de sarments de vigne ... On les prend avec les doigts, par la tête et par la queue ... On ne laisse que l'arête ... Bien sûr on se noircit la bouche et le bout du nez, mais c'est vraiment délicieux ! ... Ce sont les petites, que l'on mange ainsi ... Les plus grosses, on les réserve pour faire la matelote, avec du vin rouge et des lardons fumés ...
C'était dans les bois de la Malentreprise que l'on devait aller faire rôtir nos anguilles, après avoir vendu la moitié de la pêche au mareyeur et conservé une part pour distribuer aux voisins ... Car c'était ainsi que l'on faisait autrefois : Toute abondance était partagée dans le village et au-delà ... Qu'il s'agisse du produit de la pêche ou des récoltes du jardin ...
- "C'est le congélateur qui a tué cette convivialité, Monsieur, Le congélateur a rendu les gens égoïstes en leur permettant de stocker leurs surplus ! ... Autrefois, il n'y avait pas de " surplus " : Il y avait des choses à partager ... "
C'est comme pour la chasse, tenez ... Tous les hommes étaient chasseurs, dans l'île ... A la saison, le cultivateur partait labourer avec son fusil à l'épaule, le charretier emmenait sa " pétoire ". Il y avait des lièvres partout : Sur les bosses des marais et à chaque rang de vigne. Il y avait des perdreaux : Des rouges et des gris. Il y avait des lapins dans chaque roncier, surtout le long des dunes ... Et puis il y avait tout le gibier d'eau : Des "corbejeaux" ... ( " Qui n'a pas mangé de corbejeau n'a pas mangé de bon morceau", disait ma grand'mère ... Mais, à l'expérience, je pense qu'elle n' avait jamais dû y goûter!...).
Il y avait les vanneaux ( Mais les approcher n'était pas plus facile autrefois qu'aujourd'hui ! ) ... Les canards et les sarcelles ... En vols immenses ... Que l'on guettait " à la passée ", au moment du coucher du soleil, ou bien que l'on attirait avec des appelants au clair de lune.
J'ai dit qu'il y avait des capucins partout : Le jour de l'ouverture, " Nono ", le fils du boucher, en tuait parfois jusqu'à huit, neuf ... Beaucoup trop, certes ... Mais il y en avait tant ! ... Et puis ... Le fils du boucher ... Un bon pâté de lièvre ! ... Et la mère Denis le faisait d'excellente façon ! ... Et en civet ! ... Tiens, l'eau m'en coule à la bouche et je me souviens comme on se léchait les doigts ! ... Des pommes-de-terre écrasées dans la sauce du civet !
L'oncle Marc était un piètre chasseur. Mon père ne valait pas mieux en celà : Tout au plus prenaient-ils un permis pour promener leur fusil le long des dunes de Plaisance.
- " Attention ... Le chien est entré sous les ronces ... Il y a du lapin ... Je te dis qu'il y a du lapin ..."
- " Foutu chien ! Où donc est-il encore passé ? Et ... Merde ! ... Tu l'avais vu celui-là ? ... Je l'ai encore manqué : Foutues cartouches qui ne valent rien ! "
Les cartouches, ils les faisaient pourtant venir de Saint-Étienne, choisies sur le catalogue de "Manufrance"... Ah ! le catalogue de " Manufrance" ! ... On y trouvait de tout : Des fusils de marque "Robust", d'autres de marque "Idéal" , des appeaux pour les canards et pour les grives, des cartouches à bourrer soi-même aux soirs de veillée ... Des bourres " huilées" et des plombs de différents calibres... De la chevrotine au croisillon pour la bécassine ...
Mais les cousins étaient de fins et acharnés chasseurs ... Franck, et son frère Henri ... Ils avaient, pour les accompagner, suivant le cas, des chiens d'arrêt et des courants : des bigles aux oreilles ballantes, qui donnaient de la gueule dès que la voie était prise...
"Un soir, la mère disait au père ... C'est toujours Henri qui raconte :
- " On ferait bien un lièvre ... Il y a longtemps que l'on n'a pas fait un lièvre .."
- " Bon ... Jeudi prochain, répondait le père ... Le drôle ne va pas à l'école ... Nous irons tuer le lièvre ... "
Jusqu'au jeudi suivant, tous les soirs, le père astiquait son fusil. C'était un fusil antique, de calibre dix ... Un vrai tromblon ! Le père le conservait au-dessus de la cheminée, huilé, graissé. Mais il le démontait encore, le huilait encore, le graissait encore. Il retournait la crosse vers la flamme de la lampe à pétrole, plaçait son oeil dans la bouche du canon, claquait de la langue tant que le miroir ne lui semblait pas parfait ... Il saisissait l'écouvillon, (Page quarante quatre du catalogue de Manufrance ... Avec les burettes et les boîtes de graisse ...) et il astiquait. La mère, pendant ce temps-là embobinait la laine d'un écheveau que " le drôle" tenait entre ses deux avant-bras tendus. On entendait juste le tic-tac de la pendule. "Le " drôle " se taisait ... religieusement.
Ah ! La "pétoire " du père ! ... Il ne s'agissait pas du tout d'un " Robust " ! ... C'était un fusil qui se chargeait par le canon.
- "Si les vendanges sont bonnes, je m'achèterai un nouveau fusil ... Mais cela me fera quand même quelque chose, de changer de fusil : C'est celui de mon grand père, et il en a tué des lièvres et des canards ! "
Celui-là n'utilisait pas de cartouches : Avec la baguette, il fallait tasser la poudre, puis du papier de journal, qui servait de bourre, puis les plombs, et encore une bourre ... Le père avait l'oeil ! ... Il n'avait même plus besoin de la mesurette en cuivre, pour doser la poudre et le plomb ... Peut-être en versait-il souvent un petit peu trop ... Mais il savait ce qui lui allait !
"Le jeudi matin ... Tu parles si j'étais levé de bonne heure !
Ce matin-là, exceptionnellement, j'avais droit à cinq rondelles de saucisson, à une grande tartine de beurre et de pâté sur du pain bis ... Dame ... On est un homme quand on va à la chasse ! ... J'avais même droit à un verre de vin blanc ... O ! trempé d'eau ! ... (" Cela ne peut pas faire de mal : C'est naturel ... C'est du vin de chez nous ...)
Ma mission était double : Je portais, et je n'en étais pas peu fier, le carnier dont la large courroie me barrait la poitrine comme un baudrier de gendarme, et je servais de rabatteur.
Nous n'avions jamais besoin d'aller bien loin : Dans les premières vignes, juste avant les marais, cela suffisait ... Mais si vous aviez vu les enjambées que faisait le père ... J'avais du mal à suivre ! Il attaquait le sol du talon de ses bottes : On voyait bien qu'il avait servi dans les hussards !
Tout à coup, il s'arrête :
- " Bon, le drôle ... Va donc fouiner dans la vigne. N'avance pas trop vite, et ne fais pas trop de bruit ... Quand tu verras le lièvre au gîte, tu lèveras le bras ... Comme ça ... Choisis-en un beau, avec de grandes oreilles ... Pas un petit! "
En ce temps-là, les vignes n'étaient pas hautes comme elles le sont maintenant ... On n'avait pas peur de se faire mal aux reins pour vendanger ... Une vigne taillée très bas résiste mieux au vent.
Je passais d'une rangée de ceps à l'autre ... Tiens ! En voila un ... Il est tapé sous les feuilles ... Il me semble un peu petit ... Passons ...
Mon père avait sorti sa blague à tabac ... Il avait roulé une cigarette ... En avait mouillé le papier sous sa moustache, avec sa langue ... Il avait battu le briquet jusqu'à ce que l'amadou incandescent lui permette de tirer une longue bouffée ... Il m'avait suivi du coin de l'oeil, pendant toute cette opération ... Mais il avait pris son temps ... Crosse à terre, il bourrait maintenant la poudre noire, avec la longue baguette à viroles de cuivre ... Le papier ... Le plomb ... Encore du papier ...
Moi, j'avais vu un lièvre assis sur son cul ... Cette fois, c'était un beau lièvre ... Il devait bien peser neuf livres ... Il avait des oreilles longues comme ça ! Il les tournait en tous sens ... Il était inquiet ...
Je lève le bras, comme le père avait dit ...
Le fusil était lourd et long ... Mon père avait un bâton fourchu ... Il s'en sert pour poser le fusil, comme on eût fait pour une arquebuse ... De la langue, il passe le mégot de sa cigarette dans l'autre coin de ses lèvres ... Il crache ... Ferme un oeil ... Vise ... Pan ! ... Rien ne bouge ... On n'y voit rien du tout : Avec de la poudre noire, le coup produisait un nuage de fumée ... Attendre que le vent le dissipe ...
Dès qu'on y voit plus clair, je le vois, le lièvre ... Il est bien là ... Le plomb l'a attrapé juste au moment où il bondissait ... Emporté par son élan, le corps est allé bouler contre une grosse motte.
Mon père ramasse la bête. Il la tient d'abord par les oreilles, puis par les pattes de derrière ... Il lui appuie les deux pouces sur le bas-ventre, pour le faire pisser. Il me la passe alors. La couchant dans le carnier, je m'arrangeais pour que ses oreilles dépassent d'un côté et, de l'autre, au moins une patte arrière.
Rentrant au village, passant devant la taverne, mon père prenait l'air dégagé ... Moi, je bombais le torse et m'arrangeais pour faire ballotter les oreilles du capucin ...
Pas une seule fois mon père ne rata son coup. Pas une seule fois il ne tira un lièvre qui ne faisait pas la maille ... Pas une seule fois il ne tira plus d'un lièvre le même jour ...
La mère faisait le pâté ... Le râble était utilisé pour le civet ...
C'était comme cela que cela se passait chez nous, autrefois ... Jamais on n'aurait tiré le lièvre au gîte ... Nos grands-parents lui foutaient un coup de pied au cul pour commencer ... Ils ne le tiraient que lorsqu'il avait déboulé... Maintenant, la chasse ... C'est devenu la guerre ! ... D'abord il n'y a plus de lièvres ... Et puis, on tire les perdreaux et les faisans comme on tirerait des poulets : Ils ont été élevés dans des parcs et on les lâche deux jours avant l'ouverture ... Quand on les a tous tués, on en relâche à nouveau ! ... Un matin d'ouverture, j'ai vu des faisans qui picoraient dans les poubelles, juste à l'entrée du village !
"Allez, les amoureux ... Et tâchez de ne pas vous arrêter derrière tous les barguenâs. Vous arriveriez en retard ! "
Mon père et ma mère se sont connus à St. Georges...
... Que Lucien se fût trouvé là, quoi de plus normal ? _ Ses racines s'y trouvaient : La maison construite par son grand-père était habitée par sa tante Léontine, épouse Gorron, mais St. Georges et Sauzelle étaient aussi les lieux des Mérignant. Ma grand'mère paternelle était une Mérignant. Il y en avait toute une kyrielle, des Mérignant...
L'aïeul, Émile, fut huissier de justice, pas moins ... Il avait épousé Naomie Carrière, fille de Pasteur... La longue barbe à deux pointes arborée par Émile sur la photographie que je possède n'a rien de très engageant ... Monsieur l'Huissier ... Maître ... Vous me réfrigérâtes, et je mis votre photographie dans un tiroir pour ne plus la voir!
Émile et Naomie eurent huit enfants, je l'ai déjà dit: Quatre garçons et quatre filles ...
Pour autant que je puisse savoir, Marc était né le premier. Devenu Administrateur des Colonies, il fit carrière à Madagascar. Revenu prendre sa retraite dans la maison de ses parents, à St. Georges, il y passa le reste de sa vie et mourut en 1952 ( Le jour-même où je passais le baccalauréat ! ). Il joua auprès de nous, les Savatier, un peu le rôle d'un tuteur, puisque notre grand-mère, sa soeur, se retrouva veuve à vingt ans avec un fils, né à Madagascar, qui n'avait pas plus de deux ans. A sa mort, Il laissa sa maison à son neveu.
Je possède trois photographies de Marc Mérignant... L'une est un portrait : Il est très jeune et porte beau : Son manteau est un manteau de prince aux revers de velours. Il a un fin collier de barbe. Je le vois assez bien sortant d'un roman de Balzac ... Rastignac ? ... La seconde photographie le montre en grande tenue coloniale, épée au côté, casque en tête, tout en blanc, reins cambrés ... Il est suivi de plusieurs officiers et passe en revue une troupe de zouaves ... Sur la troisième, il porte un complet trois pièces, il arbore moustache en brosse, porte beau encore ... Il est sur le pont d'un bateau, quelque part près du fort Boyard, et se tient debout près de mon père en uniforme d' officier de marine ...
L' oncle Marc ne se maria jamais. Je me suis laissé dire que, pour autant, il ne manqua pas de bonnes fortunes ... Agé, il fut très affecté dans sa dignité quand on l'opéra d'une tumeur de la prostate... Il ne devait d'ailleurs guère y survivre.
Il passait pour un grand Monsieur : Il possédait, (rendez-vous compte, à l'époque ! ) ... Il possédait deux voitures : L'une verte, dont il se servait dans l'île, l'autre grise, qu'il utilisait chaque année pour aller faire sa cure à Vichy ... Dans le buffet de sa salle à manger, il cachait, (C'est bien le mot, tant il en était avare ! ), des sucres d'orge et des pastilles de Vichy.
Je l'ai beaucoup aimé, admiré ... Il m'a fait rêver ... Mais il me faisait assez peur, au fond ... J'avais souvent de l'urticaire, l'été ...
_ " Gratouillard ! " me disait-il.
Son atelier, dans le fond de la cour, était assez comparable à celui de Bouvard et Pécuchet.
_ " Farfouillard ! " me disait-il lorsqu'il m'y surprenait.
Mais je ne m'y risquais que rarement ...
_ " Salopard ! " me cria-t-il le jour où je lui subtilisai une clé à molette pour réparer mon vélo ... Sa moustache en frémissait.
A bien y réfléchir, notre enfance fut très orientée vers les Mérignant. Nous avons tout ignoré de ce qui restait de la famille Savatier. Notre grand-père avait eu deux soeurs pourtant. L'une, Louise, épousa Aubin Raoulx, issu d'une famille qui avait beaucoup d' attaches à Cuba. Il était lui-même architecte du département de la Sarthe. L'autre, Léontine, avait épousé Georges Gorron, qui termina sa carrière comme Médecin en Chef de la Marine, à l'égal de mon arrière grand-père Ludovic. Nous n'avons jamais rencontré ni les Raoulx ni les Gorron, bien qu'ils aient vécu assez longuement pour qu'il pût en être autrement ... Mystères des familles : Il m'a fallu attendre d'avoir moi-même plus de soixante ans pour m'apercevoir que j'avais, de ce côté, des parents proches ...
Mais que se passa-t-il donc pour que mon père demeurât un étranger pour ses deux tantes ?
Il est vrai que nous ne savons que fort peu de choses de notre grand-père, Léon ... Tout au plus, et ceci récemment ... Tout au plus quelques lignes de sa vie deviennent-t-elles déchiffrables.
Il naquit à Yokoska, au Japon, où Ludovic, son père, médecin et éminent botaniste, assumait ses fonctions dans l'arsenal construit par les Français. L'embryon de la force navale qui allait donner sa puissance à l' Empire du Soleil-Levant s'y construisait. Léon est mort très jeune, à Ivondro, Madagascar, où il était employé comme commis de comptabilité. Il avait eu, d'une compagne malgache, deux enfants : Une fille, qu'il prénomma Lucie ( du prénom de Lucie Roche, sa mère ) et un garçon auquel il donna le prénom de Georges ( Qui était celui de son beau-frère, Georges Gorron ). Sur une photographie, dénichée par hasard à Madagascar, j'ai pu faire connaissance de mon oncle et de ma tante malgaches : Ils sont assis dans l'herbe, à côté d'un panier qui doit contenir un pique-nique ... Cette branche familiale s'est éteinte avant que je ne puisse l'atteindre.
Léon revint en France, épousa Suzanne Mérignant qui n'avait que dix-huit ans ... L'acte de mariage est revêtu de la signature parentale, pour autorisation donnée à une fille mineure ... Le couple partit ... pour Madagascar ... En passant par le canal de Suez .
-" Mon Dieu, qu'il faisait chaud dans la Mer-Rouge ! ".
Mon père naquit à Majunga. Il fut prénommé Lucien ... Léon devait beaucoup aimer sa mère je suppose ! Puis Léon mourut là-bas. De quoi mourut-il ? C'est resté un mystère ... Ma grand'mère ne m'en parla jamais ... Il est vrai qu'elle se retrouva veuve à vingt ans : Elle avait si peu connu ce mari que les rares photos que je possède montrent barbu, gros, et fumant la pipe ... Il est probable, après tout, qu'il mourut de la malaria ...
En tout cas, une chose expliquant l'autre, ma grand' mère nous rapprocha beaucoup des Mérignant.
On peut interpréter, d'ailleurs, la venue de Léon à Madagascar comme l'effet d'une aide apportée par Marc à un Léon qui peinait à entrer dans une carrière ...
Les Mérignant de cette génération donc ... étaient huit.
Étienne fut capitaine de Spahis, puis il épousa une authentique comtesse irlandaise du nom de O'Gormont. Il devint Inspecteur des poids et mesures à Périgueux. Marcel devint éleveur-boucher à Sauzelle. Il épousa Élise Oriou. Émile, Ingénieur, assuma les fonctions de responsable du camp militaire de La Courtine. Franck, le plus jeune, se noya dans la Malconche, devant Foulerot : Il paraît qu'il dériva longtemps dans le courant ... Mais, à cette époque, allez donc chercher un canot pour un sauvetage en cet endroit !
Du côté des filles, il y avait ma grand'mère, Suzanne, puis Madeleine ... Sacré caractère! ... Elle vivait à la Baule. Elle avait épousé un Monsieur Potheau, et elle vendait de la lingerie féminine dans toute la France. Il y avait Laure, qui devint antiquaire à Rochefort ... Elle avait épousé un Monsieur Ducourtioux ... Puis un autre Monsieur dont j'ignore le nom. Il paraît que Laure avait d'abord été modiste à St. Georges ... En tout cas les quatre soeurs avaient un goût des chapeaux tellement prononcé qu'on les appelait" Ces dames aux chapeaux verts" . La dernière était Jeanne. Elle avait épousé François Chaumeton, meilleur ouvrier de France, tapissier de haute-lisse à Aubusson. Elle revint finir ses jours à Rochefort ... Elle finit dans la misère et cousait à domicile des sacs pour une entreprise quelconque...
J'ai toujours vu ces dames, même dans le dénuement, porter beau : Chapeaux, bijoux en toc , mais gros et brillants, robes et rubans. Ma grand'mère avait un don pour le tricot et le travail au crochet ... Elle adorait vêtir de gros poupons en Celluloïd.
_ " Je ne sais pas grand'chose à leur sujet, dit mon cousin Henri ... C'était des gens de réserve."
Pour mon père, Marc fut un peu le père qui lui manquait. Marcel fut l'oncle par excellence.
_"Allez, les amoureux ... Et tâchez de ne pas vous arrêter derrière tous les barguenâs ... Vous arriveriez en retard ! "
( Les barguenâs ... On appelle ainsi les meules et les buissons ... )
Mes parents étaient jeunes mariés. La photographie me présente une jeune-femme fraîche et belle. Elle porte une robe blanche, légère, toute droite. C'est l'été.
De caractère affirmé, elle était passée outre aux réticences de son père, Charles Hermet, Chef de Rayon au Bazard-de-l'Hôtel-de-Ville, à Paris : Elle avait épousé son beau ténébreux, Enseigne de Vaisseau dans la Royale .
Un sacré bonhomme, pourtant, ce Charles Hermet ! ... Mais nous en reparlerons ...
Ce jour là, mon père porte gilet et arbore un béret.
Lucien remercie l'oncle Marcel qui vient de lui prêter son cabriolet et son cheval :
_ " C'est le plus beau ... Je viens de l'acheter ... Tu verras ... Il a du nerf mais il est paisible cependant ... Ne pas le rudoyer ... Ne pas lui tirer sur la bouche ! "
Rendez-vous fixé pour onze heures trente, à la Malentreprise, dans les bois de Foulerot ... Autrement dit à" la Cabane", le pavillon "de chasse " de l'oncle Marc. Il y a tout juste trois ou quatre kilomètres à parcourir depuis Sauzelle. On préparera une braise avec une javelle de sarments pour faire griller les anguilles et on alignera les moules sur une planche pour faire une " églade" ....Tout un rituel ... C'est délicieux : On recouvre les moules avec des barbes de pin auxquelles on met le feu ... Les moules ont été disposées de telle façon qu'elles s'ouvrent vers le bas, sans se remplir de cendre ... On mange avec les doigts ... On s'en met plein la figure ... Cela vous a un léger parfum de résine : C'est succulent !
Dans le caisson, à l'arrière du cabriolet, Lucien et Suzanne emportent les bouteilles de vin blanc, qui s'entrechoquent , couchées sur de la glace pilée. Là sont aussi déposés les paniers contenant les moules et les anguilles ... C'est dire si ... En cas de retard ...
_ " Allez ... Va ! "
L'Enseigne de vaisseau en civil fait de son mieux pour cacher son embarras à sa jeune épouse qui rit aux éclats : Un marin ... Qui plus est, un aérostier ... Cela sait conduire un cheval ?
Le ciel est bleu, sans traînée aucune. La brise légère court les marais, sur les moutardes, les chardons et les carottes sauvages. Les berges des canaux sont colorées de jaune et de blanc.
_ " Allez- Va ! "
Lucien secoue les rênes, le cheval prend le trot. Cela saute un peu car, à cette époque-là, les routes ne sont pas goudronnées. Elles sont revêtues de calcaire blanc ... Du reste, on dit que ce sont des "routes blanches". Les roues des charrettes ont parfois creusé des fondrières et, lorsque la pluie y a laissé un peu d'eau, les moineaux y prennent leur bain, plumes ébouriffées. Au temps des chevaux, il y a beaucoup de moineaux. Ils pillent le crottin. Sur les bas-côtés, les pierres de calcaire, écrasées, ont laissé une poussière impalpable que le vent soulève et qui s'en va poudrer les ronces ... Vous avez vu les moineaux prendre des bains de poussière ?
_ "Allez-Va !"
Le cheval encense, souffle en faisant vibrer ses narines : _ Frrrr ... La tomate de son anus se gonfle, la queue se relève, il expulse des brioches blondes et chaudes à l'odeur de foin ...
A deux cents mètres du départ : premier virage ... Ce fichu cheval veut à tout prix trotter du côté gauche de la route ... Allez donc comprendre pourquoi ! Lucien tire sur les rênes en sens inverse ...
_ " Pas trop fort et sans violence ... Il ne faut pas lui abîmer la bouche ... Tu verras ... Il suffit de ne pas le rudoyer ... "
Certes, certes ... Ne pas le rudoyer ... Mais pourquoi diable s'obstine-t-il à vouloir marcher à gauche ? ... Il n'y a pas beaucoup d'automobiles, dans l'île, mais il y en a tout de même ... Allez ... Reprendre la droite avant le virage ! ... Rien à faire ... Bon, Il est passé ... A gauche, bien entendu, tout ce qu'il y a de plus à gauche ... Mais il est passé !
Second virage : Même aventure. Et puis ... Sur la longue ligne droite, rien à faire : Le cheval s'obstine à ne pas quitter sa gauche. Une charrette en face, chargée de paille jusqu'à une hauteur invraisemblable, les fourches sont plantées tout en haut ... On entend déjà jurer et crier le charretier qui tient sa bête par le licou et marche à côté.
Fichu bai-brun de l'oncle Marcel, qui ne veut pas prendre la droite! ... Lucien descend, prend le cheval par la bride, le ramène du bon côté ... Ce qu'il finit par faire avec beaucoup de mauvaise volonté. _ " Ouf ! C'est passé ! "
... Grincement des roues cerclées de fer, claquement des sabots, claquement du fouet, flot de jurons sans lequel une charrette ne saurait avancer ...
Et aussitôt ... Le bai-brun repart à gauche ... Lucien reprend la bride : Il fera le chemin à pied. Suzanne doit être un peu inquiète, mais elle rit encore. Ses joues sont rouges de plaisir. Le soleil est ardent, mais Suzanne porte une large capeline. Dans le coffre, les bouteilles tintent clair ... Les grelots des harnais sont ironiques : _ " Lucien, feras-tu tout le chemin à pied ? "
Arrêt à l'angle d'une vigne dont les feuilles sont bleuies par le sulfate de cuivre. On reprend souffle. Une perdrix rappelle. Lucien tire sa montre de son gousset : Ce ne serait rien, si le temps ne passait pas aussi vite ...
_ " Ne vous arrêtez pas derrière tous les barguenâs ... C'est vous qui transportez les vivres et les boissons ..."
_"Ah ! Bien, ouiche !"... Le marin a dénoué sa cravate, ( Eh! oui ... On mettait une cravate, le dimanche...). Il a tombé la veste. Ses chaussures sont poudrées de blanc et de même le bas de ses pantalons. On repart ...
Essayons encore ... Lucien remonte sur le banc, à côté de Suzanne, reprend les rênes, s'énerve, tire sur le mors ... Le cheval encense à nouveau, tape du pied, souffle avec réprobation, longuement, lâche un pet parfumé ... Il prend le grand trot ... Vers la gauche !
_ " Oh! La la ! " ... " Oh ! ".
Aucun doute n'est plus possible : On n'arrivera jamais à l'heure ... Il est déjà presque midi ... "au soleil "... Les ombres des grands peupliers se sont raccourcies ... La capeline ne suffit plus à protéger les yeux de Suzanne ...
_ " Et si on se rafraîchissait un peu ? "
Le vin blanc est à l'arrière, sur la glace ...
_ " Ah ! Foutu cheval ! ... Tu sais ce qu'il nous a prêté, l'oncle Marcel ? _ C'est le cheval anglais qu'il est allé acheter le mois dernier en même temps que ses vaches anglo-normandes ... Foutu cheval anglais ! ... Il n'a jamais appris à marcher à droite ! "
On ne fut pas à l'heure, évidemment ... Et l'on ne put jamais faire croire à personne que l'on ne s'était pas arrêté " à tous les barguenâs " .... La famille en rit encore !
Henri, fils de Marcel Mérignant, est né en mille neuf cent dix huit ... La précision a son importance. Il achève sa vie dans la maison de ses parents ( Mais les événements l'ont contraint à en vendre la moitié. ) ... C'est un sacré bonhomme, le cousin Henri !
D'abord, il se fait maintenant appeler Marc. Il dit que c'est son " premier prénom " ... Je soupçonne que ce changement est aussi destiné à lui permettre de faire peau-neuve en quelque sorte. Et puis, du moins il doit l'espérer, les feuilles de chêne de son oncle Marc font rejaillir sur lui respect et considération. Sa vie, à lui, a connu des tournants et des accidents : Il a fait tous les métiers, tous les petits boulots ... Enfant, raconte-t-il, il portait sur l'épaule les paniers de sel pour charger les gabares. Il a été épicier, il a été gemmeur. Il a été bistrot ... Quel métier n'a-t-il donc pas fait ?
Je l'aime bien tel qu'il est. Pour moi, il est bien le fils de Marcel, éleveur-boucher et d'Élise ... Encore que ... Mais c'est lui qui raconte, on peut donc le répéter : Il est né en mille neuf cent dix huit, or son père a fait la Grande-Guerre jusqu'à l'armistice ... Et puis après ? ... Les anciens n'étaient pas des anges, eux non plus !
Marcel n'en emmenait pas moins Henri, le drôle, pour tirer le lièvre.
_" Le vieux et la vieille ... Ils ne s'entendaient pas toujours très bien : L'un était radical-socialiste, l'autre était croyante. Pendant les campagnes électorales, l'un allait coller des affiches sur la place du village ... L'autre allait les décoller "...
La façade sud de l'église de St. Georges ... Très belle église qui a été restaurée sous le mandat municipal de Lucien Savatier ... Il y a un grand cadran solaire. Il fut réalisé par un abbé du nom de Chaumeil. Marc Mérignant, qui fut maire de mille neuf cent quarante à mille neuf cent quarante et un, fut le dernier à faire remettre à neuf ce cadran. Il paya les travaux de sa poche ...
Je poursuis depuis mon enfance une méditation sur la course de l'ombre et du soleil ... L'abbé Chaumeil a écrit :
_ " Nous passons ici-bas comme une ombre légère. Nous marchons à grand pas vers notre heure dernière. "
Mes aïeux ont pu lire cet aphorisme, également mes amis disparus ... De temps en temps, un touriste cultivé explique à son enfant comment il faut lire l'heure au cadran ... Mais de quelle heure s'agit-il?
_" Eh ! Pardi ! De la seule heure véritable : De l'heure solaire ... Celle qui marque le lever du jour, la tombée de la nuit, les mouvements de la lune et ceux des marées ... "
Par convention, et pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le système mis en place par le Bon-Dieu, nous sommes passés à l'heure du méridien de Greenwich ... Et d'abord, Greenwich, c'est chez les Anglais ! C'est peut-être pratique pour certains, mais certainement pas pour les paysans et les pêcheurs, qui vivent, eux, au rythme des astres.
Mon enfance et mon adolescence ont donc été ballottées entre deux systèmes : En ville, pendant l'année scolaire, je vivais à l'heure légale . En Oleron, pendant les vacances, je vivais à l'heure solaire. Il faut remarquer que mon horloge personnelle n'en a jamais été très dérangée.
A vrai dire, même, dans l'île, les deux systèmes fonctionnaient conjointement... Ce qui ne manquait pas d'ambiguïté ... Au mur de la mairie, les horaires d'autobus étaient affichés ... Ils étaient rédigés en deux colonnes : L'une précisait les horaires à l'heure solaire, l'autre les précisait à l'heure légale ...
_" Comment tu veux qu'on s'y retrouve, demandait la Marie ?
... Et la Marie ... Qui savait lire cependant ... était arrivée, ce jour-là, trop tard pour l'autobus de la compagnie Aunis et Saintonge, qu'elle avait bien compté emprunter pour aller à Saintes.
Mon oncle Marc, retraité et ancien fonctionnaire, parlait en heures légales. Son frère Marcel, commerçant, s'exprimait en heures solaires. Les quiproquos furent fréquents paraît-il ...
Marc avait un voisin que l'on appelait "Compagnon", ancien compagnon du Tour-de-France, évidemment ... Avait-il été tailleur de pierres ? - C'est ce que j'ai toujours imaginé, mais je me trompais peut-être ... C'est égal, j'aime à penser qu'il le fût. Lorsque mon oncle l'invitait pour la partie de carte, il lui fallait préciser :
_" Heures légales, évidemment ... "
Pensez donc : Un compagnon ... Cela n'a jamais connu autre chose que l'heure du soleil !
Pour ce qui était des horaires des marées, on consultait l'annuaire des marées. Il était rédigé en heures solaires, bien entendu ... Mais il fallait " Ajouter une heure pour obtenir l'heure légale " ... C'était écrit en toutes petites lettres au bas de la page.
Et n'allez pas croire que ce soit fini aujourd'hui : Je connais des gens qui fonctionnent encore en heures solaires. !
-" Pourquoi voudrais-tu que je me lève à une autre heure que le soleil ? Et puis, lorsque j'irai pêcher des crabes, ceux-ci calculeront-ils en heures légales pour arriver en même temps que moi à l'étale de basse-mer ? "
Arguments fallacieux ,sans doute ... Mais tout s'est tellement compliqué ... Songez donc que maintenant, il y a deux "heures légales " ... Celle de l'été et celle de l'hiver ...
_" Pour obtenir l'heure légale ... Ajoutez une heure si l'on est en été ... Ajoutez-en deux si l'on est en hiver ! "
_" Eh ! ... Quoi qu'il en soit ... Ne " marchons-nous pas à grands pas vers notre heure dernière "?
Pauvre abbé Chaumeil, il n'avait pas prévu toutes ces complications ... Le touriste dont je vous parlais tout à l'heure, y renonce, lui. Il dit à son gamin :
_ " Enfin ... C'est avec cela que les anciens lisaient l'heure."
Il achève :
_ " Allez, viens ... Nous allons être en retard ... Ta mère nous attend ... "
Voilà bien où se trouve la légalité ! Une montre moderne, c'est beaucoup plus facile à expliquer :
_ " Tu mets une pile ici. Tu regardes la télévision ou bien tu écoutes la radio. Tu appuies ici pour la mettre à l'heure. Après, les chiffres s'affichent là ... Élémentaire ! "
_ "Ouiche" ! Je n'ai jamais été capable de mettre à l'heure une montre à affichage numérique ... Mon petit-neveu le fait en une minute ...
Aux alentours de l'année mille neuf cent soixante, " Popaul" Raffaud, aidé de sa mère, Blanche, servait des églades de moules au pied de la dune du Douhet, au coin du port. Ils servaient à boire dans un bistrot qui n'était rien d'autre qu'un bateau en acier tiré au sec : le " Pierre d'Argencourt ". Ce bateau avait assuré pendant des années, pour le compte de la "Compagnie Maritime André Bouineau", le transport des passagers entre le port du Chapus, côté continent et celui du Château d'Oleron. Assez pimpant, il offrait, au temps de son activité, quarante places assises, ou à peu près.
Les autres navettes que j'ai connues, juste après la guerre, n'étaient guère plus grosses que les petits bateaux des ostréiculteurs ... Ils étaient construits en bois, au Château d'oleron, par les Chantiers Sorlut. L'arrière était coupé ... Une sorte de pont-levis actionné par des palans, à la force des bras, permettait de faire embarquer et débarquer les voitures. Il y avait assez peu de voitures encore ... Chaque bateau pouvait embarquer deux voitures, pas plus ... Et c'était à chaque fois un tour de force ! Figurez-vous : Une pente cimentée à l'extrémité de la jetée... Le bateau coincé au-milieu d'un essaim de lasses pleines ou vides ... Le tout monte et descend à chaque vague : Les lasses s'entrechoquent et parfois même se chevauchent Un marin essaie de sortir de là à la godille ... Il pleut, peut-être... Le malheureux automobiliste a relevé toutes les vitres de sa voiture ... Il a bien fait : Son pare-brise est aspergé par les lames. La rampe est rapide, glissante, étroite ... Un grand diable en ciré jaune fait le sémaphore en jouant des bras ... Il vous fait face, et il vous dirige en reculant. Vous essayez, mais ce n'est pas facile, d'interpréter les gestes que l'on vous fait ...
Vous avez repéré l'emplacement du levier du frein à main ... On ne sait jamais ... Au moment où les roues avant montent sur les planches du pont-levis, le bateau plonge au creux d'une vague ... Vous y êtes ? ... Pas du tout! ... Le bateau peut bien embarquer deux voitures à la fois, mais c'est à la condition que la première soit placée en travers ... Pas de chance : Vous êtes le premier embarqué donc c'est la vôtre qu'il faut mettre en travers ... Consolez-vous en vous disant qu'il y a grandes chances pour que la suivante, légèrement trop longue, doive laisser deux roues sur les planches, que l'on n'aura pas pu relever complètement ... Ne vous effrayez pas : Les marins placent des cales sous les roues ...
On ne m'a jamais parlé d'une voiture qui aurait fait le plongeon ... Encore que ...
Dans la cabine, car il y a une petite cabine ... Un bonhomme au visage rougeaud, vêtu d'une blouse blanche, tient un panier sur ses genoux : Il vend des merveilles ... Ah ! Quelle merveille, que ces petits beignets en tortillons, parfumés à la fleur d'oranger ...
Pendant la durée de la traversée ... Une demi-heure à quarante cinq minutes, suivant le temps, il est possible qu'une bonne douzaine de vagues viennent laver votre voiture. A l'arrivée, au Château d'Oleron, face aux remparts de la citadelle, (construite par l'ingénieur Pierre d'Argencourt sur l'ordre de Louis Quatorze...) les acrobaties recommencent : Il faut manoeuvrer et remonter la rampe, au lieu de la descendre.
C'est une aventure ! ... Ajoutons que vous avez dû faire la queue avec votre voiture, avant que ne soit venu votre tour d'embarquer au Chapus ... Vous avez fait la queue pendant deux heures ... Peut-être plus ! ... Ce qui fait les affaires du "Café du Port" où l'on sert des huîtres et du vin blanc ...
Je pense que vous n'avez pas été surpris d'avoir fait également la queue au pont-transbordeur de Rochefort ... Là aussi, il vous a sans doute fallu attendre pendant une heure ou deux avant de monter sur la nacelle:
_"Messieurs les conducteurs sont priés de serrer les freins de leur mécanique ... "
Mais, pour éviter cette attente, vous avez peut-être fait le tour et emprunté le pont-suspendu de Tonnay-Charente : Vous vous souvenez du cliquetis des planches sous les roues ! _ " C'est solide, ça " ?
A moins que vous n'ayez pris votre mal en patience : On savait le faire, autrefois ... Et puis, dans la file, en attendant la nacelle du pont de Martrou, on parlait avec les autres automobilistes, c'était très convivial ... On avait même le temps de remonter la file pour aller acheter des sandwichs au bistrot, en haut de la côte, et de revenir à son volant avant que la file ne s'ébranle ... Sur dix ou douze mètres, car la nacelle ne chargeait que peu de voitures à la fois.
Les années passant ... Les voitures devenant plus nombreuses, les attentes à Martrou devinrent insupportables .. Quant à celles auxquelles on était contraint pour embarquer au port du Chapus, elles pouvaient atteindre sept à huit heures ! ... Le patron du "Café du Port"connut une époque florissante !
C'était l'époque où l'on trouvait encore, en Oleron, des gens qui n'étaient jamais allés sur le continent, certains disaient même en France ... Mais les plages de l'île étaient de plus en plus envahies par les sympathiques familles des "Congés-Payés " ... Que l'on n'appelait pas encore des touristes, mais, globalement et tout en vrac, "Les Parisiens".
_"On va avoir un bac ! "
Le béton coule : Personne, au fond, n'est impressionné outre-mesure ... On en a vu, déjà, couler de belles quantités lorsque l'armée allemande a fait construire ses blockhaus et ses batteries.
Des passerelles métalliques relient la terre-ferme aux flotteurs en acier qui serviront de quais d'embarquement.
De grands bateaux plats arrivent pour le service de la "Régie Départementale des Passages d'eau " . Leurs ponts-levis sont situés sur les côtés, ils sont en acier. Les bacs peuvent accoster convenablement et plusieurs voitures peuvent même s' engager à la fois. Près d'une cinquantaine de voitures peuvent s'aligner sur le pont ... On retrouvait le marchand de merveilles, qui faisait la navette ... Et, pendant la traversée, on pouvait se mettre à l'abri ou bien dévaler les escaliers métalliques et s'accouder aux bastingages ... Pendant une petite demi-heure, on pouvait croire à l'aventure ! Avec un peu de chance, on voyait même des marsouins ... Ils n'étaient pas encore disparus. C'était à Ors que l'on débarquait maintenant , non loin du fameux dolmen ... Dont tout le monde, ou à peu près, connaît l'existence ... Mais que bien peu de gens se sont donnés la peine d'aller voir.
Mais les touristes se sont encore multipliés, les bateaux ont vieilli ... La durée des attentes a augmenté : Pensez donc, la queue de véhicules s'étirait parfois au-delà de Marennes !
Et puis les jeunes Oleronnais ont déserté leurs vignobles ... Les édiles ont tout misé sur le tourisme ... Le nombre de voitures ne cessait d'augmenter : Insupportable! ... Insupportable pour les vacanciers, mais aussi pour les commerçants du lieu, qui sont devenus pressés : Pensez-donc ... Il faut, en trois mois à peine ... Gagner de quoi vivre pendant toute une année ...
Quatre bacs, cinq peut-être, assuraient les rotations ... Mais ils s'essoufflaient sans donner satisfaction pour autant. On commença par résoudre le problème posé par le pont-transbordeur de Martrou ... Le pont-suspendu de Tonnay-Charente devenait dangereux ... On construisit le pont de St. Clément ... Les voitures, pour la plupart, prirent le chemin par St.Hyppolite et par Trizay. Un pont à travée-levante fut construit à Martrou... Mais, par définition, un pont à travée-levante ... Cela lève sa travée pour laisser passer les bateaux ... La file de voitures se reformait dès qu'un malheureux rafiot sortait du port de Rochefort ou voulait y entrer... On parla d'un pont en béton précontraint ...
Entre-temps, l'entreprise Campenon-Bernard construisait le pont d'Oleron ... _ " Le pont le plus long d'Europe ! "... " Et, dans l'île de Ré, ils ne sont pas prêts d'en avoir un pareil ! "
... Ah ! oui, on était fiers ! ... Combien d'entre nous sont allés bader pour voir couler les piles ou pour voir lancer les travées ! On lançait des demi-travées tout entières, d'une seule pièce, et des câbles passant dans le béton se raidissaient ... De véritables exploits !
Inauguration en grande pompe ... Quelques mois plus tard : Manifestation à Ors pour obtenir la gratuité du passage pour les Oleronnais.
Le marchand de merveilles a été emporté par le temps et le vent : Il n'aurait su arrêter les voitures ... Même pour des merveilles ... Elles roulent, elles roulent !
Un nombre de plus en plus grand de véhicules ... De nouvelles manifestations pour réclamer le rétablissement du péage sous forme d'écotaxe ! ... Car la queue s'allonge, s'allonge ... Sur les anciens appontements des bacs, dont les passerelles ont été démontées, les pêcheurs à la ligne devisent du temps qui passe lui-aussi, de plus en plus vite, et auquel ils essaient de résister.
Sur la plage du Douhet, la carcasse du Pierre d'Argencourt a rouillé, puis disparu.
Quelques-uns savent qu'il exista un chemin de fer, autrefois, en Oleron : Ce fut le Petit-père Émile Combes qui en fit l'inauguration ... Eh ! oui ... Il était Charentais ! Certains remarquent, encore de nos jours, les stations qui jalonnent les villages ... Mais saviez-vous que l'on avait imaginé dès cette époque de creuser un tunnel sous-marin pour relier le petit train d'Oleron à la ligne Le Chapus-Rochefort ( Qui n'a, elle-même pas survécu ... ) ? ... Ce n'est pas une galéjade ... Nous ne sommes pas à Marseille ... Encore que ... Des histoires, on savait bien en raconter dans l'obscurité de nos chais, où l'on goûtait le blanc et le pineau:
_ " Goûtez-moi celui de l'année d'avant ... Il est encore meilleur !
Mon grand-père maternel, Charles Hermet, était un homme bizarre ... Sortant de l'ordinaire, en tout cas. Il disparaissait pendant plusieurs années ... Parti à Paris, dont il était originaire ... Ou bien à Auxerre, qu'il aimait par-dessus tout semble-t-il ... Ou bien sur les bords de la Loire, où il posséda un château, disait-on... Ou encore à Pons, où il eut une propriété. La photographie le montre sévère, sûr de lui, petite moustache et le regard sans complaisance. On l'eût dit tout directement issu d'un livre de Guy de Maupassant : ... Bel-Ami ?
Il avait épousé Juliette Fégrai, ma grand'mère que je n'ai pas connue, morte jeune. Il l'avait aimée paraît-il ... Il en aima bien d'autres paraît-il aussi ... Son beau-frère, l'oncle Pierre Fégrai me racontait :
_ " Ton grand-père était un homme extraordinaire : Il était parti de rien, comme moi ... Nous avons tous deux débuté comme garçons de courses à la librairie Hachette. Il a été chef de rayon au Bazard de l'hôtel de ville ... Que sais-je encore ? Chaque fois qu'il n'avait plus un sou, il enfilait sa jaquette, prenait ses gants, son chapeau et sa canne ... Il filait sur les Champs-Élysées. Tu pouvais être sûr qu'il n'en revenait pas tout seul ... "
_ " Mais j'ai toujours pu caresser le ventre de mes maîtresses, affirmait-il : Je ne leur ai jamais fait d'enfants..."
Pour ma mère, il paraît qu'il avait rêvé d'un grand mariage ... Elle décida d'épouser mon père, jeune officier de marine ... Il en fut mécontent. Pourtant, dans l'album, je le vois descendre le perron de je ne sais quelle église parisienne ... Il donne le bras à ma grand mère paternelle... Dieu sait s'ils se sont détestés, ces deux-là ! Il avait déshérité sa fille ... Il la déshéritait tous les quatre matins semble-t-il ... Mais les enfants, à cette époque, n'était pas tenus au courant de ce qui ne regardait que les grandes personnes ... Je n'en sais pas plus par conséquent.
Chez nous, on ne le voyait que lorsqu'il avait flambé une fortune de plus ... Et il en flamba plusieurs, dit-on ! A la fin, je l'ai vu mettre de côté les allumettes brûlées pour les réutiliser, et j'ai vu sa compagne repriser ses chaussettes neuves pour les faire durer plus longtemps ... Il est vrai qu'il s'agit d'un autre temps ...
C'est à Saint-Georges que mes parent avaient fait connaissance, à la fin des années vingt je crois. Charles Hermet avait loué pour un temps une maison sur la place de l'église...
Il vêcut longtemps avec Céline, une Belge qui avait été sa bonne, ( Ah! Les amours ancillaires ... Ma foi, cela donnait parfois quelque chose de solide ...) A la fin de sa vie, c'est à Chéray qu'il est venu se réfugier, avec sa dernière conquête, Jeanne Daugy, dite par nous, fort irrévérencieusement, la Toutoune.
_ _"Vos plages oleronnaises sont belles, disait Céline, mais c'est dommage que l'on n'aperçoivent jamais une seule voile sur votre mer ..."
_" Malhonnêtes", criait-elle en nous courant après tout autour de la poudrière du Douhet ... Et nous échangions de grands éclats de rire ... " Malhonnêtes ! Je le dirai à Grand- Père ..."
Que lui avions -nous fait encore ? _ Il est vrai que nous ne l'avons pas ménagée ... L'enfance est dure ! "Grand-Père", lui, il n'entendait pas : Il était sourd comme un pot et il refusait catégoriquement de se faire poser un appareil auditif :
_" Ceux qui m'aiment bien n'ont qu'à faire un effort pour se faire comprendre ... Quant aux autres, je n'ai pas besoin de les entendre ".
_ Indiscutable, évidemment.
Le grand-père préparait à la Royale les filets des soles que nous pêchions ...
_" A la Royale ... Comme chez Prunier ! "
Et nous pêchions beaucoup de soles ...
C'était un fin cuisinier : Un jour, il se trompa de bouteille pour assaisonner la salade ...
_" Suzanne, dit mon père, il faudra garder les graines de ces tomates : Elles sont excellentes ... "
_ Tu parles, au lieu de mettre du vinaigre, il avait mis du Cognac ... Essayez donc : Vous m'en donnerez des nouvelles! ... Et surtout ... Gardez les graines !
Céline disparue, le grand-père avait quatre vingt quatre ans ... Il fit ensevelir sa compagne à Auxerre. Il saisit ensuite son carnet d'adresses, le feuilleta ... Et téléphona bien vite à Jeanne Daugy, qui demeurait à Royan.
_ " Jeanne, dit-il, je veux vous épouser... Si vous me le refusez, je mettrai fin à mes jours ... Je sais où trouver une carabine. "
Jeanne est très chrétienne, jeune retraitée des Postes. Elle a tout juste soixante ans : Elle accepte ...
_ " Nous voici à Chéray, chéri", dit-elle au grand-père en arrivant. _ Ils ont vécu ensemble encore pendant de longues années, dans une maison que mes parents avaient achetée pour eux. Sa centième année approchait lorsque mon grand-père est décédé.... La Toutoune lui a survécu pendant vingt ans.
_ " Et c'était vraiment une jeune-fille, disait le grand-père!"
_ " Et vous savez, le grand-père, il fonctionne encore! "
Admirable !
Quand je vous le disais, que le grand-père Hermet sortait de l'ordinaire ... Il avait été gazé dans les tranchées de la Marne ou celles de la Somme, je ne sais plus, alors qu'il était dans les zouaves. Il avait aussi porté le fez et les pantalons bouffants aux marges du désert algérien où l'on traçait des routes à la pioche et à la pelle ... En mille neuf cent trente neuf, il avait prévu qu'il y aurait la guerre ... Il ne devait pas être le seul ... Mais son originalité, c'est qu'il avait prévu que la ville de Royan serait bombardée ... Allez donc savoir pourquoi et comment ? Il possédait, dans les parcs de Royan, une jolie villa ... Il la vendit. Tout le mobilier qui s'y trouvait fut placé au garde-meubles ... A Royan ...
Que croyez-vous qu'il arrivât ? ... Le garde-meubles fut complètement détruit, évidemment ... Mais la villa Clair-Matin resta debout, solide sur ses bases. La seule chose qui fut récupérée dans les décombres du garde-meubles était une commode dont la marquetterie, exposée à la pluie, avait été très abîmée. Mon père et mon grand-père refirent la marquetterie en bois de violette et bois de rose.
Je vous le dis : Mon grand-père, même s'il ne fut jamais très tendre, c'était un type !
Où êtes-vous, tous ceux que j'ai croisés ou bien avec qui j'ai cheminé un moment, et puis vous vous êtes arrêtés soudain ...
Vos noms, sur les pierres tombales, font renaître vos images ...
Où êtes-vous, Gentil Fleury ... Et pourquoi votre nom surgit-il le premier ? Éclusier des chenaux et marais du Douhet ... Qui manoeuvriez les varagnes pour faire boire et déboire. Et puis, les jours de maline, vous partiez boëter vos lignes à touilles ... En avez-vous pêché, des touilles !
Où êtes vous Madame Legendre, née Barrouin, mère d'un Pemier Ministre de la France, que j'emmenais promener dans les bois de Domino, à bord d'une vieille deux-chevaux ? Vous fûtes bonne pour moi ...
Où êtes-vous, Louis Conil, et Suzanne, votre épouse, successeurs de Gentil Fleury au port du Douhet. En avez-vous pris, des anguilles, dans les nasses des ruissons ! En avez-vous transporté, des seaux d'eau, du puits jusqu'à vos champs de melons aux brillantes cloches de verre ! Vous fûtes les premiers à tenir table ouverte près du port alors ensablé jusqu'à la gueule ...
Le Père Mastic, peintre et vitrier à St. Georges ... Et quel peintre ... Et quel vitrier ! ... Ah! l'on savait prendre le temps faire du bon travail !
Le sabotier, dont le nom s'efface sur la dalle ... Qui maniait si bien la gouge pour creuser le bois blanc d'érable ou de peuplier ... Les jolis copeaux dorés, qui s'enroulaient sur eux-mêmes comme les boucles de l'Enfant-Jésus ! ... Quand je l'apercevais, en face de chez mon oncle Marc, je croyais voir St. Joseph !
"La Pomme," que je revois, tirant sa vache par le licou pour lui faire embouquer, de bon coeur ou de mauvais gré, le couloir de sa maison : L'étable était au fond du jardin ... La Pomme, à la pétanque tu pointais si bien, sur la place de l'église !
La vieille mère Barreau, que nous appelions "Barreau-la-Vache" pour la distinguer de ses homonymes. Nous l'aimions bien ... Trop pauvre sans doute pour posséder un pré, elle promenait sa bête tout le jour au bout d'une corde, la faisant paître au bord des fossés...
Aïcha et Carlin, qui demeuriez dans le souterrain d'un blockhaus désaffecté ... Crasseux ... Sales ... Mais où auriez-vous fait votre toilette ? Aïcha, enveloppée dans ses guenilles, et qui traînait invariablement derrière elle une remorque trouvée à la décharge sans doute ... En avez-vous fait, des kilomètres, dans de mauvais souliers ... Allant à la marée basse ramasser des jambes et puis, le lendemain, cueillant dans les vignes les poireaux sauvages... Vous ramassiez aussi la doucette dans les prés, et je vous vue en apporter une poignée, que ma mère vous achetait ... Lorsque vous aviez froid, vous enveloppiez votre visage dans une vieille écharpe ... Au retour au terrier, Carlin, votre compagnon vous flanquait la raclée si vous ne rapportiez pas de vin ...
Rrrrr ... râ ! ... Poirier, le garde-champêtre, son tambour et sa jambe de bois :
_ " Avissss... A la population .... "
Le père Maillet, qui demeurait à Foulerot ...Il était communiste ... ... Un jour, il dirigeait une équipe qui, à coups de pelles, s'efforçait de désensabler l'embouchure du canal du Douhet, juste sous le pont ... Lui, il était assis sur la rambarde, et ses pieds pendaient ...
_ " Tu vois, me disait-il, le Communisme, c'est ça : C'est moi qui commande, mais mon salaire est le même que le leur..."
Et l'on entendait ahaner les autres ...
"Compagnon ", vous voila donc ... Beau vieillard que je revois assis sur le banc de pierre, au seuil de sa porte ... On prenait l'air et on prenait plaisir à regarder passer les gens et les charrettes ... "Compagnon". On vous appelait ainsi, évidemment, parce que vous étiez un ancien du Tour-de France ... Je n'ai jamais su vraiment à quelle corporation vous aviez appartenu ... Il me plaît d'imaginer que vous avez été tailleur de pierres ... C'est beau, le métier de tailleurs de pierres... un haut-métier : On construit des églises et des cathédrales !
Louis Thibaudeau, mon ami, vigneron, pêcheur de soles et mareyeur des écluses de Chassiron comme de celles des Blanchardières ... "Fort comme un boeuf" ... Il mourut presque d'un seul coup, dans la soirée, quelques heures après avoir soulevé son tracteur en se glissant dessous ... " Ton tracteur ... Le voisin se mettait à râler chaque fois que tu en mettais le moteur en route ... Est-il vrai que tu le faisais un peu exprès, quelquefois ?"
Pierre Perroteau, dit le gros Pierre ... Mais s'il avait été gros un jour, je ne l'ai jamais connu comme ça ... Il a vécu sans rente et sans travail, vendant les terres familiales petit à petit ... Ah ! Si ... Il s'occupait du cadastre, à la mairie ... C'était l'ami de mon oncle Marc. Si mon oncle était Bouvard, alors c'était le Gros Pierre qui était Pécuchet : Ensemble il recherchaient les aubépines dans la forêt de Foulerot pour y greffer des melles, autrement dit des nèfles ... Pas un pied d'aubépine n'y a échappé et je connais encore des néfliers dans les fourrés ... Quant aux nèfles ... Ou bien elles avaient été ramassées trop tôt, ou bien elles l'avaient été trop tard, mais nous n'en avons jamais mangé de bonnes ... Au fait, ça se mange, ce fruit-là? ... Tous les deux, ils plaçaient des ruches et élevaient des abeilles ... Le Gros Pierre me faisait tourner la manivelle de l'extracteur. Nous faisions cela dans son arrière-cuisine, dont le plafond s'était écroulé, laissant pendre à moitié un vieux bois-de-lit ...
Norigeon, le cantonnier, grand et sec comme un sarment, As-tu emporté ton dail et ta pierre à affûter ?
Jean Renaud, de Sauzelle, te déplaçant avec un vélosolex parce que tes jambes refusaient de te porter ...Tu vécus dans un corps torturé et tu mourus martyrisé par la maladie. Jean, tu avais grand coeur, beau sourire et un grand appétit de vie. Tes infirmités n'ont jamais ralenti tes activités : Théâtre, voyages ... Jean : Un exemple d'amitié et de modestie !
Alphonse et Médélise Montaud, aux Boulassiers, chez qui je faisais les vendanges pendant les vacances, et le soir, nous faisions la treuillée ...
Alphonse et Alphonsine Blanchard, également aux Boulassiers ... Je crois bien que c'est chez vous que j'ai mangé pour la première fois un encornet avec son morat'....
_ " Lorsque tu pêches un encornet dans les écluses, fais attention qu'il ne crache pas son encre ... Tu le fais cuire avec ..." _ Et c'était vrai, que c'était bon !
Est-ce que ce n'était pas un Murail qui passait, deux fois par semaine, avec son tombereau et son cheval, pour ramasser les ordures ménagères ?
Henri Blanchard, que j'ai connu lorsqu'il avait douze ans, garçon au sourire doux, un peu triste ... Qui mourut d'une leucémie, à quinze ans !
Le boulanger Georges Boucheau, qui tenait Fournil à l'angle de la route de la Miscandière et qui faisait du si bon pain ... Nous avions de la chance, à St. Georges, nous avions deux boulangeries en activité et je vous prie de croire que le pain était bien levé et bien cuit !
"Lulu" Resteau, épicier et fils d'épicier, mon camarade ... Si fier d'avoir installé le premier magasin moderne à Chéray ... Si fier de ta réussite ... Et de ta belle voiture, qui t'a tué.
Le père et la mère Savinet, à la plage de Chaucre, qui faisaient si bien la soupe à l'oignon gratinée ... Le père Trépeau, qui ferrait les chevaux sur la place de l'église, dans les odeurs de corne brûlée ... Le père Pataud, au village de Lille, qui battait sur l'enclume le fer rougi, dans une volée d'étincelles ... Lucien Bertrand, le tonnelier, qui posait ses cercles dans un jaillissement de vapeur. Julot, autrement dit Jules Videau, chasseur de canards ... Et le manchot dont je ne sais plus le nom, qui demeurait au Trait d'Union et qui portait les dépêches pour le compte de la Poste : Est-il vrai que vous êtiez si fort pour braconner les halbrans dans les fossés, à coups de bâton ? ...
Le Commandant Giroin, un des derniers cap-horniers ... Un albatros figure sur sa tombe ... Et tous les autres, tous les autres qui fauchaient le blé, qui taillaient la vigne, qui tenaient les mancherons de la charrue ... Toutes les autres, celles qui faisaient cuire la beurnée du cochon, dans un grand chaudron de fonte posé sur un trépied ... Tous les autres qui touillaient la chaux vive dans une demi-bouée afin de s'en servir pour blanchir la maison, au premier beau temps de Pâques ... Toi qui taillas dans un bambou ma première canne à pêche ... Toi qui criais tellement fort que j'ai dégringolé du pommier ...
On allait chez Bertrand, le tonnelier. Sa femme tenait la petite épicerie, sur la place de l'église. Là se tenait le poste de "téléphone publique", le seul qui fût accessible dans le bourg.
Vous arrivez un soir d'automne, à la tombée de la nuit. Un timbre résonne lorsque vous ouvrez la porte. Vous attendez un peu dans la boutique , tandis qu'à côté, vous entendez racler les pieds d'une chaise .
En contrebas, dans la salle à manger, (On ne dit pas encore le living ), une ampoule est allumée au centre du plafond. L'abat-jour est en pâte de verre bleutée. Devant la table mise, toute la famille est assise.
_ "C'est pour le téléphone."
On vous laisse la place. Allez donc savoir où chacun se retire ! Vous êtes un peu gêné : Toutes ces assiettes à demi- pleines !
L'épicière tourne la manivelle, vigoureusement. Dès qu'elle obtient la demoiselle du standard, elle vous passe le combiné. Elle met alors le compteur en marche, puis elle quitte la pièce, elle-aussi ...
Le grand-père reste dans son fauteuil : Il a de la peine à se lever...Et puis il est tellement sourd ! ... Qu'est-ce que cela
peut bien faire ?
Après la Grande Guerre, il y eut une base d'hydravions à Gatseau, près de St. Trojan. Et puis elle fut transférée à Hourtin. Les bâtiments furent réutilisés pour y installer un préventorium.
A Boyardville, j'ai fait la sieste, pendant plusieurs mois ... sous la saucisse ...
Voici venir sous mon doigt une large photographie ... Mon père, ma mère , quatre ou cinq personnes encore, parmi lesquelles j'identifie Monsieur De Brossard, qui deviendra plus tard Amiral et Directeur du Service Historique de la Marine, l'Ingénieur De Broutelle, de la maison Zodiac , à Rochefort ... Leurs épouses je pense, jeunes et fraîches ... Tout le monde est assis dans les chaises longues. Mon père a le bras passé par_dessus la tête. Derrière, on distingue très bien des tentes de couleur kaki : Des tentes militaires.
Nous sommes au Centre de ballons-captifs de Boyardville, en mille neuf cent trente huit je crois. Il fait beau, le ciel est sans nuage. Il doit faire chaud. C'est l'été. Les pommes de pin doivent craquer en haut des branches tordues. Le camp est installé juste avant le fort des Saumonards ... Il y a un long bâtiment bas en béton ... Il y a devant ce bâtiment une plate-forme, en béton elle-aussi. La plate-forme est vide ce jour-là.
De quoi parle-t-on, en ce beau jour ? _ Je ne crois pas que l'on parle politique, ni même de quelque chose qui vous rendrait soucieux : On est sans souci !
Le Cèdre, petit navire de la Royale se balance en rade des Trousses ... Le sable est éblouissant, la mer scintille comme s'il y frétillait tout un banc de sardines. Peut-être parle-t-on de moi ? _ Oui, c'est bien possible ...
Est-ce la veille au soir, que j'ai fait des miennes ?
_ Oh ! " J'ai fait des miennes ! ... Allons avouez ... Vous avez bien ri, non ?
Jacquot, le marin qui était de corvée de cuisine, montait une mayonnaise au fond d'un énorme fait-tout ... Son ami Mathurin versait l'huile à la bouteille ...
J'étais là. C'était le soir. Sans doute je les importunais : J'avais cinq ans ! Ils me firent boire du vin rouge, dans un quart en aluminium ...
_ " Du gros- rouge qui tache ", disait Jacquot ... " Tiens, bois encore " ... Et il jurait en Alsacien. Mathurin devait bien rigoler...
Entendant du bruit, ma mère arrive. Elle trouve dans la cuisine une bonne douzaine de matelots : Celui-ci assis sur la table, celui-là sur une chaise retournée, les autres par terre ... Tout le monde chante et tout le monde frappe le rythme avec des fourchettes et des cuillères, sur les gamelles en métal ...
_ " Trabadja, la mouquère ... Trabadja bono ... "
Moi, j'étais saoul, mais saoul comme un Polonais ... Et je dansais la danse du ventre ... A cinq ans ! Ma mère, probablement, m'emmena bien vite jusqu'à mon lit ...
Peut-être est-ce de cela que vous parlez, assis dans vos chaises-longues, et peut-être est-ce cela qui explique le petit sourire, mi-complice, mi-contraint du "Commandant"? ( Mon père n'était alors qu'Enseigne de Vaisseau de Première classe, mais on l'appelait Commandant parce qu'il était le patron _ C'est ainsi, dans la Marine).
Mais revenons à la saucisse . Il s'agit d'un grand ballon, en toile caoutchoutée beige.
La plate-forme en béton est celle où l'on gonfle la saucisse . Quand elle est débarquée du camion, elle ressemble à un énorme chiffon, roulé, plissé. Et puis on l'a gonflée à l'hélium ... Ou bien c'était à l'hydrogène, je ne sais ... Lentement, progressivement, la toile a déplissé ses rides. Elle a commencé à se soulever par endroits. Un empennage est apparu à la queue. Enfin, après plusieurs heures de gonflage, le ballon est là, pachyderme à la peau tendue, qui sonne sous le doigt quand on la frappe ...
Le ballon est attaché au sol. Il ne s'élèvera que si on le libère ... A côté, il y a un câble, enroulé sur un treuil... On déroulera le câble le moment-venu, car il s'agit d'un ballon-captif, sans motorisation aucune. Mais, le plus souvent, c'est le treuil embarqué sur le Cèdre, que l'on utilisera : Le ballon est tracté derrière le navire et celui-ci fera des ronds dans l'eau, pendant des heures, entre Oleron et Ré, s'arrêtant parfois à l'île d'Aix ( La table du restaurateur y est bonne : On y trouve des homards et des huîtres excellents ) ... Ou bien s'arrêtant à Sablonceaux ...
C'est la société Zodiac qui construit ces ballons à Rochefort, et c'est ce qui justifie la présence de l'Ingénieur Debroutelle.
A quoi servent ils ? _ Ils ont été utilisés pendant la Guerre de Quatorze pour permettre aux observateurs de voir ce qui se passait derrière les lignes ennemies. Pour l'heure, il s'agit de tester l'utilisation des ballons-captifs pour la surveillance des sous-marins ... Et c'est pourquoi le Cèdre, sous le commandement du Premier-Maître Pessiot, fait des ronds dans la rade ...
Une autre photographie me montre mon père, casquette sur le crâne, jugulaire bouclée, faisant de l'acrobatie en se tenant aux filins : Il grimpe dans la nacelle pour y prendre place ... Mon père a été jeune, il a été souple, il a ri dans le vent ...
Du camp de Boyardville, les marins ont gardé le meilleur souvenir ... Moi-aussi, même si ma danse du ventre me laisse, aujourd'hui encore, quelques relents. Les matelots avaient beaucoup de liberté ... Ils en profitaient pour courir les taillis et les halliers ... Ils posaient des collets et attrapaient des lapins ... En mille neuf cent trente huit, il n'y avait personne , ni en forêt, ni sur les plages.
_ "Chut ! _ Ne dites rien au Commandant ! "
Ah ! Mais oui ... Bien sûr ... La photographie suivante explique la présence de Monsieur Debroutelle : Mon père est à la barre d'un canot qui, alors, devait paraître bien étrange ... Il navigue à la voile ... Il y a, à bord, ma cousine Marthe et ma mère aussi... De Brossard est là.
Cet étrange canot, aujourd'hui, vous le reconnaîtriez bien vite, sûr : Sa silhouette a fait le tour du monde ... Ce n'est rien d'autre que le prototype du "Zodiac", si commun de nos jours. Le "Zodiac" est construit avec de la toile à ballons. Il a permis à la société rochefortaise de survivre à la disparition des ballons-libres, ballons-captifs et ballons-dirigeables ... Mon père en a fait les essais à moteur dans la Charente, devant le bassin numéro trois du port de Rochefort. Il en a fait les essais à la voile entre Boyardville et le fort Boyard ... Naviguer grâce à des boudins pneumatiques ! C'était tout nouveau, génial et inattendu ... Saviez-vous qu'en ce temps-là, il y avait du persil qui poussait dans la cour du fort Boyard ... J'en ai ramassé ! Nous y débarquions avec le Zodiac.
Tous les jours, après avoir déjeuné, mon frère aîné et moi, nous quittions subrepticement la tente, et à l'heure où plombait le soleil d'été, nous partions nous allonger sous la saucisse ... C'est là que nous faisions la sieste. J'ai encore aux narines cette odeur de résine et de caoutchouc chauffé ... Que je retrouve un peu lorsque j'embarque dans un canot pneumatique ...
Parlerai-je des ballons-libres ? _ Il n'y en eut point, au camp de Boyarville, mais je les évoquerai tout de même : Mon père fut pilote de ballons-libres ... Il racontait qu'un jour, poussé par le vent, venant de Rochefort, son ballon passa à la verticale de l'hôtel des Pins, à Vert-Bois. _ Table fameuse, que celle de cet hôtel ! ... Il laissa traîner le guiderope, dont le grappin immobilisa le ballon ... Le temps de descendre un panier et de le remonter plein jusqu'à la nacelle ... Les restaurateurs n'étaient-ils pas aimables en ce temps-là ? ... L'histoire ne dit pas où le ballon se posa ... Mais peut-être ma mémoire est-elle défaillante : Peut-être s'agissait-il d'un ballon dirigeable ? Nous en vîmes de toutes les formes et de toutes les tailles.
L'année suivante, nous passâmes l'été à la maison du Douhet ... Elle existe encore : Longue maison blanche aux volets verts, avec cinq cheminées. Elle s'allonge au long de l'achenau, autrement dit, le long du canal. Cela avait été autrefois le bâtiment qui avait abrité les services du port du Douhet. L'éclusier y habitait encore, dans les pièces les plus proches de la route des Boulassiers. Cette maison appartenait à l'État et mes parents l'avaient louée avec un bail emphytéotique. Elle fut nôtre pendant plus de trente ans. Quelle merveille, que cette maison où nous passions les vacances ! Elle n'était pas en très bon état, mais mon père avait commencé à la réparer sommairement. Nous avions la disposition de quatre pièces, toutes en enfilade ... Au bout, nous avions un garage dans lequel nous rangions les outils de pêche.
Ma mère faisait la cuisine dehors, sous un auvent... Comme elle n'avait pas de fourneau, nous lui en construisîmes un en argile bleue, ramassée dans les marais... Nous alimentions ce foyer avec des pommes de pin et du bois que nous allions chercher dans la forêt, jusqu'à Foulerot. Quelles belles vacances ! Il nous était impossible de nous ennuyer : Le bois à transporter, les cagouilles à ramasser lorsqu'il pleuvait, les champignons, les asperges sauvages et surtout, surtout ... La pêche, la pêche sous toutes ses formes ... Nous n'étions pas bien vieux que nous suivions déjà notre père partout : à la pêche au carrelet ... Et nous transportions partout le carrelet portatif que notre oncle Marc avait fabriqué ... O les longues heures tranquilles, assis au bord d'un ruisson, espérant remplir l'épuisette avec des anguilles ! ... Le carrelet, nous le portions jusqu'au bout de la petite jetée ... L'épi de la tourelle ... Et là, lorsque la mer montait, nous attendions les moines ... Nous en avons pêché des éperlans!
Ils frétillaient dans la corbeille, comme autant de lames d'argent ... Il arriva que ma mère en fît frire de pleines bassines ! Mais nous pêchions surtout la sole ... Mon père fut, je crois bien, le premier à poser des tramails sur l'estran. Vous dire si nous en avons pêché, avec l'aide de Jacquot, qui faisait maintenant pratiquement partie de la famille ... Une photographie un peu pâlie montre mon père et Jacquot, dit Charlot , devant une table couvertes de soles et de raies. A côté, je suis accroupi, suçant mon pouce ...
La plage était à deux pas. Nous allions nous baigner à toute heure. Le port, construit autrefois pour accueillir les navires qui venaient charger le sel et le vin qu'acheminaient jusque là les gabares, était désert depuis longtemps. Il était ensablé jusqu'à la gueule ... Enfants, nous rêvions de le désensabler un jour : Nous comptions les barreaux qui apparaissaient, de l'échelle de fer accrochée à la jetée ... Suivant les courants, suivant les vents, nous comptions trois barreaux, ou bien quatre ou cinq et alors c'était gagné : Le port était en train de se désensabler, c'était certain ! Le lendemain, tout était perdu!
Sur le sable du port poussaient des oyats. En creusant ... En creusant très profond, on pouvait retrouver les bordés d'un vieux bateau de bois, à côté des portes de l'écluse ... L'écluse ne fonctionnait plus, bien sûr, mais, en principe, le courant du canal arrivait à se frayer un passage : Lorsque la marée était basse, le canal se vidait ... Quand elle montait, le canal se remplissait d'eau fraîche. Des poissons y montaient avec le jusant : mulets, anguilles, plies, abondaient.
Mais il arrivait souvent que le sable empêchât l'eau du canal de s'évacuer : Il fallait alors qu'une équipe, (...Et c'est à cette occasion que j'ai rencontré le Père Maillet) se chargeât, à coups de pelles, de désensabler l'entrée du canal. Si l'on n'y arrivait pas assez vite, alors que chauffait l'ardent soleil du mois d'août ... L'eau virait dans le canal : Elle devenait glauque, épaississait, et l'on ne tardait pas à voir les poissons tourner le ventre en l'air ... Nous avons sorti des centaines de kilos d'anguilles de ce canal ... Je me souviens qu'un jour, nous en avions rempli un canot ! Quant aux mulets, c'était au carrelet que nous les pêchions, ou bien en traînant un petit filet dans le canal. Nous avions tout loisir pour le faire : Il ne passait jamais personne ...
Mais cette année-là, au mois de septembre, alors que mon père et Charlot étaient perchés sur le toit, arrangeant les tuiles qu'une tempête avait bousculées ... Nous vîmes arriver deux gendarmes à képis ... Ils venaient annoncer la mobilisation et apporter à mon père l'ordre de rejoindre . Les vacances étaient finies. Nous quittâmes le maison du Douhet ... Nous la quittions pour six ans.
Retour en France en mille neuf cent quarante cinq. Nous habitons à Rochefort. Mon père est Commandant en Second de la base aéronavale. La guerre vient juste de finir ici : Les poches de Royan et de La Rochelle ont été les dernières régions libérées. Toute la durée de la guerre, nous l'avons passée au Maroc et en Algérie : Expérience différente ... Nous n'avons rien connu de la France occupée. Mon père est néanmoins l'un des premiers à entrer dans les décombres de Royan ...
A la première occasion, nous voici partis en Oleron ... A bicyclette ... Le grand-père et sa compagne, le père, la mère et les quatre enfants, dont la dernière a quatre ans et trône sur l'un des porte-bagages. Moi, j'ai quatorze ans maintenant. Mon vélo est équipé de drôles de boudins faits de rondelles de caoutchouc, découpées dans de vieilles chambres à air, et enfilées sur un fil de fer ... Les rondelles bien serrées, le fil de fer bien tendu, le boudin fait le tour de la jante et constitue un bandage acceptable, mais cela manque de souplesse !
Nous avançons en file, le grand -père en tête... Mais il bat tous les records d'imprudence et d'entêtement : Non seulement il est passablement sourd, mais il roule sans cesse au-milieu de la chaussée, si ce n'est carrément à gauche. Lorsqu'une voiture passe, à son goût, trop près de sa bicyclette, il s'en prend au chauffeur et crie avec véhémence. Nous aussi, nous crions, pour qu'il nous entende, à la fin, et veuille bien respecter le code de la route ... Il s'en prend à nous ....
Le pont-transbordeur de Martrou, la longue ligne droite qui mène jusqu'à St. Agnant, puis, dans les marais, celle qui conduit jusqu'à Marennes : Elle n'en finit pas de longer son canal et le vent nous est contraire ... Marennes, Le Chapus ... Cela fait bien trente kilomètres ... Et il en reste bien vingt cinq à parcourir dans l'île, une fois passés de l'autre côté. Heureusement, nous ne sommes pas très gênés: Il ne roule pas beaucoup de voitures ... Le petit bateau avec le marchand de merveilles ... Et puis à nouveau la route . Eh ! Nous avons parcouru plus de cinquante kilomètres, ma foi!
La guerre ? ... Il ne semble pas y avoir eu de guerre. Tout est calme. L'oncle Marc nous attend à St. Georges, assis derrière le rideau de perles et de bâtonnets de bambou qui sépare le salon du jardin ... Il n'a pas vieilli ... C'est le soir, les martinets décrivent de grands cercles dans un ciel très pur, piaillant dans les notes les plus aiguës.
A St. Georges, en six années, il semble ne s'être rien passé : Pierre Perroteau soigne ses ruches, Compagnon vient faire la partie de cartes le soir, la cloche sonne au clocher, le temps suit sa trace, au cadran solaire. Il fait chaud : Le chien est couché au pied de l'abricotier, le nez entre les pattes de devant : Il attend pour bondir qu'un fruit se détache ... Patience !. Au-dehors passe une charrette chargée de foin : Deux chevaux la tirent, et la mère Barreau ... "Barreau-la-vache", rentre sa bête. "La Pomme" et son frère, le "Grand-Augé," font sonner leurs boules sur la place, devant chez Trépeau qui s'active à la forge.
Mon village possède encore tous ses commerces : Il a deux boulangers, et qui font du bon pain ... Une pharmacie, un bureau de tabac, deux forges, l'atelier du sabotier, celui du réparateur de cycles, trois épiceries, peut-être même quatre, une pension de famille à la porte de laquelle sont accrochés une cage à serins et des pots de géraniums, une boucherie, une charcuterie dans laquelle travaillent les deux frères Renaud ... Il y a l'atelier du peintre, le Père "Mastic" ... Il y a trois ou quatre maçons ... Ajoutez-y les commerçants et les artisans de Chéray, qui sont encore plus nombreux : Il y a là le garage de Monsieur Verrat, pour les automobiles, le cinéma de Monsieur Gorrichon, le salon de coiffure tenu par "Cent-kilos," un hôtel, plusieurs cafés, un marchand de vêtements, une étude de notaire, deux boutiques d'électriciens, une boucherie, trois boulangeries, l'atelier du bourrelier ...
Nos villages vivent, les travaux suivent leur train dans les champs et dans les vignes ... Dans l'ombre des chais le moût s'assagit et le pineau prend du goût. Les marais-salants ne produisent plus guère ... Tout juste en reste-t-il quelques-uns en activité, entre Sauzelle et Boyardville ... Mais les éclusiers sont à leurs postes, l'acheneau navigue , les varagnes fonctionnent ... Les plages sont paisibles et magnifiques. Dans la forêt, des gemmeurs s'activent encore, raclant les troncs des grands pins et recueillant la résine dans des pots de terre ...
Les poules picorent, les vaches ruminent, les porcs engloutissent leur beurnée de betteraves et de pommes-de-terre. La ménagère, rentrée puisque le soir tombe, remue les braises de son potager, sort de son garde-manger le poisson pêché la veille aux écluses ... A moins qu'elle ne descende du haut du mât où il est perché, le tremble que son mari a pris à la foëne ... Déshabillé, il sèche au soleil, mûrit hors de la portée des mouches ... Elle ira ensuite tirer le seau du puits y quérir la bouteille de vin blanc et le beurre, qu'elle avait mis à fraîchir, puis elle allumera la lampe ... Les drôles et les drôlesses rentrent de l'école : On entend leurs galoches claquer sur les pavés, dans la cour ... Ils iront donner à manger aux lapins et ils aideront à traire la vache ... La grand'mère ne va pas tarder à rentrer ... Trop grosse, beaucoup trop grosse pour monter sur un vélo, elle s'est assise sur son crève-sot' ?. Vous avez déja essayé de pédaler sur ce genre de tricycle, vous ? ... Plus mariole qu'il n'y paraît ... En, tout cas, l'engin porte bien son nom !
Les mouches ... On chasse les mouches à coups de torchon, ou bien on les tue avec une tapette, d'un coup sec et bien ajusté ... Au centre du plafond, un ruban de papier collant pendouille, en spirale jaunâtre : Il sert de piège ... On dispose aussi des bouteilles contenant un peu d'eau sucrée, leur forme est particulière : Toute mouche qui y est entrée y bourdonne jusqu'à épuisement complet, sans pouvoir s'échapper. Les mouches, c'est une lutte sans fin ... C'est pire que les puces, qui pourtant vous obligent à vous gratter, gratter, gratter ... On a beau laver le chien aussi souvent que possible, la puce est là, souvent ... Il faut la chercher jusque dans les ourlets.
Nous ne coucherons pas dans la maison du Douhet : Les soldats allemands qui occupaient la batterie de blockhaus proche ont eu froid, pendant la guerre : Ils ont arraché nos plafonds et nos planchers pour faire du feu. Nous passerons les prochaines vacances dans une maison appartenant à Monsieur Murzeau, à Plaisance. Mon père réparera notre maison pour qu'elle redevienne vite habitable.
Il ne manque rien ou presque dans notre maison ... Il est vrai qu'elle n'était équipée que très succinctement ... Ah ! Si ...Et c'est le drame .... On a emporté le superbe voilier qui nous avait été offert : Pendant six ans, nous en avions rêvé ... Pensez donc, il devait bien mesurer un mètre cinquante de long ... C'était un matelot qui l'avait construit pour nous. Est-il parti en Allemagne? A-t-il fait le bonheur d'un visiteur bien Français ? ... Qui le saura ?
_ " Tu vois, ce truc -là ? "
_ " Qu'est-ce que c'est, un fil électrique ? "
_ " Oui, mais regarde-bien de quoi est faite sa gaine rouge ... C'est de la matière plastique, et cela va révolutionner le monde. "
Au Douhet, il y avait une batterie de blockhaus, juste à côté d'une villa qui s'appelle La Grimpette . La villa regorgeait de postes de radio : Je n'en ai jamais tant vus ... Postes récepteurs réquisitionnés par l'occupant chez les Oleronnais, de toutes tailles, de toutes couleurs et de toutes formes ... Et puis, un peu partout des lampes radio : Quelqu'un devait bricoler ici ...
Dans le sable de la dune, devant la façade, des petits drapeaux sont plantés, pavillons rectangulaires en tôle peinte, rouges... Amusant ! Nous commençons à les ramasser ... Chacun peut prendre ici ce qu'il veut ... Mais il ne reste pas grand'chose : D'autres se sont servis ...
_ " Ne touchez pas à ces drapeaux ! "
_ " Quoi ?"
_ " Ce sont des repères qui signalent les mines antipersonnel ! "
Brr ... Mais les mines ont dû être ramassées déjà ... Nous passons sans anicroche ... D'autres, en plusieurs endroits, n'auront pas notre chance... Nombreuses seront les personnes, les enfants surtout, qui y laisseront un bras, une jambe, si ce n'est la vie ...
Devant les blockhaus, des plates-formes circulaires signalent l'emplacement des canons ... Les a-t-on enlevés ou bien n'ont-ils pas eu le temps d'être posés ? ... En tout cas, je n'en verrai aucun ... C'est égal, la batterie était bien placée : Juste en face, on aperçoit l'entrée du port de La Pallice et son môle d'escale, à la pointe de l'île de Ré ... Une escadrille les a bien pris pour cibles ... Mais les a manqués : Les bombes sont tombées dans les marais, près du village de l'Ileau ... Les cratères qu'elles ont creusés feront d'excellents trous à anguilles ...
Certains blockhaus sont des boyaux souterrains qui font communiquer plusieurs pièces entre elles ... La soldatesque devait vivre là. D'autres, ceux qui auraient dû abriter les canons, émergent de la dune et ont de larges ouvertures. Sous leurs voûtes épaisses de béton, de grosses boîtes à fromage, ou des boîtes de films de cinéma, s'empilent : Les mines antichars, dans l'attente d'une évacuation pour des lieux plus sûrs. Les boîtes sont si nombreuses qu'elles montent jusqu'à la voûte. Des obus aussi, des douilles d'obus de gros calibre ... Et des stocks invraisemblables de sachets de poudre à obus ... De quoi trembler, rétrospectivement ! _ Dans une petite maison , et dans le moulin du Douhet, Nous avons découvert des équipements très divers : Cela allait de la musette en toile au ceinturon... C'est là que nous avons vu pour la première fois un équipement destiné aux nageurs de combat ... Non pas des palmes pour les pieds, mais des gants palmés ... Depuis, je n'en ai jamais revus ... Des instruments d'optique bizarres ... Des outils ...Des appareils électriques mystérieux ... Et encore des postes de radio réquisitionnés !
Il paraît que nos lits, qui avaient disparu de notre maison du Douhet, devaient se trouver dans les blockhaus de la batterie ... Nous ne les y avons pas trouvés ... Des traces de roues de charrette, dans le sable, nous ont laissé deviner où ils étaient partis.
Il ne dût pas y avoir de combat, à la batterie du Douhet : Nous n'en avons pas trouvé de traces.
_" Au Douhet, c'était surtout des Autrichiens ... Des vieux ... Ils venaient à la ferme tous les soirs pour chercher du lait. Ils restaient bien souvent pour faire avec nous la partie ... Ce n'étaient pas de mauvais bougres. "
Par contre, au sommet de l'une des petites dunes, derrière la jetée de La Vieille Perrotine, j'ai vu deux tombes anonymes : Simples monticules de sable parmi les oyats, avec deux croix de bois, surmontées chacune d'un casque d'acier ...
Du côté de St. Trojan, entre deux petits bosquets de pins, à un endroit qui est maintenant bâti, il y avait un petit cimetière : Quatre tombes identiques à celles de La Vieille Perrotine ... Avec des casques d' acier aussi.
_ " Tu sais, nous sommes arrivés devant le blockhaus, je tenais la mitraillette à la hauteur de ma ceinture ... Sort de là un grand diable qui avait un calot sur la tête ... Il levait les deux bras en l'air, aussi haut qu'il le pouvait ... Je n'ai pas pu résister au plaisir : Rrra ! ! ! ..."
Le " Résistant " qui me raconte ses exploits ne paraît pourtant pas ... Peut-être un peu fort-en-gueule, tout au plus ...
Encore des postes de radio réquisitionnés, dans la maison de Mademoiselle Oriou, à St. Pierre, près de la mairie ... C'est là que se trouvait la Kommandantur ... Je n'aurais jamais cru qu'il put y avoir tant de postes en Oleron ... Restait-il dans quelque ferme un quelconque poste à galène pour capter les émissions de la B.B.C. ?
Dans tous les près, sur toutes les bosses de marais, de hauts piquets avaient été plantés ... Les asperges à Rommel , destinés à empêcher les planeurs de se poser ou les parachutistes de prendre pied. On en avait coupé des perches ... On en avait plantées : Il y en avait partout ... Mais aucun planeur n'est jamais venu là, aucun parachustiste non plus ... La Libération, ma foi, a dû être assez facile ... D'autant que le sol Français était partout libéré depuis longtemps ...
C'est de cette guerre que datent les tombes anglaises des cimetières de St. Denis, de St. Georges et de St. Trojan :
_ " A British soldier ... Known onto God ... "
Certaines stèles portent des noms, mentionnent des âges, indiquent l'arme et le corps d'origine ... Soldats qui se trouvaient dans des avions abattus ... Les corps ont été recueillis sur nos plages ...
Les services britanniques sont attentifs à l'entretien des tombes. Chaque automne, pour le onze novembre, les enfants des écoles les fleurissent ... Par contre, les corps des soldats allemands ont été regroupés en d'autres lieux : Il n'y en a plus dans l'île ...
Aussitôt après la fin de la guerre, et avec l'aide du Plan Marshal, la France se mit à reconstruire. Les maires des grandes villes, et parmi eux ceux des villes de la couronne parisienne se mirent à bâtir des tours et des barres ... Des empilements, des entassements de H.L.M. et de cités.
L'exode rural commençait. Il se faisait peu sentir encore, dans nos villages, mais il commençait bel et bien ... Les fils et les filles des vignerons et des pêcheurs partaient pour la ville ... Là où se trouvaient les usines et les salles de cinéma.
En même temps qu'elles prévoyaient les logements... ( Ne soyons pas méchants : Certains disaient les clapiers ...), les édiles s'organisaient pour que les enfants des nouveaux citadins puissent bénéficier du bon air. Comme il n'était guère facile, à l'instar des recommandations d'Alphonse Allais, de construire les villes à la campagne , on s'arrangea, du moins, pour que les enfants puissent, une fois par an, courir dans les près, se vautrer sur le sable des plages, plonger dans les vagues ... " Des esprits sains dans des corps sains " ... Je revois les affiches collées sur les murs, sur lesquelles courent des fillettes et des garçons levant les bras vers le soleil. D'ailleurs, la plupart des villes de la région parisienne n'étaient-elles pas tenues par des municipalités communistes, et Le Parti ne faisait -il pas vingt cinq pour cent des voix dans le pays ... Pour le moins!
On a souvenir encore, sans doute, des modèles fournis par l'Union Soviétique, ses Pionniers au foulard rouge.
Des émissaires parcoururent le littoral, achetèrent ou louèrent toutes les bâtisses qu'ils purent trouver, à condition qu'elles fussent assez vastes et, si possible, entourées de vastes prairies. C'était l'époque des colonies de vacances ... Il ne fut guère difficile de les installer : Toute une classe sociale avait été affaiblie par la guerre, des manoirs, des châteaux, des domaines et des fermes, même étaient à saisir, souvent assez délabrés, mais tout à fait convenables pour que l'on y installât des lits de camp à tous les étages : Après tout, les enfants ne venaient que l'été, les installations pouvaient donc être sommaires.
Et l'on rencontra de plus en plus souvent, sur les bas-côtés de nos routes, des files d'enfants venus de Paris, encadrées par des jeunes gens guère plus âgés. Certains parcouraient plusieurs kilomètres tous les jours pour aller à la plage. Ils chantaient des rengaines :
_ " Un kilomètre à pied, ça use, ça use
Un kilomètre à pied, ça use les souliers ...."
Du moins, ceux-là chantaient ... Sur la plage, ils formaient des attroupements et même, parfois, ils jouaient au ballon !
Il y avait des colos partout : Dans le Château Fournier, à Plaisance, au Castel Nivernais de Chéray, à la Maison heureuse de Boyardville, à la Boulinière, dans la propriété du Bois, à La Gibertière ... Il y en avait à Chaucre, il y en avait à Domino ... Et dans la quasi totalité des villages oleronnais.
Je fus invité, un jour, à la fête qui se donnait à la Vignerie, près de Chéray. C'était une colonie tenue par la municipalité de l'une des villes rouges d'Ile-de-France ... Je crois qu'il s'agissait de celle de Bagnolet ... Mais cela aurait pu aussi bien être Suresne ... Que sais-je encore ?
La Vignerie ... Une colonie ne saurait jouir d'installations plus favorables : Immenses espaces verts, terrains de jeu, bâtiments en excellent état ...
La fête se déroulait dans la prairie. Une estrade était dressée ... Des enfants de six ans y jouaient une scène, brandissant des fusils en bois équipés de simulacres de baïonnettes ... L' Internationale retentissait, issue des bouches des hauts-parleurs ... Qui baissaient le ton, parfois, pour laisser place aux paroles prononcées par un adulte :
_ " Parole à nos pauvres frères opprimés d'Espagne! "
Et les petits garçons posaient le pied sur la poitrine des fillettes allongées, pointant les baïonnettes sur leur coeur.
Je n'ai pas oublié les noms des Oleronnais qui étaient là, et qui applaudissaient ....
_"Allume la lampe à pétrole, le soir commence à tomber."
Ma mère a épluché les pommes de terre. Elle gratte les soles pour le repas du soir. Elle les fera frire dans la grande poêle ovale.
Précautionneusement, presque cérémonieusement, je prends la lourde lampe qui était sur le buffet. Je la pose sur la table. Le réservoir de pétrole est un globe de verre décoré de stries ... On le croirait en cristal taillé. Le haut de la lampe est en laiton. Le verre s'enfle, à sa base, d'une bulle transparente. Je monte la mèche un peu, en tournant la molette. La mèche a été mouchée, elle présente une tranche nette et blanche. Prendre le verre entre les doigts... Attention, c'est fragile ! Le poser sur la table, de tout son long ... Le bloquer avec le manche d'un couteau pour qu'il ne roule pas et ne tombe pas ... La boîte d'allumettes, une grosse boîte ménagère est dans le tiroir du buffet ... Allumer ... Baisser un peu la mèche, pour diminuer la flamme ... Remettre le verre à sa place : La flamme file, elle s'étire et s'élance beaucoup trop haut, et charbonne. Baisser la mèche encore un peu ... Là ... La lumière dessine un rond sur la toile-cirée, et saute sur le mur. Prendre la lampe ... Encore plus précautionneusement, plus cérémonieusement que tout à l'heure. La reposer sur le buffet. Elle a pris sa place ... La lumière, sur le mur de la pièce, est montée un peu plus haut.
_ " Tu veux bien aller jusqu'au puits pour me chercher un seau d'eau ? "
_ " Je vais y aller, mais après, il faudra que je prépare les lampes à carbure pour aller à la pêche ce soir avec mon frère."
_"Vous allez encore à la côte ce soir? Mais vous n'avez pas posé de filets. Nous sommes en plein mort-d'eau . "
_" Nous irons à l'ouillage : La lune est noire et il y a du son de mer dans la Malconche ... Écoute ... Il devrait y avoir des mulets."
_" Quand tu auras préparé tes lampes, tu prépareras tes vêtements pour aller à la côte . La marée basse est à minuit, ou presque ... Vous n'allez pas revenir avant deux heures du matin... Il ne fera pas forcément très chaud à cette heure-là. "
Je vais chercher le seau d'eau, pour ma mère. Elle remplit sa bassine et y jette ses pommes de terre. Je vais décrocher les deux lampes à carbure qui se trouvent dans le garage. Je m'installe dans la cour : Le carbure sent fort ... La plupart des gens trouvent qu'il sent mauvais, mais moi, j'aime cette odeur : Une odeur alliacée dit le dictionnaire ...
Une lampe à carbure, la plupart du temps, cela se présente comme une sorte de gamelle métallique d'une trentaine de centimètres de haut. On la dévisse en deux parties. Un joint en caoutchouc fait l'étanchéité car, ma fois, cette lampe se compose de deux réservoirs superposés. Dans le réservoir supérieur, on met de l'eau, dans le réservoir inférieur se trouvent les morceaux de carbure. Le carbure, cela se présente comme une pierre grise, que l'on conserve dans une boîte en fer bien fermée, car il est avide d'humidité. On vide les restes de carbure qui sont demeurés dans la lampe : Cela ressemble à de la cendre, que l'on répand à terre. On casse les morceaux de carbure frais ... A grands coups de marteau, car c'est très dur ... Une fois que les deux réservoirs de la lampe sont remplis, on les revisse l'un sur l'autre ... Un étrier reste à serrer tout en haut, pour bien ajuster l'ensemble. Prendre un poil de brosse à habits ... Ou un poil de balai de soies ... Déboucher le bec de porcelaine qui se trouve en haut : La lampe a charbonné, lors de sa dernière utilisation et le bec est bouché ... Ne jamais utiliser un fil métallique : Il abîmerait la porcelaine.
Faire un essai : Vous ouvrez un peu le petit robinet placé à côté du bec ... Vous attendez que l'eau, qui tombe goutte à goutte sur le carbure ait mouillé celui-ci, ce qui produit le gaz acétylène ... Vous allumez : La flamme est claire, franche, aveuglante ... Fermer le robinet : Le gaz cessera de siffler et la flamme s'éteindra ... Réglez le réflecteur qui se trouve derrière le bec ... C'est prêt ... Mêmes manoeuvres pour la deuxième lampe. Quand ce sera terminé, j'accrocherai les deux lampes à leurs clous, et je préparerai la boîte d'allumettes ...
Aller à la pêche à l'ouillage , c'est aller à la pêche au feu, à pieds, en marchant dans l'eau. On a toujours pêché ainsi en Oleron. Mais il y a assez peu de pêcheurs assidus : Il faut du courage pour se lever à n'importe quelle heure. Il faut aussi, et surtout, une parfaite connaissance de l'estran, afin de pouvoir toujours s'orienter, même par temps de brouillard. Et l'arrivée subite du brouillard, cela se produit parfois ... Dans les années cinquante, tout un groupe d'Oleronnais s'est noyé, au creux Jean-Charles. Il y eut un seul rescapé : Un prêtre qui fut le seul à trouver la bonne direction à la marée montante.
_" Tu t'es reposé un peu ? "
_" Tu parles ! Je venais juste de m'endormir ... J'ai rêvassé ... Et puis il y a eu des moustiques. "
Le père ne vient pas ce soir. L' ouillage, ce n'est pas sa pêche. Bon ... Ne pas faire de bruit, pour ne pas réveiller les parents. Enfiler les vieux vêtements que l'on avait préparés. Ne pas oublier de mettre un pull en laine sur la peau : Même mouillée, la laine tient chaud. Des pantalons qui n'ont plus ni couleur ni forme ... Mais, pour aller les tremper dans l'eau de mer !
La gourbeille en osier dans le dos, sa courroie passée en bandoulière ... L' espiot' ... Ah! l' espiot' ! ... Chacun a le sien, bien à sa main ... Nous faisons forger les nôtres par le père Pataud, à la forge du hameau de l 'Ile ... Il est le seul à savoir encore faire la différence entre un outil pour pêcher du poisson et le même, fait pour retourner les roches lorsqu'on va ramasser des crabes ... L' espiot' n'est pas un vulgaire crochet, ce serait plutôt un sabre, plus fin , plus léger, à la courbe moins prononcée. L' espiot' ... C'est effectivement un sabre : On sabre le poisson... Et tout l'art, c'est de ne pas l'abîmer, d'éviter de le couper en deux : Là, juste sur le museau du mulet, il faut frapper ...
_ " Il est bon, ton espiot' ?
_ " Bien équilibré. J'ai le manche bien en main ... Et puis il est plus léger que l'ancien ..."
_ " Tiens, voilà ta lampe à carbure. Je prends la mienne. "
_" On ne les allume pas avant d'être arrivés à la côte ..."
_" Bien entendu : Le vent nous éteindrait la flamme avant que nous soyons en pêche."
_" Surtout ... La lumière nous éblouirait et nous n'y verrions rien pour nous repérer... Où allons-nous, vers la Grand'-Banche ?
_" Nous avons un tout petit coefficient ... La Grand' Banche, c'est bien ... On pourra terminer en revenant par le creux Robert.
Nous refermons la porte le plus doucement possible. Nous attrapons tout de suite la dune. Avec des bottes, on marche mal dans le sable ...
Voici les premières flaques. Dans la nuit, on distingue les roches, à droite, et le mur des Blanchardières à gauche. Les semelles claquent en éclaboussant. En face, la mer luit faiblement : Il n'y a vraiment pas de lune, et c'est bon signe car la clarté de la lune affaiblirait tout à l'heure celle de nos lampes ... Tout à droite, paraissant plus éloigné qu'il ne l'est en vérité : Le halo d'une lampe, puis deux ... Les Bouiller, sans doute, qui sont à l' ouillage dans la Malconche, près de Plaisance ... Ils habitent juste à côté.
_" Le rouleau déferle. Il y a du son-de-mer : Les Bouiller sont forcément là. "
Droit devant, le phare de l'île d'Aix clignote ...Tout à fait à gauche, c'est le pinceau de Chassiron qui balaie le sommet des pins et des dunes. Tant que les feux sont bien visibles, on peut se repérer ... Il n'y a pas d'inquiétude à se faire. D'ailleurs, une nuit comme celle-là, on voit très bien, sur la ligne du continent les lumières de Fouras, celles de Chatellaillon, puis celles de La Rochelle, de La Pallice et de l'île de Ré. Il est certain que, par temps de brouillard, on ne distingue pas aussi bien les feux ...
_" Oui, mais nous connaissons si bien la côte ... Vous pensez si on a l'habitude ... Nous connaissons tous les rochers, tous les cailloux, toutes les coursières . Nous pouvons nous repérer partout ..."
Vantardise, un peu ... Mais dans l'ensemble, il est vrai...Nous sommes arrivés à la laisse de basse-mer.
_"On allume les lampes ? "
On allume les lampes ... En protégeant le bec avec la main ou avec la casquette ... Il y a du vent ... Il faut lui tourner le dos. On dévisse légèrement le robinet du pointeau ... L'acétylène se met à chuinter ...
_" Cré nom d'un chien ! Les allumettes sont mouillées ! "
_" Tu ne les avais pas mises à l'abri ? "
_ " Tu parles ...J' avais enveloppé la boîte dans un sachet et je l'avais gardée sous ma casquette ... "
_" Bon ... Ne te fais pas de bile, j'en ai aussi."
L'allumette est grattée au ras du bec ... Petite explosion ... Crachotements ... Aveuglement ...
_" Tourne ton réflecteur ... Tu nous en mets plein la vue !"
Nous voici dans l'eau jusqu'aux genoux. Chacun de nous est précédé d'une flaque de lumière ...
_" C'est bien .. L'eau n'est pas trop claire ...Quand elle est trop claire, le poisson ne monte pas à la surface."
Clapotements ... L'espiot' est bien en main, la lame posée sur l'épaule droite, prête à frapper. Nous traînons les pieds sur le fond, pour ne pas faire de bruit ... Un concrâ sous les algues ... Il n'est pas très gros ... Et puis les congres, il y en a des quantités ... L'autre jour, nous en avons ramené nos pleines corbeilles. Alors aujourd'hui ... A moins d'un très gros ... A la limite extrême de la nappe de lumière fusent des milliers de fléchettes ardentes : Des moines ... Laisse aller !
Nous marchons à la même vitesse tous les deux, sans parler. Le premier de nous deux qui aura tué un poisson sifflera peut être, sur trois notes, pour avertir ... A moins qu'il ne soit tombé, vraiment sur la bonne aubaine ... Auquel cas il risque bien de ne pas siffler du tout ... ("Je l'avertirai lorsque j'aurai rempli ma corbeille.")
_" Je t'ai entendu cogner ... Tu as eu quelque chose? "
_" Rien ... Une tanche."
Une tanche, que les Bretons appellent une vieille . C'est plein d'arêtes ... C'est bon pour la soupe de poissons ... Mais c'est beau, dans l'eau ... C'est tout coloré de bandes rouges et vertes.
Quelques petits bars ... O ! Pas bien gros ! ... Et puis ... Arrêtons-nous : Il faut prêter l'oreille ... C'est ça ... Ce sont eux, les meuils ... Des mulets du large ... Ils sautent ... Ils ne sont pas très loin de moi. Attendre.
Coup d'oeil vers le frangin : Il n'a rien entendu sans doute, il continue. Derrière, une autre lampe s'est allumée : Celle-là, à coup sûr, c'est Louis Thibaudeau ... Il avait posé un filet là-bas.
Les coups de queue se font plus proches puis ... En voilà un... Ils sont beaux ... La taille de ceux que nous appelons des litrons entre nous, on comprendra aisément pourquoi. Le dos noir, les flancs couleur de vif-argent ... Prière, pour qu'ils viennent à la lumière ... Reprise en main du manche de l' espiot' ... Ils sont là !
Tu avances un peu ... Le fond descend. Il est vrai que nous ne sommes pas loin du creux Robert. Un peu plus loin, là-bas, on distingue très bien, violets, les rochers que l'on nomme les grains. Ils émergent à peine. L'eau te monte très vite jusqu'à la taille, puis bientôt jusqu'aux aisselles. Elle est tiède. Il n'y a aucune vague .... Des phosphorescences ... A peine une risée qui court. Les poissons sont toujours là, presque à portée ...
Tu avances, tu avances ... Te voilà sur la pointe des pieds ... Tu marches comme une danseuse. Dans ton dos, la gourbeille flotte ... Tu maintiens les coudes hors de l'eau. La main gauche élève la lampe à hauteur de ton visage, l'espiot' est prêt à frapper. C'est sûr ... Si quelqu'un t'observait sans savoir ce que tu fais, il se poserait des questions sur ta santé mentale ... As-tu sifflé ? _ Je crois bien que tu n'as pas sifflé ... Qu' est-ce que tu attends pour siffler?
Un poisson s'approche à la surface ... Deux ... Puis trois ... Longs comme le bras, pas moins ! Vlan ! ... Et d'un dans la corbeille ... Il faut l'y enrouler pour l'y faire entrer tout entier. Deux ... Il semble maintenant que les coups frappés jouent un rôle attractif pour tout le banc de poissons ... Et il y en a ! ... Combien en ai-je tués ? En dix minutes, j'ai rempli ma corbeille ...
Il y en avait encore ... J'en ai bourré mon blouson, en les y enfilant par la fermeture à glissière ... C'est froid, c'est lisse, certains tressaillent et tressautent ... Je n'en ai pas abîmé un : Tous frappés sur le nez. Où les mettre maintenant ? ... Plus de place ... Je siffle ... Mon frère répond ... Il arrive ... Il n'y a plus rien : Tous les mulets sont partis. Nous n'en reverrons pas cette nuit-là. D'ailleurs, la marée a déjà remonté ... Nous voici rendus près du bourgnon des Blanchardières. Rentrer maintenant.
_ " Éteins ta lampe, nous y verrons mieux ... Là, droit devant, tu vois la maison ? "
Un courlis siffle quelque part dans les marais. Dans nos bottes, tandis que nous avançons dans le sable sec, l'eau clapote. S'appuyer en avant sur l'espiot' , relever la jambe en arrière, en pliant le genou ... Vider les bottes ... Un bruit d'écoulement ... Les jambes sont moins lourdes à traîner. Mais le clapotis continue. Tout ce poisson, dans la corbeille et dans le blouson ... Combien de kilos ?
_" Tu veux que je t'aide à les porter ? "
... Pensez donc !
_" Eh ! Commandant ! La marée est faite ! "
Nos parents se lèvent, curieux : La grande table de la salle à manger est couverte de mulets, bien alignés ... Et des mulets du large, avec le dos noir ... Ils ont les ouïes bien jaunes : Ils sont donc gras ! Chacun d'entre eux est gros ... Comme mon bras !
_" Alors, Commandant ?"
J'ai eu la curosité de chercher pourquoi cette technique de pêche s'appelle, chez nous, l'ouillage ... Le Grand Robert me dit :
_" Ouiller. Verbe transitif. (Aeuller au XIIIeme siècle, contraction d'aouiller, comp. ancien d'oeil, proprement "remplir jusqu'à l'oeil (la bonde) du tonneau") ... Songeant comment je m'immergeais dans l'eau tiède, jusqu'aux aisselles, les coudes relevés comme des ailes de pigeon ... Oui, je suis certain que c'est bien de là que cette pêche tire son nom ... Une ouillette, vous savez ce que c'est, chez nous ? _ C'est un entonnoir, pour remplir le tonneau jusqu'à la bonde ...
A midi, le lendemain matin, nous irons pêcher des palourdes. C'est tout juste si, dans notre sommeil, nous aurons entendu la trompe du marchand de poisson : Quatre coups brefs, puis un coup long ... Qu'avons-nous à faire du marchand de poisson ? La camionnette du boulanger est passée, elle-aussi : Trois coups longs ... Un coup bref ... C'est le boulanger de La Brée qui passe ici. J'ai entendu ma mère lui parler. Tous les commerçants font des tournées, ou presque tous ... L'épicier de Chéray ... Le boucher de St.Georges ... Le jardinier de Foulerot, qui vend ses salades et ses poireaux...
Nous allons parfois au bourg, à bicyclette, mais c'est plutôt pour ramener le carbure, qui est vendu à l'épicerie ... Tous les soirs, nous allons chercher le lait, à pied, jusqu'à la ferme de l'Ileau, en passant par le chemin qui longe le canal. Les anguilles sapent de la goule dans la vase. Chaque fois, cela fait le bruit d'un baiser. Un poisson, parfois, fait un rond dans l'eau ... Il y a longtemps déjà que le sable bouche l'entrée du canal .... L'eau commence à être lourde et verdâtre. Parfois nous nous arrêtons pour regarder un pêcheur relever son carrelet ... Le soir tombe, le pêcheur va bientôt tirer sa perche et démonter ses alarmes... Passe un gran-duc. Il siffle et agite lourdement les ailes, au ras des buissons. Le pêcheur va plier son filet. Il repartira à bicyclette, les longs bois liés au cadre de sa machine, dépassant largement à l'avant et à l'arrière. Parfois nous avons la chance d'assister à la remontée du filet au moment où il y a du poisson ... Les mailles se diamantent de gouttelettes qui s'égouttent ... Cinq, six anguilles, parfois, se tortillent ... L'une d'elles a réussi à glisser par-dessus bord ... Elle a replongé dans l'eau ... Le pêcheur tape dans le creux du filet avec son épuisette pour y faire retomber les autres. Il cueille le tout, en un seul mouvement, et déverse ses prises dans sa caisse ...
_"Dis-donc ... Il a l'air d'y en avoir! ... C'est un temps d'orage ... Et si nous allions poser des lignes de fond ce soir ?"
Tout au long du canal nous avançons vers l'Ileau, suçotant les tiges des fenouils, ramassant des cagouilles quand il y en a. La chaînette du couvercle du pot à lait tintinnabule.
Nous attendrons à la porte de l'étable : La fermière, assise sur un trépied, tire les pis d'une vache ... En cadence, sur un rythme binaire ... Elle a attaché la queue de la bête pour être tranquille ...
_" Oh la ! La Rosette, Vas-tu te tenir tranquille ... Qu'est-ce que tu as ce soir ? "
Le lait gicle par à-coups dans le seau, qui se remplit petit à petit. Une écume blanche et mousseuse se développe et s'élargit.
_" Tu en veux un bol ?"
Dieu, que c'est bon, le lait tiède !
_" Allons, la Noire, as-tu fini de donner des coups de pieds dans mon seau ... O mais, c'est qu'elle ne se tiendra pas tranquille ! ..."
Le fermier, lui, apporte du foin, fourchée par fourchée, et garnit les mangeoires ... Odeurs fortes ... Remugles ... Bruissements et beuglements à nul autre pareils...
Retour par le canal : Cela fait un kilomètre et demi à l'aller, autant au retour, en chantant, souvent.
_" Mais bon sang ... Qu'avez-vous fait en route pour mettre si longtemps ? "
Nous n'avons rien fait de spécial, mais nous avons vu le héron, nous avons entendu siffler le pluvier, vu passer les sarcelles. Nous avons regardé le pêcheur et son carrelet, observé l'éclusier qui tournait sa manivelle en relevant la varagne ... Dans les tamaris, nous avons entendu siffler le vent ... Et puis nous avons trouvé une mante religieuse ... Tu te rends compte : Une mante religieuse ! ... Dans le petit marais, près de la route, deux couples d'avocettes dansaient ...
_" Et puis, regarde, maman ... Je t'ai rapporté des escargots. Ils grimpaient le long des hampes, dans les fenouils et les palènes."
_" Il y aura de la rosée cette nuit."
Les prunes sauvages, sur les talus du ruisson seront bientôt mûres ... Mais elles m'ont encore fait grincer les dents ... La bourrache est fleurie , il faudra la ramasser pour faire les tisanes, les tisanes pour la toux et les bronchites ...
Le dimanche matin, nous allons à la messe à St. Georges, à pieds, mais en passant par l'autre côté du canal, où se tortille un sentier qui, entre les herbes folles, n'est guère plus qu'une trace ... Une bonne heure de marche ... Souvent, une alouette gicle sous nos pas ... Très haut une ou deux buses font du vol à voile ... Les grands marais-salants sont à sec, la plupart du temps : Les sauniers ont abandonné leurs outils depuis déjà longtemps...
Des marais de plusieurs hectares, découpés en carrés ou en rectangles, dont les diguettes s'affaissent. Des milliers de coquilles de sourdons parsèment les étendues, blancs, comme des esquilles d'os au soleil ... Les vaches paissent. Certaines ont laissé dans la vase la trace de leurs sabots ... Sur les bosses, les fleurs des grands chardons seront bientôt mûres et nous pourrons cueillir la chardonnette pour faire cailler le lait, préparer le fromage ou la caillebotte ... Par-ci, par-là, une cabane de branchages signale un poste de gué pour les chasseurs. Par-dessus la forêt de pins, du côté de Foulerot, les têtes des grands cyprès de La Malentreprise crèvent le ciel uniformément bleu. Le carillon sonne au clocher ... Passent deux palombes, à tire d'ailes.
L'église est pleine, comme tous les dimanches. Des cabriolets attendent sur la place. Des chevaux tapent du pied. Quelques automobiles, rares encore, avec de larges garde-boue et des marchepieds ... Élégants bouchons de radiateurs ...
Le grand portail est ouvert. A l'intérieur, il fait sombre. Le Gros Pierre s'adosse au mur, il restera debout pendant tout l'office, une lavallière autour du cou, large, son chapeau entre les mains.
Tout le peuple de la commune est assis dans les travées, ou presque tout le peuple : On vient de La Brée, dont le divorce avec la commune de St. Georges n'est pas encore prononcé. On vient de Boyardville, de Sauzelle, de Chéray, Chaucre et Domino. Beaucoup de robes noires, mais des taches claires aussi ... Tous les enfants sont là : Au premier rang sont assis ceux qui feront leur première-communion dans l'année ... Les enfants de choeur portent surplis et sont au nombre de dix, au moins ... Tout à l'heure on distribuera le pain-bénit... La double file des paroissiens s'alignera dans l'allée centrale : On avance jusqu'au choeur, on baise la plaque que le prêtre vous tend, et sur laquelle est gravée l'effigie du Christ ... Un essuyage rapide avec un mouchoir tout blanc ... Au suivant. Un petit carré de pain pris dans la corbeille des enfants de choeur ... Et puis revenir à sa place par l'extérieur des travées .
_ " En ce troisième dimanche de ... Le pain bénit vous était offert par ... "
Monsieur le curé monte en chaire. Celle-ci fait face à la statue de plâtre du père de Montfort, venue tout droit de St. Sulpice. Il exhorte ses paroissiens ... Que leur dit-il ?
_ Il ne m'en souvient ... Attendre qu'il ait fini de parler, c'est tout.
Pendant ce temps-là, moi je regarde la statue de Notre-Dame en l'Ile, beaucoup plus belle que celle du père de Montfort : Visage très doux, longue robe blanche. Elle est en bois... On dit qu'elle provient de l'ancienne chapelle du village de L'Ile, détruite lors de la Grande Révolution ... La statue aurait été retrouvée dans un fossé, un bras cassé. Mise à l'abri, elle aurait ensuite trouvé place dans l'église de St.. Georges. Certains prétendent qu'il s'agit d'une figure de proue : Son examen ne le confirme guère ...
Une légende sortie du fond des temps raconte qu'il s'agirait de la figure de proue du drakkar d'un prince normand, ( Vous voyez cela, vous : La Vierge en figure de proue d'un drakkar ?) ... Pris dans la tempête, le drakkar était prêt à se briser sur les rochers ...Le prince, alors, saisit son arc, le bande, et crie dans le vent :
_" Là où ma flèche tombera, chapelle de Notre-Dame il y aura ... "
La flèche tomba au village de L'ile ... Chapelle y fut construite, car Notre-Dame sauva tous les passagers du navire... Et la figure de proue y fut placée. La légende est belle, il faut la conserver ... Mais les Normands sont plus réputés pour le pillage des églises et des abbayes que pour leur dévotion ...
La sonnette grelotte ... L'élévation ... Je glisse un oeil : Que se passe-t-il donc exactement là-bas, pour que l'on nous demande de baisser les yeux ? Mais l'officiant tourne le dos ... Je vois fort bien la croix dorée de sa chasuble, mais je ne distingue pas ses gestes ...
_" Oremus ... "
Il m'en faudra, du temps, pour savoir ce que cela veut dire ... Et je ne parle pas des prières elles-mêmes ... Elles sont dites en Latin et, le plus souvent, remuant les lèvres, je fais semblant de marmonner comme les autres. Je fais de même pour les chants ... Communion ... Nouvelle file dans l'allée ... tout le monde ne communie pas , mais c'est égal, beaucoup de monde s'approche de la Sainte-Table.
La première, c'est toujours Mademoiselle Martineau, la vieille au nez pointu ... Bavarde ... Bavarde ! Elle a coutume de postillonner ... C' en est un vrai plaisir ! Pour l'instant, ayant ouvert la bouche et avalé l'hostie, elle se dirige, bouche fermée et mine recueillie vers la porte de la sacristie où l'attend le petit panier avec lequel elle fera la quête ....
_"Tiens, voilà vingt sous pour la quête", avait dit ma mère.
Mon église est très ancienne : Elle date des XIeme et XIIIeme siècles. Son portail est roman, les voûtes de la nef sont en pierre, celles du transept et du choeur sont en bois, à nervures peintes de vives couleurs, ( Ces peintures datent du XIXeme ... Elles, on pourrait les faire passer pour un produit de l'art viking ! ) Il y a des fonds baptismaux de marbre dans une petite chapelle, près de la sortie secondaire. Il est dommage que, au cours des siècles et au gré des volontés, certainement bienveillantes mais pas toujours bien inspirées, les murs se soient recouverts d'un enduit pâteux. Certaines fenêtres ont été murées paraît-il : On n'en trouve même pas les traces ... Le niveau du sol a été relevé d'un bon mètre, pour je ne sais quelle raison, ce qui a eu pour effet de faire disparaître le pied des piliers et des colonnes. A l'extérieur, les renforts ont été épaissis, alourdis ... Les façades auraient bien besoin d'un sérieux ravalement ... Quelle horreur que cette sacristie, que l'on a ajoutée derrière le mur de la façade est! ... Pour y donner accès, on a trouvé le moyen de percer une porte en face de l'autel ! Et pourtant, mon église est belle ... Et puis, c'est mon église, n'est-ce pas : Sur la grosse cloche, le nom du donateur est gravé : C'est celui de mon aïeul !
_" Ite missa est ... "
Cela, je l'ai compris ... Tandis que le bedeau se suspend à sa corde et s'envoit en l'air avec béatitude, tandis que le choeur entame le dernier cantique, nous sortons par la porte latérale, pressés, dans nos beaux habits du dimanche, pantalons de golf, blouson, large béret ... Reprendre le sentier sur la levée du canal, en rêvant au temps où naviguaient là les gabares chargées de sel et de barriques ... Les cloches, longuement encore, sonnent à la volée ... Le vent léger sent l'iode et la résine.
_"Michel ! Tu as vu ? Regarde en bas ... "
C'était Madame Conort qui m'appelait. Elle était perchée en haut d'un escabeau. Moi, je me trouvais tout en haut d'une échelle.
Les Conort avaient acheté une maison qui avait appartenu à mon oncle, juste à l'angle de la rue de la République et de la rue des Dames, celle que l'on emprunte pour gagner la place de l'église. Nous étions hébergés chez eux pour des vacances. Tous les matins, nous repeignions les façades. Tous les après-midi, nous étions libres d'aller à la plage. Ce fut une période joyeuse.
Alors, figurez-vous : Je suis cramponné d'une main au montant de l'échelle, à quatre mètres au-dessus de la route. Je tiens un gros pinceau dans l'autre main. Mon pot de peinture blanche est accroché à un barreau. J'ai un pied en l'air car je suis penché pour atteindre une corniche ...
_ " Michel ! Tu as vu ? Regarde en bas ... "
Regarde en bas ... Regarde en bas ... Qu'est-ce qu'il y a en bas, à regarder ?
C'est dimanche. Il est dix heures trente. Les cloches sonnent à l'église, pour la messe. Mon pinceau dégouline ... Le remettre à tremper dans le pot ... D'autant que quelqu'un passe en-dessous ... Deux femmes, qui sont déjà rendues au bout de la rue ... Une troisième qui se trouve juste au pied de mon échelle. Je la connais. Je ne me souviens plus de son nom, mais je la connais ... Cruellement, nous disons qu'elle a la coupe parachute . Vous ne connaissez pas ? _ Disons que sa silhouette ne fait qu'enfler, quand le regard s'abaisse de sa tête à sa taille : Elle est toute ronde, quoi ! Vraiment ronde ...
D'habitude, comme elle a de la peine à marcher, elle se déplace sur un tricycle, un "crève-sot'' ... Elle a dû laisser son engin chez une amie, pour aller à la messe. Elle ne doit pas être très âgée, mais ... Il y en a pas mal, des Oleronnaises comme ça... Pauvre femme ! Elle avance en claudiquant, un peu comme un culbuto qui aurait reçu une chiquenaude ... Un coup à droite, un coup à gauche. Elle est tout de noir vêtue. Elle se presse. Sans doute voudrait-elle bien rejoindre les deux autres, qui arrivent devant le café maintenant ...
_" Mais tu ne vois pas ? "
Eh non, je ne vois pas ... Je repose mon deuxième pied sur le barreau de l'échelle. Je me penche un peu ... Elle est passée. C'est son dos que je vois maintenant ... Et ... Je vois ! Cette femme a dû prendre ses précautions avant d'aller à la messe : Elle a dû aller aux cabinets quelque part ... En se rhabillant, elle a coincé le bas de sa robe dans sa culotte ... Maintenant qu'elle m'a dépassé ... Je ne vois que ses fesses et sa culotte, large et blanche. La robe est remontée, toute bouchonnée ...
Que voudriez vous faire, du haut d'une échelle ? _ Vous ne l'auriez tout de même pas interpellée ... Elle en serait morte de honte !
Elle a poursuivi son chemin, se hâtant vers le porche de l'église ... Et les cloches sonnaient à la volée ... Et... Pardonnez moi : Je riais ... Mais je riais ...Je riais ! Je n'étais pas le seul : Madame Conort riait, du haut de son escabeau, l'ami qui grattait les vieilles peintures écaillées riait ... Mon frère riait, plié en deux, sur l'appui de la fenêtre. Et cette femme qui marchait, se balançant de droite et de gauche, le cul à l'air, dans ses plus beaux atours ... Le Bon Dieu, je l'espère quoique je ne l'aie pas vérifié, dut avoir pitié d'elle avant qu'elle ne pénétrât dans le Saint-Lieu : Sans doute souffla-t-il à l'oreille de l'une de ses amies :
_" Mélanie ! Regarde ... Tu as vu ? "
Mélanie aura su s'y prendre pour exercer la charité mieux que nous ne l'avions fait
Mais si le Bon-Dieu ne s'en était pas aperçu ? Si la femme était allée communier comme ça ?
Deux tubes de colle, trois morceaux de fil de fer, quatre bouts de ficelle, deux cents mètres de tuyau en vinyle transparent, quatre cents mètres de fil électrique, un appareil bizarre tenant à la fois de la boussole et du galvanomètre ... Rien que de très simple.
La camionnette est rouillée ... Le bonhomme est, semble-t-il, athétosique : Cheveux en bataille, pantalons rapiécés, il a des gestes brusques du bras droit, qui partent de la main et qui remontent jusqu'à l'épaule, puis c'est le cou qui s'agite, et la tête.
Il déroule son tuyau et l'allonge dans le fond du petit ruisseau qui court au milieu du port ensablé. Dans le tuyau, il passe le fil électrique, puis il s'affaire avec les bouts de ficelle, les morceaux de fil de fer, les tubes de colle ... Il retourne à la camionnette : Il y prend un boîtier qui ressemble à une génératrice ... C'en est une, en effet ... Il la branche. Le voilà qui s'empare de l'autre boîtier, celui dont les cadrans ressemblent autant à ceux d'un galvanomètre qu'à ceux d'une boussole ... La technologie et moi, vous savez !
Il s'appelle Monsieur Weber. Je le connais bien. Il habite à Plaisance, en face de chez Bouillé, juste au pied de la dune. Souvent, je fuis quand je l'aperçois ... Non pas qu'il soit antipathique, pauvre homme ! ... Il est fort civil au contraire ... Et il est loin d'être un imbécile ... Mais il est bavard !
Sans doute aurais-je dû l'écouter mieux et plus souvent : Il avait des choses à m'apprendre, beaucoup de choses ! Il était l'inventeur, disait-il, et je crois que c'est vrai, d'un dispositif qui équipait le paquebot France : Il avait créé un champ magnétique autour de la coque de ce géant et ce champ magnétique empêchait les mollusques et les coquillages de se fixer ... L'antifouling absolu, en quelque sorte... Effectivement, Monsieur Weber était ingénieur.
_" Si la création d'un champ magnétique influe suffisamment sur les êtres vivants pour empêcher la fixation des mollusques, me disait-il, tous les champs magnétiques doivent bien avoir une influence sur la vie ... Et ce n'est sans doute pas une bonne influence ... Je suppose qu'il y aurait beaucoup à découvrir si l'on s'intéressait aux champs magnétiques créés par le voisinage des lignes électriques à haute tension ! Il n'y a aucune raison pour que les cellules biologiques de base ne soient pas influencées ! Peut-être pourrait-on trouver là une explication à l'accroissement du nombre de cancers..."
Dans les années cinquante, un tel discours faisait rire, ou sourire. Il est de notoriété publique qu'il fut pris beaucoup plus au sérieux dans les années quatre vingt dix... Mais Weber n'était plus là pour participer aux débats. Pour l'heure, que faisait-il donc au Port du Douhet, avec ses bouts de ficelle, ses morceaux de fil de fer, ses tuyaux et ses câbles électriques ?
Deux secousses du bras droit, deux secousses de la tête :
_ "Voudriez-vous m'aider à dérouler complètement le tuyau ? ... Voilà : A l'intérieur de ce tuyau, il y a des fils qui me permettent de créer un champ magnétique lorsque je branche la génératrice. Il n'y a plus qu'à s'équiper du récepteur ... Dont vous disiez que les cadrans ressemblaient à ceux d'une boussole et à ceux d'un galvanomètre ... "
Comme si je savais ce que c'est qu'un galvanomètre ! ... Mais j'ai toujours été nul en physique, Monsieur Weber ... Ignare, complètement !
_ " Là, regardez ... C'est simple : Regardez cette aiguille ... Chaque fois que vous vous écartez du tuyau, et par conséquent du champ magnétique ... L'aiguille s'écarte du zéro de la graduation. Si vous vous écartez à droite, elle s'écarte à droite ... Et à gauche si vous vous écartez à gauche."
_ "Vrai ... A quoi ça sert ? "
_ " Le tuyau est installé au fond du ruisseau par lequel s'écoule l'eau du canal du Douhet. Imaginez que l'on installe un système identique au milieu du chenal d'accès au port de St. Nazaire ... ou au-milieu de tout autre chenal...
ou bien de la Gironde ou de tout autre fleuve ... Vous êtes sur votre bateau ... Qui est équipé du même appareil récepteur que celui-ci ... Si vous vous trouvez à l'aplomb du tuyau émettant son champ magnétique, l'aiguille du cadrant demeure stable, sur le zéro. Dès que vous vous écartez à droite, l'aiguille tourne vers la droite ... Si c'est à gauche que vous vous écartez, l'aiguille tourne vers la gauche ... Vous êtes autonome : Vous n'avez plus besoin de pilote ni de remorqueur ... Vous suivez le chenal tout bonnement, sans aucun risque d'échouer votre navire ! "
Trois bouts de ficelle, deux morceaux de fil de fer, deux tubes de colle, deux cents mètres de tuyau ... Monsieur Weber procède à ses expérimentations. Qu'en est-il devenu ? Il n'est plus là pour me le dire, mais sa maison est toujours là, juste à gauche de la passe de Plaisance ... Sait-on qu'il y eut là un inventeur ?
Souvent le jusant dépose sur le sable des épaves, petites ou grosses. Un beau jour, nous avons même trouvé un bateau de pêche tout entier, avec tout son gréement. C'était un petit bateau de bois qui avait dérivé depuis je ne sais où ... Sa course s'était arrêtée dans une casse où il avait été piégé à marée basse. C'était tout près du Douhet, en face des grands blockhaus. La marée suivante l'a remporté ... Bateau ivre ... Jusqu'où ?
Nous trouvions parfois de grands pins tout entiers, déracinés lorsque s'était écroulée la dune dans laquelle ils étaient plantés ... Dans la Malconche, la mer mange la dune ... Parfois plusieurs mètres à la fois. Elle parvient alors à passer la dune, et l'eau se répand dans un coin de forêt ... Tous les arbres y sécheront sur pied. Une digue avait bien été construite à Plaisance, en béton ... De gros blocs épars constituent le seul souvenir que les tempêtes en aient laissé.
A la laisse de basse-mer, nous ramassons des seiches échouées : Les marsouins du large leur ont mangé la tête ... Elles ont dérivé ... Il n'y a plus qu'à se baisser. C'est surtout aux alentours de Pâques que nous en ramassons ... Des quantités invraisemblables : Souviens-toi, nous en avions pêché tant, une année, que nous en avons salé dans le grand saloir en terre cuite ... Elles se conservèrent très bien, ma foi, mais lorsque ma mère voulut les cuisiner ... Elles n'avaient pas dessalé assez longtemps sans doute, souviens-toi : C'était immangeable!... Et nous avions des invités !
Jolis cailloux, que l'humidification rend transparents mais qui, hélas, redeviennent opaques en séchant. Racines flottées, aux formes bizarres ... Parfois une chose plus rare: Un jour, j'ai trouvé un aviron tout neuf ... Un autre jour, c'était une bouée ...
Des garde-côte étaient désignés par l'État : C'étaient souvent des cultivateurs du coin. Ils étaient chargés de récupérer les épaves de quelque valeur ... Une fois par an elles étaient vendues aux enchères : Madriers échappés de la cargaison d'un cargo, barque, planches ...
Alphonse Blanchard, vigneron aux Boulassiers, était garde-côte. Il avait ramené avec sa charrette une longue périssoire en bois, qu'il avait trouvée je ne sais où et qu'il conservait depuis je ne sais combien de temps ... Il nous l'offrit ... Nous n'avions pas besoin de plus d'explications ... Nous refîmes le calfatage et nous la poussâmes à l'eau ... Inoubliable périssoire ! ... Vous savez ce que c'est qu'une périssoire ? _ Rien que le nom devrait faire hérisser les cheveux sur la tête d'une maman ... Il s'agit bien d'un engin tout à fait propre à vous faire périr ! Un bateau à fond plat, très long, très étroit, prêt à chavirer à la première fausse manoeuvre ... Nous nous en sommes servis pendant des années ... Sans jamais enfiler un gilet de sauvetage, sans jamais une bouée. Nous utilisions une double pagaie fabriquée dans une planche par l'oncle Marc dans son atelier. Nous embarquions souvent à trois là-dedans. Il nous est arrivé plusieurs fois d'y entasser nos filets : Un, ou même deux tramails pour pêcher la sole. Nous sommes allés quelquefois jusqu'au banc de la Longe, près du fort Boyard, avec tout notre équipement. Nous étions très fiers de nos exploits. Un jour la périssoire chavira alors que nous nous trouvions en face de la passe de La Gautrelle ... J'étais avec mon plus jeune frère ... Il ne savait pas nager ... Je le fis asseoir à califourchon sur l'esquif retourné et je tirai l'ensemble jusqu'à ... la plage de Plaisance ! Je me pris, à l'arrivée sur le sable, pour Robinson Crusoë : Je m' étendis de tout mon long , le ressac montant à mes jambes ... Il me fallut de longues minutes pour reprendre ma respiration. Avec cette périssoire, nous avons également remonté le cours du canal ... Jusqu'à St. Georges, et nous rêvions aux temps anciens ...
Si je m'en souviens bien, la périssoire repartit un jour vers l'élément qui l'avait apportée : Je ne sais plus lesquels d'entre nous étaient à bord ce jour-là ... Elle dût se disjoindre ... Couler à demi ... Puis disparut pour toujours ... C'était en face de la digue des Normands, près des Boulassiers.
Incroyable, mais vrai !
_" Tu sais, la Maison du Fada ... Entre Plaisance et le Douhet, dans la dune, tout près de la plage ... Oui, cette espèce de truc à étages, tout en béton, avec des escaliers partout, des piliers, des colonnes, des balcons et des pergolas ... Remarque bien que ça ne doit pas être désagréable à habiter, l'été : Toutes les pièces ont la vue sur la mer, en direction du sud. Mais alors, les habitants de l'autre maison, celle des Conri ( Jolie petite maison basse avec de grandes vérandas, construite sur un blockaus allemand qui lui sert de base ) ... Ils ont dû être heureux, les Conri : Ils ont vu s'élever devant leurs fenêtres un mur de béton aveugle ... Sur vingt mètres de haut !
Car elle est construite sur quatre niveaux, la Maison du Fada !
Ce qui paraît incroyable, c'est que l'on ait pu délivrer un permis de construire, un jour, pour ce ... truc - là ...
Ce qui semble plus invraisemblable encore, c'est que ce monument soit aujourd'hui classé ... Au titre des oeuvres architecturales uniques ! ... Lorsqu'on me l'a raconté, j'ai eu le réflexe de répondre à mon informateur :
_ " Va raconter cela à un cheval de bois, il te balancera un coup de pied ! "
Mais non, c'est vrai ... C'est bien vrai ! ... A quand le classement de tous les immeubles de St. Jean-de-Monts et de tous ceux de La-Grande-Motte ?
Un jour, je nettoyais mon tramail, devant la maison du Douhet ... Travail de patience ... On y passe des demi-journées entières, en bavardant de temps à autre avec les passants ... Justement, passent deux hommes. L'un des deux était Normandin, le grand Normandin qui est devenu Conseiller Municipal par la suite ... Il présentait le site à son compagnon :
_ " Voyez, disait-il, là-bas, il y avait une batterie de blockhaus construits par les Allemands ... Là, cette construction en béton, érigée sur quatre niveaux, ce sont aussi les Allemands qui l'ont érigée pendant la guerre. "
_ " Allons, Normandin ... Quand on ne sait pas, on se taît : La Maison du Fada , elle a été construite dans les années cinquante, par un architecte français, du nom de Fournier ... Et si le dernier niveau ne comporte qu'une seule pièce, voyez-vous, c'est que Monsieur Fournier avait souvent de terribles céphalées, des migraines et des maux de tête ... A ces moments-là, il restait, tout seul, à son quatrième étage. "
Voyez-vous comment on vous écrirait l'histoire ? Maintenant ... La Maison du fada ... N'allez pas en parler aux Oleronnais sous ce nom-là ... C'est nous qui le lui avons donné : Il n'appartient qu'au lexique familial.
Lucien, mon père doit avoir eu une voiture dès avant la guerre je crois ... Une Rosalie, avec un capot ... Long comme ça ! Il me semble qu'elle a passé six ans dans le garage de la maison du Douhet ... Elle y était encore, sur ses cales en mille neuf cent quarante cinq, lorsque nous sommes revenus. Je n'ai aucun souvenir de ce qu'elle devint. Ensuite, Lucien n'avait plus eu de voiture personnelle, et cela dura tout le temps qu'il servit dans la Marine. Cela ne nous gêna guère, étant donné que nous avons presque toujours demeuré dans les bases mêmes ou à leur proximité.
Après être revenu à la vie civile, Lucien acheta une traction-avant noire, onze chevaux ... d'occasion, bien sûr ... Mais c'était une bonne occasion ... Jusqu'à ce que la culasse se fendît ... Lucien la refila à je ne sais trop qui ... A un bohémien je crois ... Et revint à la maison avec, en échange ... une paire de draps usagés qu'il portait sous son bras ... Il était comme ça, Lucien ...
Un jour, nous nous promenions au bords de la mer, sur la plage de Plaisance. Les enfants pataugeaient, en maillot de bain, leurs parents étaient habillés ... C'était dimanche. Suzanne devait porter une robe blanche assez moulante ... Peut-être avait-elle une capeline : Elles étaient encore à la mode ... Lucien, lui ... Je ne sais pourquoi, portait un complet-veston. Il avait sur la tête un chapeau mou de la même couleur que son costume ... Et puis tout à coup ... C'est la seule fois où j'ai vu mon père se baigner ... Il était parti comme ça, tout chaussé, tout habillé, avec son chapeau sur la tête ... Et il nageait ! Il était comme ça, Lucien ...
Une autre fois, Lucien débroussaillait auprès de la maison du Douhet. Il avait coupé des tamarins et des lauriers. Il en avait fait un tas ... Le vent soufflait fort ... Lucien avait mis le feu ...
_ " Bernard, cria-t-il à mon frère ... Sors vite la voiture de là !"
Bernard sort la voiture de la zone de danger ... C'est vrai que le laurier s'embrasait drôlement, et c'est vrai que le vent soufflait fort... Bernard oublie de serrer le frein à main. Il court rejoindre Lucien pour tenter d'étouffer les flammes ...
_" Papa, Papa ! "
Le cri s'étrangle dans ma gorge : La traction s'est ébranlée tout doucement ... Va donc courir ! Elle a traversé la route à reculons ... Et la voici qui dévale le perré du canal ... Et voila : Elle est bien confortablement installée tout au fond! C'est marée basse, mais le courant commence à s'inverser...
En tout cas, il y a de l'eau jusqu'à mi-hauteur du capot : Le moteur est noyé, il n'y a aucun doute.
Que faire?... Le perré est abrupt : Une pente à quarante degrés ... La dénivellation doit bien faire plus de trois mètres ... Et nous sommes ... Un dimanche ... Et un dimanche quinze août !
_ Va donc trouver un garage ouvert !
... Chance : Il y a un petit détachement de l'armée de terre, commandé par le Colonel Eiche. Et puis il y a des baigneurs... Des Parisiens , quoi ... qui se promenaient sur la jetée du port ensablé. Quelqu'un descend dans le canal. On cherche des cordes et ... centimètre après centimètre, la onze-traction est remontée, dégoulinant de l'eau salée par les ouïes, de tous les bords. Lucien paye le vin blanc à tout le monde : Il était comme ça, Lucien ...
Inutile de vous dire que la voiture est partie chez le mécanicien, le Père Verrat, à Chéray, dès le lendemain matin, seize août. Ce n'est que plus tard, que la culasse a claqué ... Les draps ? _ Je les ai encore !
Des Parisiens , d'année en année, il en venait de plus en plus pendant les vacances, dans les terrains de camping qui s'installaient petit à petit, mais aussi sous la tente, dans les bois et les près ... Ouvriers et employés, avec leurs enfants, leurs chats et leurs chiens, bénéficiant des congés-payés. Comme, par ailleurs, l'agriculture commençait à souffrir, bien que la paix ait fait repartir la consommation, les Oleronnais sentirent que les touristes pouvaient apporter une manne non-négligeable. On ne les appelait pas encore des touristes, ces gens-là, mais plus souvent des baigneurs, ou mieux, des baignassous ... Péjoratif, le terme ... Certes, certes ... Il s'adressait à ces êtres, au fond assez étranges, qui venaient dormir sous une toile, se faisaient dévorer par les moustiques, et prenaient plaisir, apparemment, à se brûler le dos au soleil... En avons-nous vues, des peaux qui pelaient comme patates nouvelles ! Ils avaient un peu l'air de débarquer d'un autre monde ... Et ils débarquaient effectivement d'un autre monde, arrivant par la route, dans des voitures chargées jusqu'à la gueule ... Et même au-dessus ... Les paquets, les bassines, la poussette du bébé ... Et la cage à serins ! On commençait à voir plus de voitures pendant les mois d'été ...
Mais les Parisiens, les baignassous étaient bien sympathiques, au fond : Ils venaient acheter le lait à la ferme, quelquefois aussi les oeufs ...Les parents venaient avec leurs enfants, flattaient de la main la Roussette ou la Noire ...
_" Mais ne t'approche pas du cheval : ça donne des coups de pied, ces animaux-là ... "
Certains, au lieu de camper, préféraient louer une petite maison ou quelques pièces seulement ... Les Oleronnais comprirent vite : L'été, ils déménageaient dans les écuries ou les dépendances, pour louer leur propre maison ... Très cher, le plus cher possible. On disait même, mais ce n'était qu'une façon de parler ... Que certains Oleronnais louaient jusqu'à leurs parcs à gorets .
Mes parents, pendant l'été, ont loué longtemps leur maison de St. Georges ... Ils passaient la saison au Douhet : Pensez si nous y étions heureux ! ... Un canal devant, un ruisson derrière ... La plage à cinquante mètres ... Et partout, du poisson à pêcher !
Il y avait pourtant un inconvénient qui commençait à se manifester, avec cet afflux de voitures : Le matin, parfois, nous ne pouvions même plus ouvrir les volets de nos fenêtres, tant les automobiles des baignassous , pour se garer, serraient de près la façade de notre maison : J'avais planté des fleurs ... Je dus les remplacer par des pavés ... Et encore, je me faisais apostropher par les conducteurs que je gênais ! Pire encore :
Un jour, et c'était à la place même ou mon père avait laissé sa voiture, le jour où elle avait dévalé au fond du canal ... J'étais en train de débroussailler moi-aussi ... Les ronces poussent vite en Oleron ... Je faisais brûler ce que j'avais coupé. Je me fais apostropher ... Avec quelle vigueur ! ... par un baignassou qui avait garé sa voiture non loin de là. Il prétendait que j'allais mettre le feu à sa voiture ... Je crus bien qu'il allait me sauter dessus et m'étrangler. Il hurlait si fort que sa voix déraillait :
_" Et d'abord, qui me dit que ce terrain est bien à vous ? Vous ne l'avez pas clôturé : Je ne vois pas de barbelés."
_" Des barbelés ... Vous n'en avez pas vu assez pendant la guerre?"
_" La guerre, oui Monsieur, moi je l'ai faite, la guerre ... Et vous, avez-vous fait la guerre?"
Mais dans l'ensemble, les habitudes s'installaient, les Parisiens commençaient à proposer leurs services pour les foins, la moisson ou les battages, ils demandaient à servir pour les vendanges ... En général, les gens qui venaient un été revenaient les étés suivants. Il y eut même quelques mariages, à l'église de St. Georges ... Des filles ou des garçons partirent à la ville ...
Il me souvient pourtant ... Mais nous avons tous une ou deux histoires semblables à raconter :
Je sors de chez moi par la porte de derrière ... J'ai failli butter sur une femme accroupie ... Elle était en train de pisser sur le seuil de ma porte, tandis que son époux l'attendait à son volant ...
_" Mais, Madame, que diriez-vous si j'allais pisser sur le paillasson, à Paris, devant la porte de votre appartement ?"
Petit à petit, des villas sortaient de terre, le long de la route. Nous en vîmes une, puis deux ... Les ronciers ont disparu, les cagouilles et les lapins aussi ... Les villas, ce n'était rien ... Certaines étaient jolies ... Mais les clôtures... Monsieur : On ne peut plus passer nulle part ! ... Bientôt, il y en aura tant ... Et elles seront tellement hautes, qu'il faudra, en se promenant, lever la tête pour apercevoir le ciel ... C'est tout ce que l'on pourra apercevoir.
Ma grand'mère paternelle avait possédé autrefois, me racontait-elle, des parts d'écluses. C'est des écluses à poisson que je veux parler, bien évidemment. Elle me disait qu'un mareyeur s'occupait à sa place de l'entretien des pêcheries et de la pêche proprement dite. De temps à autre, il lui apportait un mulet ou une raie.
Il y aurait une étude à faire sur le fonctionnement des écluses à poisson de l'île d'Oleron. Beaucoup a été fait pour leur description, je ne sais pas si quelque chercheur a approfondi les systèmes sociaux sous-tendus.
Une écluse à poisson, c'est un ouvrage titanesque : Des murs de plus d'un kilomètre de long parfois, érigés sur l'estran, par empilement de roches arrachées à la côte. Les murs délimitent un rectangle dont le côté tourné vers le rivage resterait ouvert ... Plus souvent c'est une forme en demi-cercle qu'ils adoptent. Ils sont plus larges à la base qu'au sommet, peuvent mesurer plus deux mètres de haut, sont entrecoupés de portes équipées de grilles par lesquelles l'eau peut s'écouler, lorsque la marée baisse ... On voit aisément le principe : A marée haute, les murs sont recouverts ... Lorsque la marée baisse, l'enceinte se vide et les murs retiennent le poisson qui se trouvait là. Il arrivait que l'on y fit des pêches miraculeuses : Tout un banc de mulets ... Et il fallait alors retourner bien vite au village pour chercher un tombereau ... Oui, il est arrivé que le mareyeur remplît un tombereau de mulets ! ... Tout un banc d'orphies, ces poissons que l'on appelle aussi des aiguilles, allongés comme des anguilles, argentés, avec des reflets verts, miroitants, le rostre aussi long et aussi pointu que le bec d'un oiseau vorace. Et des saumons parfois ...
Il y avait des écluses dans toute la partie nord d'Oleron, depuis Les Sables-Vignier jusqu' à Chassiron, en passant par Chaucre, et puis à St. Denis, à La Brée, et jusqu'au fond de la Malconche. Dès mon enfance, certaines étaient abandonnées ... La trace de leurs murs se devinait à peine parmi les rochers découverts lors des marées de mortes-eaux.
J'ai souvent rêvé devant les roches dispersées, en face de Plaisance ... Écluses à poisson ou bien traces de la Durandière ? ... On disait que là, il y avait eu autrefois une ferme : La Durandière, dont l'océan avait rongé et recouvert les terres et les bâtiments ... On disait qu'aux fortes marées, on apercevait parfois quelques traces, dont celles d'un puits, qui resterait béant ... Je ne vis jamais le puits ... Rien que, dans la vasière, un trou à anguilles, rempli de sarments de vigne, ( Aux grandes malines, des hommes y venaient, chaussés de hautes bottes qui leur montaient jusqu'aux cuisses : Avec des fourches, ils en sortaient des javelles, pour ramasser les anguilles ) ...
C'est à Chassiron, en haut de la falaise, près du phare, qu'il faut aller voir les écluses à poisson. C'est là, parmi les rouleaux déferlants venus du large, l'un après l'autre, inlassablement, que l'on comprend ce que signifie l'adjectif titanesque . Il faut imaginer nos anciens ... Car ces écluses nous viennent du fond des âges : Les chartes promulguées par Aliénor d'Aquitaine les évoquent et concèdent aux Oleronnais le privilège de leur utilisation. Vastes courbes qui s'avancent jusqu'au delà des limites des marées, les unes à côté des autres, les unes après les autres, rappelant, en beaucoup plus large, celles que décrivent les digues des rizières en Asie du sud-est ... Combien de roches faut-il pour ériger un mur ? Sur quelles distances faut-il les transporter ? J'ai connu, encore, le boyard , le brancard que l'on portait à deux ... Et l'homme qui était derrière marchait sans voir où il posait les pieds. Le boyard nous servait, à nous, à porter nos filets, lorsqu'ils étaient alourdis par leur charge de varech. Il nous servait aussi pour transporter les roches auxquelles nous attachions solidement ces filets, à leurs extrémités, avant de les abandonner à la marée montante. Je suppose que c'est le boyard qui a permis l'édification de tous ces murs, pierre après pierre. Il faut songer ensuite que chaque tempête ébranlait quelque partie de l'ouvrage, déplaçant une pierre ou une autre ... Comme ces roches n'étaient liées par aucun enduit, elles ne tenaient en place que si elles avaient été parfaitement imbriquées ... Le temps, ensuite, à moins d'une tempête, faisait son oeuvre :
Les huîtres se collaient aux pierres, les unissaient, les jointoyaient , les scellaient ... Mais il faut bien penser qu'un entretien était nécessaire, pratiquement en permanence ... Ah ! les marées d'hiver, alors que souffle la bise froide et que crient les bernaches ... L'humidité entre dans les vêtements, la pluie fouette le visage ... Marcher dans les éboulis et dans les flaques ... Porter les pierres coupantes, relever les murs, en assurer l'appareillage ... Ma grand'mère, bien sûr, n'allait ni mareyer ses écluses, ni relever les murs ... Elle déléguait ses droits et ses obligations ... Jusqu'à ce qu'elle abandonnât le tout. Un autre la remplaça dans le groupe.
On était bénéficiaire d'un certain nombre de parts d'écluse. Les droits de mareyage et les obligations d'entretien étaient proportionnels au nombre de parts dont on bénéficiait ... Pierre Perroteau, dit Le Gros-Pierre, par exemple, était propriétaire d'un cent cinquantième aux écluses des Blanchardières, devant les Boulassiers : Cela signifiait qu'il avait le droit de pêcher tous les cent cinquante jours, et qu'il devait , en proportion, participer aux corvées.
Malheur à celui qui aurait mareyé une écluse alors que ce n'était pas son tour : On inscrivait les dates sur le calendrier des Postes, pendu dans la cuisine ... Et on les respectait. Malheur aussi bien à celui qui aurait mareyé une écluse à laquelle il n'avait pas le droit d'accès ... Mais qui y eût même songé ? On disait bien que parfois ... Gentil Fleury, en allant relever ou poser ses lignes à touilles ... Mais ça, c'est peut être seulement des menteries : Qui l'a vu, vraiment vu ?
Nous avons souvent pêché aux Blanchardières, mais nous étions respectueux des coutumes. Nous y allions presque tous les jours, mais si nous nous y trouvions parfois les premiers, c'était seulement parce que, ce jour-là, l'homme dont c'était le tour n'était pas venu ... Le plus souvent parce que le coefficient de la marée était si faible que l'écluse ne se viderait que très imparfaitement. Les autres jours, nous attendions que le mareyeur ait fini sa pêche et qu'il eût pris le chemin du retour ...
Longues parties de poursuites alors, dans les flaques et les petits canaux. Souvent, il restait quelque poisson, passé inaperçu : En général il ne restait pas inaperçu à nos recherches ... Poursuite ... Un coup d'espiot' , le meuil était dans la corbeille ... Oh, les galopades et les rires ! ... Nous avions aussi une trioule, c'est un petit filet fixé à chaque extrémité sur un bâton, et sa ralingue est plombée, ce qui permet de racler les fonds : Vous écartez les bâtons, ou vous les rapprochez pour franchir les passages étroits ... Vous coincez le banc d'anchois, ou le mulet que vous poursuivez ...Vous l'acculez aux roches, ou bien vous le projetez au sec, sur le sable ... Il est pris ... Il ira dans la corbeille.
Je me souviens d'avoir enragé, un jour de plein mort d'eau ... La mer avait baissé très peu : Les murs des écluses avaient dérasé , c'est à dire que leur sommet émergeait, sur toute leur longueur ... J'étais grimpé là-haut... Je marchais en sautant par-dessus les portes des bouchots ... Le temps était superbe. La mer était plate comme un lac, bleue, sans rides. A l'intérieur des Blanchardières, on eût dit une vaste piscine ... Une taire y nageait ... Une raie ... De celles qui possèdent un dard à la queue ... Dans le Midi, on appellerait cela une pastenague. On s'en méfie quand on en prend à l'hameçon ou au filet ... Une taire qui devait peser largement plus de cinquante kilos ... Superbe ! ... Noire avec des reflets bleus...
Prise au piège, se heurtant de tous côtés aux murs, elle tournait en rond, ses ailes battaient lentement avec une merveilleuse élégance !
Il y avait trop d'eau pour tenter quoi que ce soit ... Longuement, jusqu'à ce que la marée montante atteigne le haut du mur, longuement je la regardai ... Il me fallut partir avant qu'elle n'ait repris les chemins de la liberté.
Un jour, alors que mon père bavardait avec le mareyeur ... Mais je crois bien me souvenir que mon père savait ce que nous faisions et qu'il faisait diversion ... Un jour, donc, nous avions aperçu un gros mulet, l'un de ceux que nous appelions des litrons ...
Le mareyeur ne l'avait pas déniché : Cela peut arriver, les canaux d'écoulement des eaux ont de ces dédales ! Pendant que mon père remontait vers la plage ... Nous avons pris le mulet ... Énorme ! Comme on en voit rarement ! Le pêcheur, lui , n'avait ramassé qu'une tanche... Le Diable en rit encore !
Te souviens-tu du jour où Louis Thibeaudeau nous surprit en train de pigouiller dans les écluses ? _ Nous avions cru qu'il était déjà passé et qu'il était reparti relever ses tramails ... Il nous passe un savon ! Il attrape mon frère le plus jeune, il le balance à l'eau, il lui met un pied sur la poitrine et il lui fait boire la tasse... Bonne humeur malgré tout ...
Mais les écluses ont mal résisté aux flots successifs des baignassous ... Comment voulez-vous continuer à entretenir les murs alors que des essaims de Parisiens viennent, à chaque marée, gratter les jambes , décoller les huîtres, disjoindre les pierres pour chercher des crabes ?... Après s'être longtemps battus, les mareyeurs des Blanchardières ont abandonné le terrain ... Il ne reste plus que la trace de ce qui fut, au fil des siècles, une pêcherie. Il faut dire qu'à ma connaissance, les Blanchardières ne pêchaient guère : Trop de monde, trop de bateaux de plaisance, trop de moteurs qui hurlent ... Et puis les changements des courants, Le changement des climats et des températures ... Qui irait encore maintenant, en plein hiver, porter le boyard pour transporter les pierres ? _ A Chassiron, on tient encore, à Chaucre également ... Jusqu'à quand ?
Dans les années cinquante, le nombre de vacanciers commença donc à augmenter. Nos voisins au Douhet, les Conil, logeaient pour l'été un couple qui mérite que l'on se souvienne de lui ... N'est-ce pas aux alentours de ces mêmes années que le dessinateur Dubout devint à la mode? ... Il savait fort bien représenter les familles Duraton qui nous arrivaient dans des voitures surchargées, et qui débarquaient tout armées d'épuisettes et de cannes à pêche. Le couple qui logeait chez les Conil semblait directement surgi d'un dessin de Dubout ... L'homme tout petit, maigre et le teint pâle, timide, bouche close et les yeux en-dessous ... La femme énorme, ronde, ronde, ronde, tout en lard et en saindoux, impériale, impérieuse... Bref, la femme-pachyderme, accompagnée de son nain ... Et le nain obéissait ... Au doigt, à l'oeil, à la voix ...
Horrible histoire ... Mais inoubliable ... Pardonnez que je la conte :
Les W-C., de l'autre côté de la route, étaient doubles, une mince cloison séparant les deux cabines ... J'avais horreur de me trouver sur le siège lorsque quelqu'un pénétrait de l'autre côté : On entendait tous les bruits que vous pouvez imaginer et même ceux que vous n'imagineriez pas ... Lorsque cela m'arrivait, j'étais tout à coup constipé, complètement, bloqué.
Un jour, entrent à côté les deux locataires des Conil... Tous les deux à la fois ... Le petit bonhomme se faisait apostropher par la dame, je ne sais plus pourquoi ... Et puis tout d'un coup ... L'horreur, vous dis-je ...
_" Allons, appuie plus fort. Tu sais bien que ne peux rien toute seule ... Plus fort, je te dis ! Et puis soulève mon ventre ... Soulève le mieux .... Appuie donc ! "
J'imagine le tableau : Il est vrai que son ventre devait faire d'amples plis ... Ils devaient retomber sur ses cuisses ... Quelle histoire !... Je l'avais racontée au reste de la famille et , chaque fois que nous croisions le couple, il nous fallait tourner la tête pour ne pas pouffer de rire.
La plupart du temps, les baigneurs étaient attendrissants : Ils avaient des naïvetés insoupçonnées, questionnaient sur tout, affirmaient des choses invraisemblables avec l'aplomb que donne le statut du citadin sur celui du campagnard. Ils devinrent vite bons compagnons cependant, pour le plus grand nombre. Ils venaient à la pêche avec nous, ils cueillaient sur les rochers de pleines bassines de moules ... Dont ils mangeaient la moitié ... Ce que suffisait à les envoyer rapidement chez le médecin pour soigner leurs coliques ... Ils jetaient le reste. Ils observaient avec curiosité les files qui se formaient à la marée basse ... Files de pêcheurs à longues bottes montant jusqu'aux cuisses ... Et d'ailleurs, pour cela, dénommées cuissardes ... Files qui, sur un seul rang, entraient dans l'eau, corbeille au dos, foëne à la main... Une foëne, savez-vous ? ... Un trident avec un long manche ... Et la file se met en branle, comme une procession au rythme lent ... Les pieds glissent sur le sable... Les foënes piquent et repiquent ... Un peu au hasard, mais dans des endroits repérés de tout temps ... Au bout de la Grand'Banche, devant les Grains, dans la grand'casse ... Pique et repique ... De temps à autre, l'un des pêcheurs s'arrête, sort sa blague et roule une cigarette, ou bien deux d'entre eux se hèlent et causent ...
_"Ah! J'en ai une ... Et une belle! ... Vas-tu venir dans ma corbeille, cré Bon Dieu ... Arrête donc de te tortiller ! "
C'est une sole, que la foëne a transpercée de part en part, et qu'il faut décrocher pour la glisser dans la corbeille ... Parfois, pour éviter qu'elle ne se sauve au moment du retrait des dents de l'engin, le pêcheur ... lui mord dans la tête ! ... Avec les dents, oui ... Avec les dents... Il crache ensuite en jurant ... Puis il reprend sa place dans la file ... Avancer, en rond ou en spirale, lentement. Parfois, c'est un tremble que l'on prend ... Un peu plus délicat ...
... Un peu plus délicat parce que ... Le tremble , c'est le poisson qui s'appelle, en Français, la torpille : Poisson plat, ressemblant un peu à une raie ... Qui dispose de la désagréable faculté de produire des décharges électriques ... Celui qui y touche une fois s'en souvient ! Il faut alors détacher le poisson sans y toucher et, toujours sans y toucher, le faire tomber dans la corbeille ... Parvenu à la maison, c'est surtout ce poisson-là que l'on pend en haut d'un mât, pour le faire rassir hors de portée des mouches. Il arrive aussi ... Et c'est tout un événement ... On en parlera longtemps dans le fond des chais ... Il arrive aussi que l'on rencontre un bourgeois ... Le bourgeois, ou bourget, c'est l'ange de mer : Il appartient à la famille des squales, mais il a le ventre plat et vit sur le fond ... Ce ne sont pas ses dents qui sont dangereuses ... C'est sa queue, avec laquelle il donne des coups tellement vigoureux qu'il est capable de vous casser une jambe. Souvent, c'est dans une casse, dans une flaque résiduelle qu'on le rencontre. On le distingue mal sur le sable, mais si on a la malchance de monter sur son dos, on peut fort bien se retrouver le cul dans la flotte avant d'avoir eu le temps de s'en rendre compte. Il faut le tuer à coups d'espiot' et pour cela on demande souvent assistance aux autre pêcheurs de la file :
_ "Au bourgeois ! "
Il arrive que l'on en prenne certains d'un poids approchant trente kilos ... Ce qui représente d'ailleurs à peu près le poids, également, des touilles, ou chiens-de-mer, encore appelés peau-bleue, que Gentil Fleury, l'éclusier, prend aux hameçons de ses lignes dormantes ... Les raies peuvent parfois atteindre ce poids elles-aussi, qu'il s'agisse de raies bouclées, dont l'épiderme est orné de crochets pointus (C'est la meilleure, gastronomiquement parlant) ou de raies pissouses, dont le nom suffit à évoquer l'odeur lorsqu'on ne les consomme pas très, très fraîches. Les taires sont en général plus petites ... Sauf exception ... Elles fréquentent nos côtes en abondance ... C'est surtout dans nos trémails qu'elles se prennent : Attention ... Leur couper la queue avant de les manipuler ... Aiguillons dangereux : Barbelés comme pointes de harpon ! Mais n'avez-vous jamais entendu parler de celui qui planta sa foëne ... Dans son pied ... Hardiment et d'un bon coup !
Les pêcheurs à la foëne ne font pas des pêches miraculeuses ... Mais enfin ...
_" Combien en as-tu, aujourd'hui ? "
_" Oh ! _ J'en ai bien pour mon déjeuner ! "
N'insistez pas, vous n'en tirerez pas plus. Et vous n'en tirerez pas plus des pêcheurs vacanciers que de ceux qui sont du pays ... Les coutumes sont contagieuses. C'est à leur observance que l'on distingue l'estivant du baignassou ... Le premier est un habitué ... Il ne dit d'ailleurs pas qu'il va à la foëne , mais qu'il va à la foulée ... C'est plus Oleronnais.
Alphonse Monteau possédait des parts d'écluses, bien sûr ... Et je crois bien qu'il allait parfois à la foulée . C'est pourquoi la table que dressait Alphonsine, son épouse, à l'occasion des vendanges, s'ornait de fort belles pièces : Meuils, bars parfois, ou plus rarement maigres ( les maigres se prennent rarement dans les écluses ), orphies ... Mais ce que le maître des lieux préférait, c'était les encornets, quand ils étaient de belle taille : Il avait pris bien soin de les prendre délicatement, dans sa trioule, ils n'avaient pas craché leur morat' , c'est à dire leur encre : C'est ainsi qu'ils sont le meilleur, frits dans la poêle avec de l'ail et du persil ... On se met du noir plein la bouche, c'est vrai ... Mais c'est exquis !
Pendant les vendanges, tous les vendangeurs déjeunaient ensemble, autour d'une table immense, dans la cour de la ferme, face à l'étable. On mangeait bien. On buvait de même ... Le vin de la propriété ... Sec comme de la pierre à briquet, râpeux, mais fruité ... Il avait rafraîchi dans le fond du puits et ... C'est comme ça qu'il est bon ! Les rires fusaient, les plaisanteries aussi ... Il y avait toujours un souffre-douleur ... Mais les mises en boîte étaient sans méchanceté :
_" Eh ! Jeannot ... Tu viens ce soir pêcher les anguilles dans le ruisson ? "
Le Jeannot se verrait confier une énorme poche emmanchée ou un pibalour ... On ferait mine de frapper l'eau pour rabattre le poisson ...
_"Eh ! Jeannot ... Tu ne bouges pas d'ici, et tu ne relèves pas la poche avant qu'on te le dise ..."
Bien-sûr, on l'abandonnerait là et il pourrait attendre longtemps que quelqu'un lui fasse signe ... C'était notre façon à nous de pratiquer la chasse au dahut ... Et cela marchait ... Pauvre Jeannot ! Pour nous, la soirée se finirait dans un chai, quelque part.
Nous étions bien vingt ou vingt cinq, pour vendanger les vignes d'Alphonse : Tous les membres de sa famille, nous, qui étions en vacances, et les congés-payés qui avaient l'habitude de participer aux travaux des champs ... D'ailleurs, ceux-là, ce sont eux qui se sont, les premiers, transformés en estivants et ce sont eux, bien souvent, qui ont construit les premières petites villas. La plupart du temps, ils achetaient un bout de terrain au fermier chez lequel ils avaient coutume de venir faire les vendanges ... Deux ou trois rangs de vigne ... C'est ainsi également que l'on vit naître les premiers terrains à camper, sur lesquels s'installèrent ensuite les baraques et les caravanes ... Les mobile-homes, maintenant.
Les repas étaient pantagruéliques, chez Alphonse et Alphonsine : Pâtés, oeufs, poulets, cochon, poissons ... Légumes et pommes-de-terre, mayonnaise à la louche, desserts, crèmes de toutes sortes et ces miches de pain ! ... Du pain de cinq livres, que livrait Georges Boucheau, de St. Georges ... Doré, croustillant, épais, mie blanche et tendre ... Chacun s'en coupait de ces tranches ... Et on tartinait du beurre !
Il nous fallait bien cela : Toute la matinée, dès sept heures, nous avions coupé le raisin, avançant pliés en deux dans les rangs de la vigne, surveillant les autres du coin de l'oeil pour ne pas rester à la traîne, ce qui nous eût attiré quolibets et représailles ... De temps à autre, quelqu'un se redressait, portait les mains à ses reins ou à son dos, poussait un grand cri en s'étirant, apostrophait une fille ou un garçon ... Puis se courbait à nouveau et remplissait son bassiot' . Moi, je portais la hotte ... Sur mon dos ... Et les autres y chaviraient les bassiot' . La hotte était lourde. Il fallait la porter à l'autre bout des rangs, pour la déverser dans une bassée , un grand récipient de bois, dans lequel le raisin serait foulé à l'aide d'un pilon : Tout comme les négresses pilent le mil ! A la mi-journée, j'avais le dos raide et aussi le dessus des cuisses.
L' après-midi, on recommence ! Il fait très chaud parfois ... Une sorte de torpeur nous prend un peu ... Nous avançons moins vite. Le ciel est blanc comme une plaque de métal surchauffée ... Nous travaillons en silence ... Tu te déhanches, tu vides la hotte à moitié ... Il faut écarter les bretelles ensuite, et secouer pour faire tomber le reste. Tu as les mains poisseuses et la peau du visage te semble tendue, sèche. C'est Alphonse qui foule dans la bassée. Le grand costaud qui attrape les bassées pour les vider dans les douilles, sur le plateau de la charrette, c'est le fils Blanchard, Roger ... Il vous enlève ça en un tour de main. Le cheval tape du pied, secoue sa crinière, souffle en faisant vibrer ses naseaux ... Il balance sa queue pour se débarrasser des mouches et des taons. Il finit pas s'impatienter :
_"Oh! Là Oh ! ... Tu ne veux pas partir avant que j'aie fini, non ? "
Le soleil est bas lorsque le signal est donné pour la fin du travail ... Les courlis commencent à passer en sifflant longuement, les palombes qui piétaient dans la luzerne sont parties pour regagner les chênes. Le cheval semble plus pressé de tirer sur ses harnais ... Il sait ... Comment ? ... Que la journée est finie.
La plupart enfourchent leurs vélos et repartent chez eux, quitte à se donner rendez-vous pour la fameuse pêche à l'anguille ... Alphonse conduit son cheval jusqu'au puits ... Il a rempli le grand timbre de pierre pour faire boire l'animal ... Celui-ci trempe ses lèvres, aspire longuement, souffle. Alphonse le conduit à l'écurie : Il le bouchonnera avec une poignée de paille, l'étrillera, puis remplira la mangeoire avec quelques fourchées de foin. Le cheval encense pour remercier, tape du pied à nouveau, bouge les oreilles, puis il se replie dans ses pensées personnelles. Une poule court entre ses sabots, cherche le crottin dans lequel luisent des grains d'avoine ...
Moi, pendant ce temps-là, je me lave dans un seau, torse nu devant la pompe ... A grands jets d'eau et à grands renforts de savon de Marseille qui mousse ... Que c'en est un vrai plaisir! Moi, je passerai la nuit à la ferme. Le soir, après le dîner, j'accompagne le vigneron jusqu'à son chai pour l'aider à faire la treuillée ... Il faut remplir le pressoir, serrer les vis et les boulons ... Et puis tourner le treuil , jusqu'à ce que le jus s'écoule, épais, gras, sucré et déjà suret ... L'air a une odeur particulière ... L'air fermente... Odeur de vendanges, dans tout le village ... Dans toute l'île. A la lumière des lampes à carbure et des lampes-tempêtes, tous les chais sont au travail ... Jusque tard dans la nuit ... Jusqu'au moment où la treuillée est finie, le jus pompé, déversé dans les barriques, la râpe dégagée du treuil, chargée, prête à être enlevée. Le chai est tout propre lorsque le vigneron déclare :
_"Allons nous coucher maintenant".
Pour ma part, je n'irai pas aux anguilles : Toute une journée de travail, plus la soirée pour presser la vendange... C'en est largement assez pour me faire dormir !
Le lendemain, on recommencera ... Et comme ceci pendant une quinzaine de jours. Mais à la fin ... Le dernier repas sera encore plus pantagruélique que les autres ... Les rires fuseront encore plus fortement ... Les chansons s'élèveront... Les répertoires de "bonnes blagues" se dévideront :
_" Et tu ne connais pas celle du gars qui pêchait au salé ?"
Je ne me souviens plus de "celle du gars qui pêchait au salé "... A coup sûr, elle était bien bonne ...
Pêcher au salé, c'est encore pêcher les anguilles. Ce mode de pêche est interdit maintenant, mais il n'est pas impossible que vous le voyiez pratiquer encore quelque soir, le long d'un canal ou le long d'un fossé : Le salé est un engin de pêche dont la forme et l'utilisation s'apparentent à celles d'un harpon ... Mais le manche en est très long et très lourd ... Il peut atteindre quatre à cinq mètres, parfois ... A son extrémité est fixé un faisceau de lames ou de pointes d'acier ... Avec ou sans ardillons ... Il s'agit, en restant sur la levée du ruisson, de manier le long manche de telle façon que le fer aille se planter dans la vase, au fond de l'eau. Les anguilles se font prendre entre les pointes ou les lames ... Il faut, chaque fois, remonter l'engin pour vérifier s'il y a une prise puis, éventuellement, tirer sur le manche pour remonter l'anguille jusqu'à soi et la décrocher. Elle est souvent blessée. Beaucoup, du reste, doivent s'échapper sans que l'on s'en rende compte ... Est-ce pour cela que ce genre de pêche est maintenant interdit ? ... C'est un travail d'athlète, et celui qui le pratique n'a pas besoin d'un autre genre d'exercice pour développer ses biceps et ses abdominaux ... Et croyez-moi, la pêche est souvent bonne !
Le Commandant restait à la base aéronavale de Rochefort pendant toute la semaine. Il ne passait que les week-ends avec nous, du moins lorsqu'il n'était pas en congé. Il arrivait le samedi ... Nous ne savions jamais exactement à quelle heure il arriverait, mais c'était généralement au début de l'après-midi. Il venait en avion...
Il n'y avait pas d'aéroclub oleronnais, en ce temps-là ... Juste un grand pré entre St.Georges et St. Pierre, exactement là où se trouve le terrain actuellement, à Bois-Fleuri.
Un petit avion apparaissait. Parfois nous le distinguions dès qu'il atteignait le niveau du fort Boyard. En tout cas il faisait trois tours au-dessus des cinq cheminées de la maison, il battait des ailes, coupait son moteur, le relançait, puis s'éloignait. La voiture partait à sa rencontre dès le premier tour. Le lundi matin, même ballet en sens inverse. Je crois bien que c'est de là qu'est partie l'idée qui a donné, plus tard, naissance à l' aéroclub.
Le vendredi, lorsque le coefficient de la marée le permettait ... Nous posions un ou deux tramails, soit vers Plaisance, soit vers les Boulassiers ... Avec le temps, nous avons compris que la faiblesse du coefficient, à moins qu'elle ne soit extrème, n'empêche pas de poser des filets... Nous pêchions plus, certes, lors des grandes marées, mais par coefficient très moyen, nous pêchions tout de même "assez pour en manger". C'était notre fierté que d'avoir, dès l'arrivée du Commandant , des soles à mettre dans les assiettes. Le dimanche, mon père venait à la côte avec nous, et nous étions fiers encore lorsqu'il découvrait la façon dont nous y étions pris pour poser les tramails et qu'il voulait bien l'approuver. C'était lui qui démaillait le poisson : C'était son plaisir et son privilège.
Un tramail, c'est un filet de vingt cinq métres de long, la plupart du temps. Il compte trois nappes superposées, d'où son nom : La première à mailles larges, celle du milieu à mailles étroites : elle est plus haute, plus floue que les deux autres ... la dernière, à nouveau, a des mailles larges ... Ce qui se passe, c'est que le poisson, lorsqu'il butte sur la première nappe, arrive à passer à travers, mais il bute alors sur la seconde trame et là, il ne peut passer ... Il se débat, continue à forcer et, finalement, se trouve enfermé dans une poche constituée par la nappe du milieu, refermée par l'une des mailles les plus larges ...Il est pris et, en continuant à se débattre, il ne fait que tordre la poche, donc rendre encore plus impossible l'évasion. Souvent, quand on les trouve, les soles les plus grosses se sont tellement tortillées qu'elles en sont congestionnées et marquées de sang.
Les nappes du filet sont rattachées à deux ralingues : Une en haut, qui porte les bouchons, l'autre en bas, qui porte les plombs ... Les plombs contraignent le filet à toucher le fond, les flotteurs, à marée haute, le dressent à la verticale. Ce sont des poissons de fond qui sont nos proies, aussi les filets ne mesurent-t-il guère plus de soixante centimètres de haut. A chaque extrémité, on traîne deux roches choisies pour leur forme, et on y attache les ralingues : La ralingue du haut tendue vers l'amont du courant prévisible, la ralingue du bas étirée vers l'aval : Ainsi le filet résistera mieux.
_" Ne jamais oublier de tendre le filet perpendiculairement au sens du courant ... Si vous ne faites pas cela, votre filet ramassera tout le sar que le courant entraînera ! "
Nous avons bien retenu la leçon ... Et nous avons bien serré les noeuds, autour des roches : Certains se plaindront qu'on leur a volé un filet : Ils ne l'avaient tout simplement pas assez bien attaché ... On trouve parfois sur la plage, après les tempêtes, d'étranges pelotes de fils embrouillés qui ne sont pas autre chose que les restes des filets qui ont dérivé...
En ce temps-là, les filets sont en fil de coton. On les achète à la coopérative des pêcheurs, à la Cotinière, ou bien, et c'est notre cas, on va les acheter sur le continent , chez Romegous, au Chapus. L'inconvénient du coton, c'est que le sel et le soleil, l'usage, le rendent assez vite cassant. Il est alors bon à jeter à la poubelle, plein de trous.
Ce matin-là, nous arrivons sur l'estran un peu avant que nos filets ne soient découverts. Nous en avons posé trois à la file, hier au soir. Nous avons placé une bouée à l'une des extrémités, ce qui fait que nous n'avons pas de mal à les repérer. Il vaut mieux arriver en avance ... Faute de quoi on risque de trouver quelqu'un qui était en train de mareyer le filet avant notre venue. Cela nous est arrivé ... Le Commandant a gueulé, j'ai menacé de flanquer le prédateur à la baille ... Mais comme il s'agissait d'un type tout petit, tout bossu, tout tordu ... Allez donc faire quelque chose ! _ Ce qui était plus ennuyeux, c'est qu'il ne prenait pas le temps de démailler le poisson : Il coupait les mailles avec son couteau ... Comme s'il n'y avait pas assez des crabes pour couper les mailles !
Bon, ce matin-là, pas de problème. D'ailleurs la ligne des bouchons commence à émerger, à déraser, comme on dit ...
_" Tu as vu celui-là ? "
Celui-là, c'est un mulet attardé : Il a sauté par-dessus les bouchons ... Ce n'est pas le genre de poissons que l'on peut prendre au tramail. Nous approchons, mais nous restons suffisamment en-deçà pour que le filet puisse piéger encore les soles qui seraient devant lui ... Elles restent souvent jusqu'au dernier moment au pied de la ralingue ... Ne pas les effrayer ...
-" Il y a beaucoup de sar ?"
_" Pas trop, et puis c'est du gros sar, ce n'est pas de la salade ... A première vue, pas de merdou ..."
Chance ! _ Le merdou, c'est composé d'algues minuscules, collantes, formant bourre, qui s'accrochent à chaque noeud, à chaque maille ... Essayez de secouer le filet dans l'eau, c'est tout ce que vous pouvez faire pour tenter de le nettoyer un peu ... Et encore, il faut soulever le filet pour que courant fasse passer le merdou sous la ralingue, autrement, il se reprend dans les mailles. Vous aurez plus de quitte à relever votre filet, à le tendre sur ses piquets, devant la maison, à laisser le soleil dessécher tout cela ... Après, seulement, vous pourrez réduire les algues en poudre, en frottant les nappes entre vos paumes, centimètre par centimètre ... Une horreur ! ... Des heures et des heures de nettoyage !
La salade, c'est moins ennuyeux : Il s'agit d'algues vertes, plus ou moins longues, plus ou moins fines ... Mais qui ne collent pas. On arrive à l'arracher entre le pouce et l'index ... Toute la famille s'y met,
_"Jette ce que tu enlèves le plus loin possible, en aval du courant ... Ou alors tout revient se prendre dans les mailles ! "
Les autres variétés de sar sont moins ennuyeuses encore : varech à pustules, longues lanières des laminaires, longs cheveux noirs ... Ils sont faciles à décrocher du filet et à jeter. Mais il faut faire vite, si on veut laisser le filet en pêche pour la marée suivante ... La mer ne va pas tarder à renverser, puis à monter ... S'il y a trop de sar, vraiment trop ... Vous avez intérêt à tout ramasser en tas sur le boyard et à le ramener à la maison : Un filet trop chargé oppose au courant et aux vagues la résistance d'un mur ... Il se déchirera ou dérivera.
_"Alors ? Il y en a ?"
Ne demandez pas de quoi il s'agit : En général, on ne compte que les soles ... Nous avons laissé le Commandant partir en avant ... Privilège du chef ...
Il a de l'eau jusqu'aux genoux, dépassant largement le haut de ses bottes ... Il longe le filet ... Il s'élève sur la pointe des pieds et avance en danseuse car le niveau de l'eau est encore haut ... Il compte :
_"Une ... Deux ...Trois ... Ah ! Là, il y a quelque chose, mais je ne vois pas ce que c'est : L'eau est trouble ... Peut-être une taire ... Quatre ...
Ce jour-là, il y en aura quinze ... Quinze soles, plus quatre taires et trois barbarins ... Une sole ... La plus belle, bien sûr ... Donnera un coup de queue au moment où le commandant la démaillait ...
_" Pourquoi ne lui as-tu pas mordu dans la tête ? "
Il le fait pour la suivante, puis crache de tous les côtés. Aujourd'hui, on nettoie les filets et on les laisse en place : Le coefficient de la marée augmente. Demain, nous aurons des soles encore, à la prochaine marée basse. Nous prenons le chemin du retour et, parvenus près de la plage, au bord de la dernière flaque d'eau de mer, nous posons la corbeille : Le chef s'accroupit, prend son couteau : Le poisson sera gratté et vidé avant d'arriver à la maison. Je pars chercher des palourdes car le flot n'a pas encore recouvert les derniers bancs de sable ... Je me retourne : Le père est arrêté au pied de la dune, près de la jetée du port:
Il tend sa corbeille à un homme ... Un pêcheur à la foulée , sans doute, s'apprêtant à déchausser ses cuissardes ... L'homme met son nez dans la corbeille : Sans doute est-il en train de s'extasier et mon père se rengorge ... Sur le rocher où est plantée une balise, toute la famille de mon cousin, Franck Mérignant est affairée : Homme, femme, garçons et filles, petits et grands ... Ils ramassent des huîtres pour les faire grossir dans les marais :
_ " On peut dire qu'ils ont du courage : Soleil, pluie, vent, rien ne les retient à la maison ! "
Je ne suis pas un très bon pêcheur de palourdes. Mon frère aîné réussit mieux que moi : De grosses palourdes, noires ... Que l'on trouve au bout du mur est des écluses des Blanchardières. Nous les pêchons aux trous , c'est à dire que nous cherchons dans le sable les deux petits trous par lesquels le mollusque fait coulisser ses siphons. Il y faut de l'attention, de la persévérance ... Et des reins qui ne soient pas trop douloureux ! Nous grattons avec les doigts :
-"On les sent mieux ainsi ..."
Nous n'avons plus d'ongles, à force de gratter dans les sables et les graviers. Nous ne conserverons que les plus grosses ... Les petites, nous les jetons dans le ruisson, derrière la maison ... Allant un jour relever les fagots de sarments que nous plaçons dans le ruisson pour pêcher les anguilles qui adorent s'y cacher, nous nous apercevrons par hasard que le fond de vase sablonneuse est plein de palourdes : Il suffit d'y passer la main pour en recueillir trois ou quatre ... Et elles sont de belle taille ! ... Elles ont grossi ! Peut-être avons-nous inventé là les élevages de palourdes, qui ne s'installeront que trente ans plus tard ?
_" Ne rien dire ... Tout le monde viendrait nous les faucher ! "
Ma pêche, à moi, c'est l'ouillage ... J'adore aller seul, par les nuits noires, me tremper dans les eaux tièdes, admirer les lumières et les reflets, écouter les oiseaux qui passent et les poissons qui sautent ... En bruit de fond, souvent, les battements de coeur d'un petit chalutier qui drague sur le banc de la Longe ou dans la Malconche... C'est l'Univers qui vit et je vis avec lui.
J'aime aussi pêcher les bataillés, traduisez : les étrilles, les crabes-sardines, traduisez comme vous voudrez , les noms et les surnoms ne manquent pas!
C'est une pêche simple. Il suffit de connaître les bons coins: Nous avons l'habitude d'aller sur la Grand' Banche, ou bien vers les grains ou encore plus loin , en face de St. Denis, là où se trouvent des écluses qui enserrent des collecteurs à huîtres. Sur la Côte-Sauvage, de l'autre côté de l'île, ce ne sont pas les mêmes crabes que l'on rencontre, mais plutôt des chancres de roches, aux pattes velues.
Il faut y aller lorsque le coefficient est très fort : La mer recule loin, alors, très loin ... Il y a du champ à parcourir et beaucoup de roches à virer ... Choisissez si possible une marée dont le coefficient atteigne quatre vingt dix, au moins ... Et une période de lune croissante : Si vous laissez passer le jour favorable, vous courrez grand risque que toutes les roches aient déjà été virées avant votre passage ... Vous aurez maigre pêche !
Vous l'avez compris : Avec des bottes pour ne pas vous estropier sur les rochers, la corbeille dans le dos, l'espiot' à la main ... Il s'agit surtout d'être là avant les autres, bien avant que la mer ne se soit complètement retirée ... Et de marcher vite ... De tenir votre place en tête de la foule des autres pêcheurs ... Car l'été, il y a parfois la foule ! Si vous tenez le rythme, si vous arrivez à temps pour accrocher chaque roche et la virer avant les autres ... Vous avez des chances de faire une bonne pêche. Parfois, si la roche est très grosse, il faudra vous arquebouter, la faire balancer, puis la faire pivoter... Dès que la roche a basculé ou seulement bougé, les crabes sortent, s'il y en a... Ils se propulsent à une vitesse incroyable dans les eaux qui se retirent encore : C'est que leur dernière paire de pattes se termine par des palettes avec lesquelles ils nagent très bien. Souvent, ils montent à la surface et battent l'eau. Je vous recommande d'emporter une épuisette dont vous aurez coupé le manche pour la manipuler plus aisément ... Elle vous facilitera les choses ...
Autrement, posez l'un de vos pieds sur le crabe, en le maintenant contre le sable ... Ramassez-le en prenant garde : Il faut le prendre par l'arrière de la carapace, entre le pouce et l'index, en bloquant bien les deux pinces ... Attention, il se redresse s'il le peut ... Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme aussi le crabe-enragé ... S'il vous pince, il ne lâchera pas ... Il vous pincera jusqu'au sang ! Un dernier conseil cependant : Si vraiment il ne veut pas vous lâcher, ne secouez pas la main en l'air, c'est inutile ... Plongez-la plutôt dans l'eau ... Au contact de l'eau, il vous lâchera. Comme ces crabes sont très vifs, il vous arrivera souvent de les voir filer, et puis de les perdre très vite de vue ... Ne perdez pas votre temps à rechercher le fuyard : Il y a grande chance que vous ne le retrouviez jamais ... Il aura disparu dans le varech et dans les algues ... Quant aux crabes verts ou rouges, ignorez-les ... Ce ne sont que des mange-monde !
_" Tu en as beaucoup ? "
_" Ma pleine corbeille ... Et puis ce sont des gros ! "
_" Moi-aussi. Mais ce sont surtout des mâles. Il y a peu de femelles et elles sont très petites ... Quelques couples, en train de copuler ... Mais ce sont toujours de gros mâles, avec de toutes petites femelles"
Le contenu du discours indique que la scène se passe en septembre, probablement lors des grandes marées d'équinoxe ... La mer se retire alors sur bien plus d'un kilomètre.
_" Allez, ça renverse. Tu rentres ou tu vas pêcher des palourdes ?"
-" Non. J'ai assez galopé. J'en ai plein le dos ... Et puis la courroie de ma corbeille me scie l'épaule ... Allez, rentrons, la mère fera bouillir la pêche dans son fait-tout."
_"On pourra en donner aux voisins. Il y en a assez ... Tu parles d'une marée ! "
_"Arrête ! Arrête ... On croirait entendre lire le Manuel du petit bassier néophyte ! La pêche aux crabes, ce n'est tout de même pas seulement ça !
... C'est de la lumière, de la lumière partout, en ses multiples nuances et en ses multiples teintes, mais de la lumière partout, directe ou réfléchie, tremblante ou nappée. Ce sont des glacis, des nacres et des miroirs, des transparences violettes, rouges, jaunes et brunes. Ce sont des vibrations et des émotions : ... Là, quand quelque chose jaillit de dessous la pierre ... Quelque chose ... Et il faut un certain temps pour savoir quoi : Crabe, congre, chaboisseau, anguille, loche ... Qu'est-ce que c'est ?
De toute façon, ce sont des jaillissements de lumière et des frissons de couleurs. Une partie de pêche aux crabes, c'est l'air qui emplit les poumons, vif, enivrant, sentant le sel et les algues, et quelque chose d'indéfinissable que je ne ressens que sur cette côte-là, quand la mer se retire ... Ce sont les cris des enfants courant sur les rochers ... Quels enfants ... Ceux que nous avons été ?
_" Papa ! Papa ! ... Un crabe, là ! Il y a un crabe ! "
Mouettes en troupeaux, parfaitement indifférentes, immobiles ...L'une d'elles s'élève en chiffonnant ses ailes : Au bec, il lui pend quelque chose ... Un serpent-de-mer, sans doute, être bizarre, lent, raide, maladroit, qui se laisse prendre ... On fera sécher au soleil ceux que les enfants ont pris ... Comme des hippocampes ... Mais il n'y a plus d'hippocampes ... On en trouvait autrefois ... Beaucoup ... Aux grandes marées.
Morsure du soleil sur la nuque, clapotement de l'eau dans les bottes, crissement du fer sur la roche, éclaboussures... Vastes étendues ... Liberté ... Le sang circule plus vif ... Voies royales pavées d'étoiles de mer ... Et l'on y marche, comme le Roi de Thulé ... Somptueux nuages violets dans l'eau des coursières et des casses ... Friselis au moment de l'étale et , plus loin, la mer est lisse, brillante, comme une robe de soirée brodée de paillettes et de perles."
Sables ... Sables d'or ... Odeur des oyats et des oeillets des dunes ... Fleurs bleues des panicauts ... Sables mouillés, plus sombres ... Os de seiches, blancs ... D'un blanc plus que blanc ... Liseré des algues à la laisse ... Épaves de bois poncés ... Coquilles d'huître et de bedjas ... Sables sur lesquels s'inscrivent les traces des pneus de nos bicyclettes... Des Boulassiers jusqu'à Boyardville ... Sans aucun obstacle ... Sables nus ... Des kilomètres de sable ... Des kilomètres et des kilomètres... Sables sur lesquels un groupe traîne une senne ... Et les poissons vont briller, scintiller sur les sables ... Sables que l'on creuse du doigt pour en extraire les lusettes, carminées comme les ongles d'une jeune-fille ... Sables que l'on creuse d'un coup de fourche ou de ferrée pour y trouver les solens jaunes ... Certains sèment du gros sel, à la pincée, dans les trous ; Les couteaux en jaillissent. Sables dans lesquels on se roule ... Grands et petits ... Que l'on moule pour en faire des châteaux, des forts ou des fleurs. Sables où sautent les puces-de-mer, comme des crevettes... Sables que les courants déplacent, accumulent, que le vent soulève en poudre ... Sables qui courent, sables qui engloutissent ... Sables qui montent ou qui s'en vont.
J'ai vu la mer manger la dune, puis la marée passait et noyait les pins. J'ai vu disparaître des cabanes et des jardins. Mon ami Gilles Dutheillet perdit en un coup, derrière chez lui, cinquante mètres de terrain ... J'ai vu des blockhaus déchaussés par le flot et par le vent, basculant cul-par-dessus-tête, d'un seul bloc ... On les aperçoit encore de nos jours, stupides, à marée-basse, engloutis à demi, perdus là où ils n'ont jamais eu rien à faire ... J' ai vu la tempête ronger les pins par rangées, et l'on eût cru des rangées de soldats qui tombaient, d'un seul mouvement ... Au bout de quelque temps, ils avaient disparu, ayant dérivé vers ailleurs. J'ai vu des ports entiers, bouchés jusqu'à la gueule ... Port de St. Denis, Port du Douhet ... Construits au dix neuvième siècle pour exporter les tonneaux de vins, le sel et l'orge.
_" C'est quand même curieux que tous ces grands messieurs, ils n'arrivent pas à comprendre : Le port du Douhet ... Il s'est bouché parce qu'on n'a pas reconstruit la digue des Boulassiers. Nos anciens savaient ce qu'ils faisaient, tout de même ! Ce sont les courants qui ont changé ... Parce qu'on n'a pas reconstruit la digue des Normands ... Ils ont beau faire venir des ingénieurs et des beaux-parleurs ! ... Tant qu'ils n'auront pas reconstruit la digue des Normands, la mer mangera la côte de Plaisance et le sable bouchera le port ... "
_" Et tu ne crois pas aussi qu'ils sont stupides, ceux qui laissent détruire les écluses à poisson ? L'administration maritime encourage leur abandon ... Va donc savoir pourquoi ? ... On veut toujours être plus fort que les autres ... Et puis voilà ce qui arrive. Est-ce que les écluses ne protégeaient pas les côtes ? "
Os blanchis du vieux bateau qui gisait sous les sables , dune formée au pied du moulin du Douhet ... Le croiriez-vous ? _ Le propriétaire de la villa la Grimpette, cachée dans les cyprès veut entourer son terrain :
_" Là. Je plante mes piquets."
On creuse ... On s'aperçoit que l'on se trouve à l'aplomb du quai du port ... Que personne ne croyait là. La grande jetée, elle, bâtie en pierres de taille, émerge à peine. L'intérieur du port est vallonné ... Des herbes y poussent.
_" Ce serait tout de même chouette, non, si l'on pouvait voir à nouveau des barques dans le port ..."
Tu parles, Commandant ... Des barques dans le port du Douhet ... Ce n'est pas demain la veille !
Et pourtant, il y en aura un jour, des barques dans le port...
Des barques et des voiliers. Le Commandant, en retraite, est devenu Maire de la commune de St.Georges ... Il fait faire une étude sur maquette, dans les bassins du laboratoire d' hydraulique de Maison-Alfort ... Il y aura un jour des barques dans le port ! ... Et ce n'est pas la digue des Normands, qu'il faut reconstruire : C'est la grande jetée qu'il faut prolonger en direction du rocher de la balise, la prolonger d'une bonne trentaine de mètres ...
_" Sais-tu ... Trente ans après ... Tu vois : On est encore obligé de désensabler l'entrée du port. La commune a dû acheter une pompe qui coûte les yeux de la tête et qui ne résout rien ... Ah ! Je te le dis ... Si l'on avait reconstruit la digue des Normands ! ... "
_" Eh bien je vais te dire, moi ... Ce n'est pas cela du tout : Le laboratoire d'hydraulique avait bien indiqué qu'il fallait prolonger la grande jetée en direction de la balise ... On ne l'a pas assez prolongée ... Les mytiliculteurs, aux Saumonards, ont eu peur que le détournement des courants n'engloutisse leurs piquets sous le sable ... Le Commandant n'était plus Maire, et son successeur n'y connaissait rien : Il était Notaire !
_"Mais ça, c'est une autre histoire ..." Disait le petit lutin assis dans le creux de la dune, au pied du romarin.
L'autre jour, j'ai rencontré ... Sais-tu qui ? ... Sais-tu qui ? ... L'autre jour j'ai rencontré dans les bois de Foulerot ... Qui revenait de prendre son bain ... Et qui chantait ... Qui chantait !
J'ai rencontré Marius, le Marseillais. Sous son peignoir, il était nu ... Nu comme un ver ... Le peignoir n'était pas fermé .... Et Marius chantait. Il faisait plutôt frais. Le facteur rentrait chez lui, tête nue et sans souliers, en chantant comme lorsqu'il était en tournée.
_"Salut, Marius, alors, cette retraite ... ça se passe bien ? "
_" Elle est toute fraîche. Attends un peu pour savoir ... Mais tu vois ... Cela ne va pas mal ! "
_" Tu te baignes tous les jours ? "
_ " Tous les jours que le Bon-Dieu fait ! ... Rien de tel pour se décrasser les idées ... "
Avez-vous connu la mère Ferrouillat ... La femme à Marius ? Elle est morte, la pauvre ... Il y a déjà quelques années ... La joie de vivre, Monsieur ... La joie de vivre. Elle était grosse, toute ronde ... Elle chaloupait un peu pour marcher ... Un sourire ... Un sourire maternel ... Je ne peux dire que comme ça ... Maternel ...
Marius et sa femme avaient acheté une ancienne ferme, à Bretagne, qui touche Foulerot, sur le chemin de la plage. Ils l'avaient transformée en auberge ... Oui, c'est ça : Le "Logis de Bretagne" ... L'auberge est encore là. C'est la fille qui la tient, avec son mari.
Le "Logis de Bretagne", ça vous a des airs de pension de famille ... C'est ça : C'est la famille ! On joue à la pétanque dans la cour, on boit l'anisette sous les feuillages, on mange dans la grande salle ... On mange ! ... Cuisine familiale ... Et on chante ! Tout le monde se connaît car on est si bien qu'on y revient.
Pendant longtemps, Marius a combiné la tournée du facteur avec les coups de main à l'auberge. La patronne, elle, on la trouvait dans la cuisine, à plumer le canard ou à gratter du poisson ... A touiller le ragoût ou bien à vous gratiner la sole. Dans la vaste cuisine, sous le plafond, pendaient les jambons ... Trouvez-moi quelqu'un pour préparer aussi bien le jambon ... Le saler, le masser, chaque jour, avec les herbes et le poivre ... Le masser ... Jusqu'à ce qu'il transpire ... Un parfum ... Je ne vous dis que ça! ... La cuisine de la mère Ferrouillat ... Il fallait absolument y entrer avant d'aller dans la salle à manger : Cela vous mettait en appétit ! Elle prépara même un jambon pour moi ... Un jambon que j'avais acheté tout exprès ! ... Pourquoi l'avons-nous mangé si vite ?
Mais ce n'était pas que cela, les Ferrouillat ... Ils avaient adopté une petite fille ... Une Marseillaise ... Elle a perdu son accent en allant à l'école avec les enfants oleronnais. On m'a dit que cette petite fille, ils l'avaient recueillie des bras de sa maman, laquelle séjournait à l'auberge. Une pauvre maman !
On m'a dit aussi qu'un beau jour, un homme était venu réclamer la fillette ... Un Marseillais ... Peut-être bien, même, qu'ils étaient deux ... Ah ! Bien oui ! Marius avait sorti le fusil !
Marius au grand coeur ... C'est peut-être bien à ce souvenir que Marius chantait, l'autre jour, tout au long du sentier sablonneux ... Il rentrait chez lui, au "Logis de Bretagne" ... Sa fille l'attendait, et son gendre aussi ... Et Marius chantait, presque nu :
Un bain chaque matin, c'est parfait pour se maintenir en bonne santé et ça vous décrasse les idées ! Il chantait : _ " Y'a d' la joie ... ! " Je crois que c'est pour cela qu'à Foulerot, il y a une rue qui s'appelle " Rue de la Joie " ! Oui, oui ... J'en suis sûr : C'est pour ça ! Tout près du jardin à Gabaret ...
L'ours brun dévissa sa tête et la mit sous son bras : Il allait crever, tellement il faisait chaud là-dessous ! A ce moment-là retentirent les cors de chasse, puissants, résonnant jusque sous les porches. Les battants de la porte s'ouvrirent et tout un peuple sortit de l'église romane : Dames et Chevaliers, pages, soudards, accortes soubrettes et fières princesses ... Il y avait toute une cour des miracles : Le cul-de jatte et l'aveugle, le borgne et le manchot ... Les hommes d'armes avaient laissé leurs chevaux au pied des grands tilleuls. Satins, brocarts, soies, hardes et chiffons ... Puis apparut le roi, majestueux, couronne en tête ... Quel roi ? Bien ennuyé celui auquel on eût demandé de quel souverain il s'agissait : C'était Aliénor que l'on attendait ... Aliénor d'Aquitaine, souveraine d'Angleterre et d'Aquitaine. Elle apparut aux côtés du roi. ses suivantes suivaient ... C'était bien leur rôle, ma foi !
Elle était superbe, l'héroïne du jour, avec ses longs voiles bleus. On l'avait bien choisie : Elle était la plus belle. Son mari, Robert Soulard était quelque part dans la foule des mendiants ou bien dans celle des courtisans, je ne sais plus. Robert Sarrazin, le marchand de vêtements de confection était le roi. Il avait de la gueule.
Les cors de chasse explosèrent à nouveau. Monseigneur l'Évêque de La Rochelle se leva pour le début de la messe de St. Hubert. La foule était disposée sur des bancs, face au portail.
Cétait le début des fêtes qui commémoraient le huitième centenaire des "Rôles d'Oleron". Sur l'autre place de ST. Georges, de l'autre côté de l'église, un veau entier dorait sur les braises, enfilé sur une broche tout droit sortie de la forge de Pierrot Trépeau. Caillot maniait une louche dont le manche mesurait bien trois mètres de long et arrosait la bête : Le feu avait été allumé dès quatre heures du matin. Jeannot Favre, le boucher de Chéray avait entièrement farci le veau, Marcel Denis, son confrère de St. Georges tournait la manivelle tandis que son fils Jean-Marie remuait les braises. Tout serait prêt pour midi, à l'heure où finirait la messe ... Sous les halles étaient rassemblées les cruches et les bouteilles, pour arroser le festin.
Combien y avait-il de personnes costumées ? Cent cinquante peut-être ? ... On avait partagé les costumes entres les gens de St. Pierre et ceux de St. Georges ... Et quand je parle de ceux de St. Georges, entendez ceux de tous les hameaux de la commune : Il y avait là Raoul Pelletier, de l' Ileau, il y avait Louis Méchain ( Mais figurait-il parmi les gens costumés ou parmi les personnalités en complet-veston ? _ Il était tout de même Premier Adjoint au Maire !) Il y avait les deux Delavois, de Sauzelle : Delavois Pain-Chaud et Delavois Tête-de-Bois. Il y avait le laboureur et l'épicier, le cordonnier, le coiffeur, le droguiste et le menuisier, le tonnelier, la laitière, la fille du boulanger et celle de la mercière ... Il y avait Marius, le fossoyeur, et l'autre Marius, le facteur à l'accent Marseillais, l'éclusier et l'éclusière, et tous les enfants du maraîcher, ceux du pâtissier et ceux de la pharmacienne ...
Certains, de St. Pierre, manifestaient de la mauvaise humeur : Entre les gens de St. Pierre et ceux de St. Georges, cela avait toujours été un peu la guerre de Picrochole. Joyon, le pharmacien de St. Pierre, trouvait absurde, sinon inconvenant, de faire passer par l'intérieur de l'église le cortège costumé ... Il se piquait d'érudition et avait produit un petit livret dans lequel il parlait de préhistoire et d'histoire ... Cela allait bien être autre chose après la messe ! ...
Quelqu'un découpait le veau rôti, sur un banc, sous la halle. Un autre coupait de larges tranches, dans les boules de pain fournies par Pignon ... Un grand diable casqué d'une salade en acier poli, cotte de mailles et gantelets, saute sur le banc, un cuisseau à la main, tout dégoulinant de sauce ...
_" En ce jour de liesse, par-devant Son-Altesse Aliénor d'Aquitaine et par-devant le roi son époux, les gens de St.Georges ont l'honneur et le plaisir de vous faire part de l'entrée dans le bourg de .... La Cuiller à Gargantua! "_ "Hip ! Hip ! Hip ! "
_" Hourra ! ", répondirent les gens de St.Georges. Mais les gens de St. Pierre tiraient un nez ... !
La Cuiller à Gargantua, c'est un gros caillou, qui gisait depuis des siècles sur le bord d'un fossé, près de St. Gilles. On dit qu'il s'agit d'un monolithe préhistorique ... Allez donc savoir ! ... Elle est un peu creusée à l'une de ses extrémités, mais elle servait surtout, depuis des lustres et des lustres, de ponceau pour passer le fossé. En Oleron, on connaît comme ça le Palet à Gargantua, et autres cailloux auxquels les années ont attribué des dénominations curieuses...
En attendant, la Cuiller à Gargantua, c'était un caillou comme un autre, non classé, abandonné sur le domaine public ... Nous l'avions ramassée : René Météreau l'avait soulevée puis transportée, avec une pelle mécanique. Nous l'avions cachée pendant une quinzaine de jours, sous une meule de foin, quelque part. Personne ne s'était aperçu de sa disparition et ... Ce jour-là, nous l'avions déposée sur la pelouse, dans le jardin public, près de l'endroit où se trouvait, avant mille neuf cent quarante, un canon sur roues datant de la Guerre de Quatorze ... Canon qui s'était volatilisé, bien sûr, pendant l'occupation allemande ... Au fait, saviez-vous que ce jardin est situé sur l'emplacement de l'ancien cimetière ?
_" Oyez, Messires et gentes dames ! Oyez ... Voici déposée chez nous la Cuiller à Gargantua ! "
C'était Joyon qui en faisait, une tête ! ... Pensez donc, dans le petit fascicule qu'il avait publié, la Cuiller à Gargantua était signalée à St. Gilles ! .... Et puis, St. Gilles, c'est la commune de St. Pierre ! On n'en vint pas aux mains. On parvint même à ne pas se disputer ouvertement. Comme prévu, on fila à St. Pierre, les gens de cour dans leurs voitures, les hommes d'armes sur leur chevaux, lourds destriers plus accoutumés à la charrue qu'à la selle. A St. Pierre eut lieu un défilé.
Au Château avait eu lieu la rencontre des officiels avec les représentants de la marine de Sa Gracieuse Majesté Britannique : Deux petits navires anglais avaient jeté l'ancre non loin de là ... La commémoration des Rôles d'Oleron était bien l'affaire des deux grandes nations qui s'étaient partagées les faveurs d'Aliènor d'Aquitaine. Précisons tout de même, si cela peut être utile, que les Rôles d'Oleron constituent la première réglementation internationale de la navigation ... Cela valait bien une fête?
Pour terminer cette histoire ... Et pour expliquer que la Cuiller à Gargantua puisse se trouver, de nos jours, au pied du mur de l'église de St. Pierre ! ... Ajoutons que les remous furent si agités, dans les colonnes du journal local, que le nouveau Maire de St. Georges ... J'allais dire de Clochemerle ... Notaire de son état, fit ramener le caillou dans la commune voisine ... Les gens de St. Pierre ne l'ont ni attachée ni scellée ... Ils ont eu tort : L'histoire pourrait bien recommencer un jour ... Mais ça ... C'est encore le lutin qui le dit ... Le petit lutin qui est assis sous le tamarin, au beau milieu du pré, ... Et les lutins n'ont plus souvent raison de nos jours : Pour rêver, ribauder et festoyer ... De nos jours, on a "Intervilles" à la télé !
... N'empêche ... Si on avait persévéré ... Le spectacle ... Au lieu d'être au Puy-du-Fou, il aurait pu être en Oleron...
Ne verriez-vous pas une cinéscénie devant le porche de l'église ? ... Ou bien, à l'autre bout de la place, devant le Château Fournier ?
Château Fournier ... Château Briquet ( prononcez Briquet', bien entendu) ... Il y aurait sans doute beaucoup à raconter, sur les maisons bourgeoises de St.Georges, construites pour la plupart au milieu du XIXeme siècle, en période d'ascension bourgeoise.
On pourrait parler de la maison Raoulx, où demeurent encore les descendants d'une famille qui eut des liens avec Cuba, et qui compte quatre académiciens dans ses rangs ... Et non des moindres ... José-Maria de Hérédia, Pierre Louys, René Doumic, Henri de Régnier !
On pourrait parler de la maison Savatier, construite par le Docteur Ludovic Savatier, membre correspondant du Muséum d'Histoire Naturelle, botaniste de renommée internationale : Il rédigea la première flore du Japon ! On pourrait parler ... Il y a, à St. Georges, mais aussi à Chéray, beaucoup de maisons dont l'histoire ne manquerait pas d'intérêt.
Le Château Fournier ... Vous connaissez ... Cela vous a des allures de véritable château, avec tourelle, bassin, parc et toits d'ardoises ... Mais connaissez-vous les chais du Château Fournier ? Je les ai connus encombrés de foudres, de douilles, de muids, demi-muids, fûts, barriques, demi-barriques et barricots ....
On les a déguisés , mais ils sont toujours debout : Vastes bâtiments élevés entre St. Georges et Chéray, rendus méconnaissables par de nouvelles constructions, bariolées : Il s'agit de la salle-des fêtes de la commune, entourée maintenant des bâtiments qui abritent la piscine, la salle de sports, la salle de réunions ...
Lucien Savatier, alors Maire l'acheta pour la commune ... Il n'eut guère le temps de l'aménager autrement qu'en la faisant vider de sa tonnellerie et en faisant poser des plafonds : Son mandat municipal expira à ce moment-là.
Mais savez-vous comment les chais Fournier furent acquis pour la commune ? _ C'est une histoire assez plaisante, et qui a quelque chose à voir avec les fêtes du huitième centenaire des rôles d'Oleron : D'abord, c'était aux alentours des mêmes années.
L' instituteur qui dirigeait l'école du Trait d'Union avait commencé à créer des activités pour les jeunes ... D'autre part, à Sauzelle, grâce à Jean Renaud, il y avait une amicale qui, chaque année, organisait des représentations théâtrales. L'idée vint de faire construire une salle des fêtes ... C'eût été la première en Oleron ... La vitalité montrée par les habitants de la commune, qui organisèrent coup sur coup deux cavalcades réussies, ayant cavalé jusqu'à Marennes, St. Just et La Rochelle, justifiait l'ambition. Oui, mais voilà : Un maire, c'est toujours radin quand il faut sortir des sous des caisses de la commune ... Le père Savatier ne voulait pas entendre parler de construction ... Y avait-il besoin d'une salle-des-fêtes ? _Je vous le demande.
L'instituteur était têtu, et il avait autour de lui une bonne équipe. On apprit que les chais Fournier étaient à vendre : Emplacement idéal, entre les deux principaux bourgs ... Bâtiments vastes et aisément aménageables ... Vaste terrain. Il fallait acheter les chais Fournier. On devait acheter les chais du Château Fournier! Il était nécessaire de convaincre le Maire ... On le convaincrait.
On s'organisa : Publicité, orchestres dans des camions-bennes ... On sillonna toutes les rues, de tous les hameaux... Je crois bien que l'on visita même certains villages qui se trouvent en dehors de la commune ...
On ne ramassait pas de sous, non ! _ On ramassait des briques ! ... Des briques pour construire la salle-des-fêtes, ou bien des parpaings ... On s'amusa beaucoup, ce jour-là : On était bien reçu partout : Inédit ... Des gars qui ramassent des briques pour construire une salle des fêtes... Et qui les ramassent en jouant de la musique !
_"Vous ne boirez pas un coup, avant de continuer?"
A vrai dire ... On en but, des coups de blanc ! Mais on ramassa aussi des briques ... Plus de briques que l'on n'avait pensé : Elles faisaient un gros tas sur le terrain communal où nous les avions déversées, juste à côté de la poste du Trait d'Union ...
Le maire prit les briques, les utilisa à je ne sais quoi et ... acheta les chais du Château Fournier ! _ Belle vitalité, non ? Et qui oserait dire, au jour d'aujourd'hui, que cette acquisition n'était pas une bonne affaire ? _ Avions-nous vu juste ?
C'est à cette époque que les rangs de vigne furent arrachés ou vendus ... C'est à cette époque que commencèrent à s'installer cabanes et caravanes ... Les dunes disparurent, bousculées, rasées pour édifier des villas ... Les bords de mer devinrent des propriétés privées... Les clôtures, partout, barrèrent les points de vue... Mon île, l'hiver, ne fut bientôt plus habitée que par des vieillards, ou peu s'en faut. L'été, elle était devenue un vaste terrain de camping ... Pendant dix mois de l'année les fenêtres, les portes et les volets sont fermés ... Les villages ont perdu leurs commerces, les artisans ont émigré, les cultivateurs ne cultivent plus ...
Mais cela ... C'est une autre histoire, disait le petit lutin, assis sur la margelle du puits ... Un vrai puits...
Si, si, si ! ... Il en reste encore quelques-uns qui ne sont pas factices!
Octobre - Novembre 1997.
Index thématique
pp. 2 à 7 Mon oncle Marcel, boucher à Sauzelle.
pp. 8 et 9 Mon oncle Marc, retraité à Saint-Georges.
pp. 10 et 12 La pêche aux anguilles dans le marais.
pp. 12 à 19 La chasse en Oleron.
pp. 20 à 29 Histoire d'un cheval anglais devenu oleronnais.
pp. 31 à 34 Coexistence de l'heure "ancienne" et de l'heure
"nouvelle"... Les bonheurs de la nouveauté.
pp. 34 à 39 Petite histoire des passages d'eau : " Il suffit de
passer le pont ..."
pp. 40 à 43 Mon grand-père maternel : Quel personnage !
pp. 44 à 49 Le cortège des anciens ... Souvenir, souvenir !
p. 50 Le " Téléphone Public".
pp. 51 à 55 Le Centre de Ballons Captifs des Saumonards.
pp. 55 à 57 Vacances au Douhet, au temps où le port était
ensablé.
pp. 58 à 61 Oleron, juste après la guerre.
p. 62 La batterie de blockhaus du Douhet.
pp. 66 à 68 " Les jolies colonies de vacances."en Oleron.
pp. 69 à 71 Lampe à pétrole et lampe à carbure.
pp. 71 à 77 Pêche au feu, dite pêche à l'ouillage.
pp. 78 à 80 Le long du canal du Douhet. Pêche au carrelet.
pp. 80 à 84 La messe à Saint Georges.
pp. 85 et 86 Où le comique va-t-il se nicher ? Un dimanche à
Saint Georges.
pp. 87 à 89 L'ingénieur de Plaisance.
pp. 92 et 93 Entre le Douhet et Plaisance : La "Maison du Fada".
pp. 94 et 95 Une voiture au fond du canal : joyeuses fêtes !
pp. 96 à 98 Les premiers estivants.
pp. 99 à 103 Les pêcheries, dites " écluses à poisson".
pp. 105 à 107 La "foulée" ou pêche à la "fouine".
pp. 108 à 111 Les vendanges aux Boulassiers.
p. 112 La pêche au "salé".
pp. 113 à 117 A pied sur l'estran, la pêche des soles au tramail.
P. 118 La pêche aux palourdes.
pp. 119 à 121 La pêche aux crabes ; "mange-monde" et "bataillés".
pp. 122 à 124 Petite histoire du port du Douhet.
p. 125 Le"facteur chantant". Une chanson à la Charles Trénet.
pp. 127 à 131 Petite histoire des festivités de la commémoration du
huitième centenaire des "Rôles d'Oleron" et petite aventure rabelaisienne autour de la "cuiller à
Gargantua".
pp. 132 à 134 Histoire " clochemerlesque" de la création de la salle des fêtes du Trait-d'Union ... La vie au village.
Glossaire
( Ce glossaire présente une explication des mots en italique dans le texte , l'orthographe n'est pas garantie pour les mots charentais.).
_ Un canton _ p. 2 Élément caractéristique de l'urbanisme oleronnais... Espace commun, souvent réservé autour d'un puits, près duquel s'organisent les maisons.
_ La sault _ p. 6 Le sel, d'où les noms de village et lieu-dit : Sauzelle, la Saurine, les Saumonards ...
_ Les bosses _ p. 6 et 12 Les langues de terre qui séparent les marais les uns des autres.
_ Essentiner _ p. 10 Mettre un marais à sec pour pêcher le poisson.
_ Un corbejeau _ p. 12 Oiseau dont le nom français est courlis, bec recourbé.
_ La passée _ p. 13 Mode de chasse : Tir au vol des oiseaux qui passent à l'aube ou au crépuscule.
_ Le drôle _ p. 15 et 60 Le garçon . Au féminin, la drôlesse.
_ La maille_ p. 19 Par analogie avec la taille réglementaire des poissons pêchés au filet, dont le maillage assure le respect.
_ Les barguenâs_ p. 20, 25 Les tas de bottes de paille ou de foin.
_ La Malconche_ p. 24 Nom de la baie de Plaisance et Foulerot.
_ "gens de réserve"_ p. 24 Des gens qui ne laissaient paraître que peu de choses à propos de leur personne.
_ Une églade_ p. 26 Mode de cuisson des moules caractéristique.
_ Des"barbes de pin"_ p.26 Des aiguilles de pins, utilisées pour faire l'églade.
_ L'heure "au soleil"_ p. 29 L'heure solaire, différente de l'heure "légale" d'été ou d'hiver. Celle que donne le cadran solaire.
_ Le continent_p. 34 On sort de l'île, on va en France, sur le continent.
_ Les lasses _ p. 34 Barques de bois, allongées, plates, utilisées pour le transport des huîtres.
_ Des merveilles _ p. 35 Beignets traditionnellement préparés à la mi-carême.
_ Bader _ p. 38 Regarder en flânant ( C.F. badaud )
_ Les varagnes _ p. 44,66 Les vannes, les portes des écluses des chenaux.
_ Boire et déboire_ p. 44,80 Emplir ou vider le marais.
_ Les ruissons _ p. 44,57... Les petits canaux qui alimentent les marais.
_ La maline _; p. 44,100 La plus forte marée du cycle... (tous les 15 jours env. )
_ Boëter _ p. 44 Amorcer, fixer des appâts aux hameçons.
_ Des touilles _ p. 44, 106 Requins "peau-bleue" ou "chiens-de-mer", inoffensifs et commestibles.
_ Les jambes _ p. 45, 103 Bernique, "chapeau chinois", coquillage fixé &aux roches.
_ La doucette _ p. 45 La mâche, salade sauvage.
_ Un dail _ p. 47 Faux à broussailles, utilisée par le cantonnier.
_ La treuillée _ p. 47, 111 Le pressoir est appelé le treuil, la treuillée, c'est le pressage.
_ Touiller - p. 49 Tourner pour réaliser un mélange : Avec la cuiller on touille le sucre dans le café.
_ La saucisse _ p. 51 Ballon captif, destiné à l'observation.
_ Le guiderope _ p. 55 Corde que l'aérostier laisse traîner au sol, équipée d'une ancre pour immobiliser le ballon.
_ Les cagouilles _ p. 56,98 Les escargots. Les Charentais sont appelés les "cagouillards", ce qui indique la valeur gastronomique qu'ils accordent à ce gastéropode.
_ Les moines _ p. 56, 74 Les éperlans, petits poissons délicieux à la friture.
_ L'achenau _ p. 60 Le canal.
_ La beurnée _ p. 60 Le repas du porc, cuit dans un chaudron.
_ Le potager _ p. 60 On fait chauffer les casseroles sur le potager en céramique.
_ Déshabillé _ p. 60 Dépouiller le poisson, lui ôter la peau.
_ Quérir _ p. 60 Aller chercher.
_ Moucher _ p. 69 Couper la partie de la mèche qui avait charbonné.
_ Carbure _p. 69 Carbure de calcium. Mouillé il dégage de l'acétylène.
_ Une gourbeille _ p. 72 Corbeille de pêche, en osier, portée dans le dos.
_ Du son de mer _p. 73 Le bruit des rouleaux déferlant sur une plage.
_ Les coursives _ p. 73, 121 A marée basse, le ruissellement des eaux des flaques qui se vident. Le courant y est fort.
_ Les meuils _ p. 75 Les mulets. Poissons très communs.
_ Le bourgnon _ p. 76 La nasse en osier qui, parfois, recueille le poisson de l'écluse.
_ Saper de la goule_ p. 78 Les anguilles font claquer leurs ouïes à l'air libre.
_ Les alarmes _ p. 78 Les quatre perches qui tendent le filet du carrelet.
_ La chardonnette _ p. 81 Graine de chardon sauvage, utilisée pour faire cailler le lait.
_ Les caillebottes_ p. 81 Fromage frais de lait entier . Spécialité charentaise.
_ Le boyard _p. 100, 103 Brancard de transport de charges (voir Boyardville)
_ La ralingue _ p. 102 La corde sur laquelle est montée le filet, elle supporte les flotteurs en haut, et les plombs en bas.
_ Le mort d'eau_ p. 102 Les mortes-eaux, marée à très faible coefficient.
_ Le mur a dérasé_p. 102 La crête du mur a émergé, la mer baissant.
_ Les bouchots - p. 102 Autre mot pour désigner les portes de l'écluse (ne pas confondre avec les bouchots à moules, piquets plantés en bordure de mer.).
_ Pigouiller _p. 103 Patauger, piétiner.
_ Une casse _ p. 105, 121 Un trou dans lequel il reste de l'eau à marée basse.
_ La foëne - p. 107 Fouine.,trident avec lequel on pêche les soles à la foulée.
_ Un pibalour _p. 108 Énorme épuisette faite de grillage fin, pour pêcher les pibales, ou civelles, larves d'anguilles.
_ Un bassiot' _ p. 109 Sorte de panier tout en bois, utilisé pour les vendanges.
_ Un timbre _ p. 110 Abreuvoir creusé dans une seule pierre, d'un seul bloc.
_ Du sart _ p. 115 Du varech, des algues flottantes.
_ La marée renverse_ p. 116 Le mouvement de la marée s'inverse après l'étale. L'eau remonte.
_ Des"mange-monde"_ p.120 Tous les crabes, rouges ou verts considérés comme de peu de valeur commestible. Le nom dit bien ce qu'il veut dire !
_ Chaboisseaux, loches_p.121 Petits poissons cachés sous les rochers à marée basse.
_ Serpent de mer_ p. 121 D'après le dictionnaire, c'est le syngnate, poisson osseux apparenté à l'hippocampe.
_ Les lusettes _ p. 122 Ou louisettes, petits bivalves carminés vivant dans le sable.
_ Les solens _ p. 122 Plus communément appelés couteaux en raison de leur forme. Autrefois abondants dans les sables. Jeune, il est délicieux et tendre Devenu rare, hélas !
jeudi 16 août 2007
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2 commentaires:
Bonjour Monsieur, je recherche des documents sur mon grand-oncle Pierre Debroutelle. Peut-être pouvez-vous me communiquer une copie de la photo citée dans votre article, et me permettre de mettre un lien sur mon blog genhis80.over-blog.com.
Amicalement Raymond Debroutelle
Salut Michel,
Je viens de parler avec ma femme de mon grand père Pierre Fégrai. En cherchant, je vois que tu l'as cité das ton texte. Quelles surprises inimaginables il y a sur l'Internet! Je me souviens bien de ta mère Suzanne que j'étais venu voir à Oléron et aussi de notre rencontre à cette occasion.
Meilleur souvenir à toi,
François Chapireau
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