OLÉRON
EN 1945
En 1945, j’avais treize ans. Je rentrais d’Afrique du
Nord avec mes parents. Cela faisait six ans que j’étais parti. Je redécouvrais
la France. Je revenais en Oléron , le pays de mes aïeux. Tout était neuf, tout
me paraissait étrange … D’autant plus étrange qu’une guerre était passée entre
temps … Une longue et terrible guerre … De longues années d’occupation
étrangère, de privations, de contraintes, de changements … Je redécouvrais les
longues plages de sable fin, les villages aux maisons blanches, basses, les
champs et les vignes, les marais, toutes étendues plates, absolument plates,
sur lesquelles régnaient les rayons d’un soleil magnifique, une lumière dorée.
Je redécouvrais les haies de tamaris et les lauriers nobles, les figuiers et
les romarins, les fenouils. Je redécouvrais les dunes et leur végétation de
giroflées et de pavots. Je
redécouvrais les vastes espaces des anciens marais salants, avec leurs grands
miroirs d’eau dans lesquels se reflétaient les oiseaux : mouettes,
goélands, hérons cendrés, échasses à pattes rouges, avocettes, canards
siffleurs et canards colverts, oies du Canada, sarcelles d’été, sarcelles
d’hiver et bernaches cravant …
Tout un univers de bonheur et la liberté de le parcourir quotidiennement …
-
« J’ai été le
jeune monarque
au pays de ces
solitudes,
un monarque obscur qui
eut pour royaume
le sable, les arbres, la
mer, le vent âpre :
je n’eus pas de rêves,
je suivais
l’espace, mu par le
baiser
du sel, à découvert,
à grands coups de vent
liquide et amer,
j’allais, j’allais, je
suivais l’infini
(Pablo Neruda … écrit à Sotchi)
OLÉRON est voisine de Rochefort. Elle
est partie intégrante des sites fortifiés depuis le XVII eme. siècle, qui
assuraient la sécurité du port de Rochefort. Ses plages sont des plus
fréquentées par les Rochefortais, avec celles de Fouras et Royan.
Mais Rochefort n’est plus le lieu de
transit obligatoire des touristes qui se rendent en Oléron, depuis que le train
ne circule plus entre Rochefort et Le Chapus, en passant par Saint-Agnant et
Bourcefranc … Petit train de poésie, puisqu’on avait le temps de lancer son béret par la fenêtre, de le
récupérer et de remonter dans le dernier wagon … On disait aussi que le
conducteur de la locomotive arrêtait parfois le train en pleine voie pour aller
ramasser des champignons !
Les gares de transit se sont déplacées à Surgères et La Rochelle, d’où
les voyageurs prennent ensuite l’autobus.
La route est
devenue le vecteur de déplacement. Le pont transbordeur a vécu, le pont à
travée levante aussi, (On faisait souvent le tour pour passer par le pont de
Saint. Clément et Montierneuf) …Les petits bateaux et les bateaux de transport
de passagers ont laissé la place à des bacs, puis à un pont (1966).
Les bateaux, (Compagnie Bouineau )
qui assuraient les navettes de La Rochelle à Boyardville ont cessé leur
service : nous avons connu le « Pierre d’Argencourt », joli
bateau à coque en acier : Il a fini ses jours sur la plage du Douhet …
Popaul Raffaut aux commandes, et sa mère à ses côtés, qui rinçait les
verres : Le Pierre d’Argencourt était devenu un bistrot !
Les avions de tourisme et les avions
de secours qui décollaient de Rochefort pour se poser à St. Pierre d’Oléron ont
cessé d’assurer les liaisons. La base d’hydravions qui a existé à Saint Trojan
a été transformée en préventorium. Le camp de ballons captifs qui s’était
implanté aux Saumonards a fermé.
Pendant la durée de la seconde guerre
mondiale, l’île a été occupée, « sanctuarisée » et lourdement
fortifiée.
L’île
d’Oléron était vraiment, en 1945, une ÎLE : On peut dire que les modes de
vie n’avaient guère été modifiés depuis le dix-neuvième et même le dix-huitième
siècle : (On verra les analogies et différences avec l’île de Ré :
« Gens de Ré », de A.M. Luc, aux Éditions du Croît Vif … prix 2010 de
l’Académie de Marine.)
En 1945, qu’était un
Oléronnais ?
Un Oléronnais était un paysan (polyculture pour la consommation familiale essentiellement), un viticulteur, un fermier – éleveur, un pêcheur à pied. Plus rarement et de façon plus localisée il était un ostréiculteur ou un mytiliculteur, un pêcheur embarqué ou un inscrit maritime, un marin au long cours ou au cabotage : (Voir le livre de Thierry Sauzeau, au Croît-Vif : Marins de Seudre).
Les grandes propriétés ayant
appartenu aux abbayes et prieurés ont disparu depuis la Révolution Française.
Les multiples seigneuries ont disparu. Ce seront ces propriétés, laissées plus
ou moins à l’abandon, qui seront rachetées par les comités d’entreprises et par
les services sociaux des grandes villes pour y installer, nombreuses depuis la
fin de la seconde guerre mondiale, des colonies de vacances.
Depuis les années qui ont suivi le Second Empire, les
bourgeois propriétaires, qui avaient profité des ventes de biens nationaux, ont
« senti le vent » et ont investi en envoyant leurs fils faire des
études. Ils ont investi dans les moyens de transport (C’est le moment de la
construction des routes, des phares, des ports, des chemins de fer) Beaucoup de
leurs fils ont intégré l’armée ou la fonction publique. Les propriétés ont été
morcelées et vendues : Le plus souvent, elles ont été vendues par les
bourgeois à leurs fermiers. La crise du phylloxéra n’y est pas étrangère.
Depuis longtemps la saunerie a pratiquement
disparu, victime du développement des autres moyens de conservation des
aliments par les nouvelles techniques (pasteurisation et froid). En 1945, il ne
restait que quelques marais salants en exercice, vers Boyardville et vers Saint
Trojan.
Il
ne restait plus, en 1945, que quelques résiniers gemmeurs, dont beaucoup, comme le père
Dongieux qui résidait à la Chefmallière étaient d’origine landaise. Ils ne
tarderont pas à disparaître, victimes de la fabrication d’essence de
térébenthine de synthèse.
Jusqu’en 1945 il y a très peu de
routes dans l’île : La route nationale, construite dans les années 1830
pour permettre le transport des matériaux nécessaires à l’édification du phare
de Chassiron part du Château, passe par Dolus, Saint-Pierre, Chéray (en évitant
Saint Georges, ce qui causera le déclin du village où s’était établie la
bourgeoisie oléronnaise). Puis on construira la route de Boyardville au départ de Dolus et enfin, mais
enfin seulement, on reliera Saint-Trojan au Château. La plupart des autres routes
n’étaient en 1945 que des chemins blancs, empierrés de caillasse calcaire qui
provenait des carrières de Crazannes ou des carrières locales.
Il
n’y avait jusqu’à la guerre que très peu de voitures automobiles et le peu
qu’il y avait a été réquisitionné par l’armée allemande. On se déplaçait à pied
ou en voiture hippomobile. J’allais accompagner mon oncle, boucher à Sauzelle,
jusqu’à Boyardville, en cabriolet, pour vendre sa viande, tandis que son épouse
allait, en cabriolet également, vendre sur le marché de Saint-Pierre.
Je n’ai pas connu les ânes qui avaient été utilisés autrefois
pour les déplacements et surtout pour les transports de sel dans les zones des
marais salants mais mon cousin
Henri Mérignant, de Sauzelle,
avait dans son enfance été « trassonneur ». Notons que ces mêmes
« trassonneurs »
assuraient l’acheminement du blé au moulin (Les moulins à vent étaient
très nombreux, encore au dix-neuvième siècle et les archives ont conservé la
trace de l’existence, au Moyen-Âge, de moulins à marée, par exemple le moulin
d’Abaisse-Orgueil, aux environs de Trillou, lequel appartenait au Prieuré de
Saint Georges).
En 1945, on voyait encore se déplacer
les « crève-sot’ », tricycles guère maniables (déjà, leur nom est
tout un poème !) … Pour avoir essayé, je me demande comment on pouvait
parvenir à se maintenir sur une trajectoire à peu près rectiligne. C’étaient
les femmes qui utilisaient ce mode de locomotion, le plus souvent. Elles
rassemblaient leurs vastes jupes et leur tablier, gardant la quichenotte sur la
tête. Pour les vendanges, on utilisait des tombereaux et des charrettes, que
l’on chargeait de « douilles » remplies avec le contenu des
« bassées » déplacées à l’aide de brouettes spéciales. Les quais à
vendanges bâtis en béton çà et là par les coopératives au bord des chemins
servaient à manipuler les douilles pleines de raisins. Les vélos étaient assez
rares. Les charrues étaient tirées par des chevaux. Je n’ai pas souvenir
d’avoir vu des bovins utilisés pour les travaux agricoles. Il faudra que je
m’exile dans le Limousin pour voir mes premiers attelages de bovins.
Dire que les chemins étaient peu
nombreux, c’est dire que l’on se déplaçait peu d’un village, ou même d’un
hameau à l’autre : Les champs et les vignes étaient proches. Les gens
restaient dans les alentours de leur maison ou de leur ferme. On se connaissait
peu d’une agglomération à une autre et, pour un habitant de Saint-Georges, ceux
de Saint-Denis étaient « des étrangers », ceux de Saint Trojan
étaient considérés comme des « indigènes exotiques ».
On avait souvent un porc, que l’on
tuait à l’entrée de l’hiver (au dix-huitième siècle, il arriva qu’une flotte « Anglaise » fut
signalée à l’horizon : On tua dans la nuit tous les « norrains »
d’Oléron, de peur qu’ils ne fussent saisis pour le ravitaillement des
équipages).
On avait aussi une, voire quatre ou
cinq vaches que l’on menait au pré mais qui couchaient à l’étable. La traite
avait lieu deux fois par jour et, aux dix-neuvième et vingtième siècles, on
remplissait les grands bidons métalliques que la voiture de la laiterie de St.
Pierre ramasserait au petit matin. Les chaînettes et les couvercles des bidons
tintaient durant le transport. On ne pouvait probablement pas faire paître le
bétail sur les « bosses » des marais tant que s’effectuait la récolte
du sel. Quand cessa l’activité des sauniers le nombre de vaches mises à la
pâture sur les « bosses » de marais augmenta considérablement.
Plus tard, ces marais ont été transformés en
« claires » pour l’engraissement des huîtres. Le respect des
règles d’hygiène interdit à
nouveau le pâturage en ces endroits. Les « bosses » de marais avaient
été cultivées traditionnellement par les sauniers pour y faire pousser du
froment ou de la « baillarge ». Les récoltes ainsi faites demeuraient
la propriété du saunier, alors que la récolte du sel était partagée entre
celui-ci et le propriétaire des marais. Pendant la guerre, nombreux furent ceux
qui cultivèrent des pommes de terre sur les « bosses ».
Les déplacements étant rares et difficiles
(Rappelons que, pour enterrer leurs morts dans le cimetière de Saint- Georges,
leur commune, les habitants des Boulassiers et de La Brée devaient faire passer
le cortège par la plage jusqu’à Plaisance) … On allait à la messe, le dimanche,
à plusieurs kilomètres parfois, à pied, à cheval (pour les femmes) ou en
cabriolet. Pour la Saint Michel, les propriétaires se déplaçaient de la même
façon pour relever ce que leur devaient leurs fermiers. Il y avait six églises,
les communes ayant pris la place des six paroisses anciennes. Les chapelles qui
avaient été très nombreuses avaient été détruites ou vendues en 1793.
Par exemple, dans la paroisse de Saint-Georges il y avait des
chapelles à L’Île, Sauzelle, La Brée, Chéray, Chaucre .
Les commerces et les ateliers
d’artisans étaient nombreux : Ils
satisfaisaient les besoins de la population. Chaque village, chaque
hameau, presque, comptait un ou plusieurs magasins d’alimentation, un ou
plusieurs fours de boulangers, succédant aux fours banals de l’époque ancienne.
Dans chaque village, il y avait une ou plusieurs forges, un ou plusieurs
ateliers de menuiserie et de charpente, souvent une sellerie-bourrellerie, un
salon de coiffure, plusieurs bars (parfois équipés d’un billard), plusieurs
maçons. À Saint- Georges, j’ai connu trois épiceries, dont une, celle de
Madame Bertrand, installée dans des locaux qui avaient abrité auparavant une
horlogerie. J’ai connu une pharmacie,
deux forges, une mercerie, une graineterie … Il y avait, un atelier de
sabotier, deux boulangeries, un bureau de tabac, un hôtel-bar, un atelier de
peintre-plâtrier, au moins quatre maçons, une tonnellerie, une boucherie, une
charcuterie, un atelier de réparation de matériel agricole … Là où il n’existe
plus, maintenant … Qu’un « tabac-presse » et une petite »
Coop » alimentaire !
Les commerçants, pour la plupart,
assuraient encore le « portage » vers les hameaux et les fermes
isolées : Ainsi, Raymond Gabaret, de Foulerot allait vendre les légumes de
son jardin à Plaisance, le Douhet, les Boulassiers et La Brée.
Marcel Denis allait vendre sa viande de boucherie,
Monsieur Renaud trimballait son épicerie … Les deux frères charcutiers qui
s’appelaient également Renaud, faisaient leur tournée …
Les commerces et l’administration
étaient installés « en ville », à Saint-Pierre et au Château surtout,
mais à Dolus également : Médecins( peu nombreux), hôpital, marchands de
tissus, drogueries, magasins de ventes d’appareils ménagers, magasins de vente
de matériels agricoles ou de matériaux de construction, d’ustensiles divers
utilisés dans les travaux agricoles ou domestiques, cordonneries, pharmacies…
En 1945, nous nous servions encore
des lampes à pétrole, des bougies, et des lampes à carbure, (Je ne sais si le
carbure était produit sur place … Les fours à chaux étaient nombreux et
fournissaient l’essentiel pour les travaux de maçonnerie et le blanchissage des
façades).
À proximité de la « ville »
s’étaient installées la laiterie et la minoterie. En limite de Saint-Pierre et
de Saint-Georges se bâtiront les coopératives vinicoles qui se développeront à
partir des années 50. Sur le port du Château existaient des chantiers navals de
qualité, construisant des bateaux en bois utilitaires, surtout pour
l’ostréiculture.
L’électricité était-elle
installée ? – Je crois que oui, mais dans notre maison du Douhet, elle ne
l’était pas. Nous utilisions, et ceci jusqu’aux environs de 1955, des bougies, des lampes
à pétrole et des lampes à carbure … Nous
allumions la bougie et, protégeant sa flamme avec la paume de la main, nous
traversions la route pour aller aux cabinets d’aisance.
Il n’existait
aucune distribution d’eau courante. L’approvisionnement en eau pour les besoins
du ménage et les besoins agricoles était assuré par les puits. Ce sont ces
puits, probablement, qui ont imposé le mode d’habitat de l’île d’Oléron :
Les maisons étaient groupées, s’élevant autour des « quéreux » qui
étaient les centres de la vie sociale, parce que là était le point de rencontre
des ménagères et de tous ceux qui venaient faire boire les bêtes au
« timbre » de pierre, ou brasser la bouillie bordelaise pour traiter
les vignes, ou laver les barriques … Il n’existait pas de parcelles
rectangulaires comme celles qu’a apportées l’urbanisme actuel. Les maisons
étaient mitoyennes, pour la plupart. Les jardins, les étables et les hangars
étaient à proximité, souvent entourant une cour au fond de laquelle, quand il s’agissait d’une ferme, se
dressaient les « parcs à gorets ». L’eau n’a jamais manqué,
semble-t-il, même si, en certains endroits, elle était un peu saumâtre.
On connaît l’existence, vers Chassiron, d’une
résurgence de la nappe phréatique sur l’estran et, il y a une trentaine
d’année, on a creusé des puits artésiens, dont un, particulièrement profond
chez Monsieur Larégaldie, horticulteur aux Sables Vignier.
Des tombereaux passaient régulièrement, conduisant les
détritus à la décharge en plein air. Ce service était assuré par la mairie. La
plupart du temps, il n’y avait pas de réseau d’évacuation des eaux usées, ni
des eaux pluviales : Dans les villages, des caniveaux pavés conduisaient
les eaux au canal le plus proche ou aux fossés.
Notons qu’il n’y a pas d’eau courante en Oléron : Ni
rivière, ni ruisseau … Il y avait bien quelques mares, utilisées souvent pour
abreuver le bétail, mais ni étang ni lac autre que salé. Ceux qui existent
actuellement ont été creusés dans d’anciennes carrières de calcaire, ou de sable,
(C’est le cas à Dolus) ou aménagés dans des zones humides à drainer (Les près
Valet, à Saint- Georges) … Les
éléments décoratifs installés par certaines municipalités comme celles de Dolus ou
Saint-Georges… qui incluent des
jets d’eau ou des fontaines peuvent paraître insolites. L’approvisionnement
public était assuré par des pompes à bras : Le Château, Saint-Pierre …
En, 1950
encore, dans le village de Saint-Georges, il n’y avait qu’un seul poste de
téléphone public, installé chez M. et Mme Bertrand, épiciers sur la place de
l’église …
Le chauffage
était assuré au bois, dans des cheminées . On faisait la cuisine dans des
« potagers », avec du charbon de bois le plus souvent. J’ai connu
encore, chez certains bourgeois, des rôtissoires mécaniques placées devant la
cheminée. L’églade de moules, traditionnelle, était souvent réalisée sur la
plage même, au retour de la pêche
à pied. On faisait cuire la « beurnée » des gorets sur un trépied,
dans un grand chaudron en fonte.
De même la « cochonnaille » était préparée à
l’extérieur, dans la cour. Notons qu’en Oléron, le bois était rare avant la
plantation des pins et qu’il était d’une qualité toute relative après, le pin
n’étant pas des meilleurs combustibles. Le four du boulanger était chauffé grâce
aux ajoncs et autres buissons que l’on coupait sur les dunes et nous possédons
une relation d’expédition botanique datant
des années postérieures à la guerre de 1870, où l’auteur parle des dunes de
Domino, Chaucre et des Sables-Vignier en disant qu’elles ont été absolument
dénudées à cause de cette pratique. Notons tout de suite que, lors de la crise
du phylloxéra, laquelle a bouleversé Oléron, les vignes qui ont le mieux
résisté au parasite sont celles qui étaient plantées dans les sables des dunes.
Les
marais
« À vue de nez », je dirais
qu’ils occupent près de la moitié du territoire oléronnais : Ils sont
présents dans toute la moitié de l’île située à l’Est de la route
« nationale », (qui n’est plus qu’une départementale, depuis son déclassement),
et en partie au Sud-Ouest de Saint-Denis. Les zones occupées le plus largement
se situent entre le Château et Boyardville, où les marais, le plus souvent, ont
été transformés en « claires » à huîtres (La Baudissière), entre
Boyardville et Sauzelle, s’avançant aux portes de Saint-Pierre, au Nord et au
Sud du Douhet, s’avançant jusqu’à proximité du hameau de l’Île. Ils ont été
creusés ou gagnés sur l’estran à partir de l’an mille, sous l’impulsion des
grandes abbayes (abbaye aux Dames, de Saintes, abbaye de Vendôme, abbaye de La
Couronne )…
Avec
les marais de Brouage, également creusés sous l’impulsion des abbayes, ils ont
fourni le sel nécessaire à toute l’Europe pour la conservation des aliments (Passer l’hiver et
nourrir les équipages). Le sel et le vin étaient régulièrement exportés jusque
dans les pays du Nord et en Angleterre.
Il faut, pour comprendre la situation
actuelle, se souvenir que les marais sont des bassins artificiels, dont le
niveau est inférieur à celui de la mer, (Faute de quoi l’eau de mer ne
circulerait pas dans le réseau des « ruissons »).
Les étiers et les
« ruissons » constituent un réseau qui, après la seconde guerre
mondiale, était encore fort bien entretenu : Syndicat des marais,
éclusiers … Même si l’on ne produisait plus guère de sel, les écoulements
étaient assurés, les écluses entretenues et manœuvrées de jour comme de nuit,
selon les horaires des marais, le désir des propriétaires et les besoins créés
par les pluies dont il fallait évacuer les épanchements. Plus tard, quand on
mit les vaches à la pâture sur les « bosses » des marais, les fossés
et « ruissons » servirent de clôture » et il fallait bien que
l’eau y fût maintenue en quantité suffisante.
Lorsque les marais perdirent leur
fonctionnalité économique, on négligea l’entretien des digues, des berges des
canaux, des « ruissons » et des écluses à crémaillère. On sait
maintenant quels risques cela faisait courir …
LES ÉCLUSES À POISSON
(« Les
Écluses à poisson d’Oléron », aux éditions Geste-2009)
Dès le haut Moyen-Âge, on construit
et on exploite des écluses à poissons : Des murs sont construits sur
l’estran, en forme de fer à cheval, avec des pierres arrachées à la banche, non
jointées mais posées artistiquement, de chant. Ces murs font parfois plus de
deux mètres de haut. Ils sont percés de quelques « portes » munies de
grilles de bois ou de fer pour retenir, à marée basse le poisson qui s’est
aventuré à l’intérieur pendant la marée haute.
Ce poisson sera retenu dans les
ruisseaux labyrinthiques aménagés au pied des murs et recueilli par le
mareyant à l’aide d’un haveneau ou
trioule, ou bien assommé à coups d’ « espiot’ »
ou « fonceuille ». Puis mis dans la « gourbeille »
tressée en osier ou en branches de tamaris et qui se porte dans le dos.
Une écluse à poisson peut se trouver
très au large sur l’estran, c’est le cas, par exemple sur le platin de
Chassiron. Elle peut englober un espace considérable de plusieurs hectares. Il
faut entretenir les murs, les réparer après les tempêtes, nettoyer les
boucheaux. Parfois l’écluse est équipée d’un « bourgnon » en osier ou
en branches de tamaris, c’est une nasse, que l’on relève à marée basse.
Presque tous les oléronnais ont au
moins une part d’écluse, sinon plusieurs, dans des écluses différentes. Les
femmes veuves ou les bourgeois délèguent leurs droits de pêche à un mareyant
qui leur apporte éventuellement une part de la pêche. Ils paient ce mareyant
pour assurer l’entretien.
Généralement la pêche n’est pas
considérable, mais on considère qu’elle constitue un apport de protéines
indispensable aux Oléronnais qui pratiquent peu l’élevage à cause des
contraintes de la saliculture, puis après, à cause des travaux de la vigne. La
monoculture (sel puis vigne) impose ce prélèvement, source de protéines.
On a cependant souvenir de pêches
considérables : mulets, bars, orphies, taires et raies … Et l’on se
souvient de mareyants qui ont été obligés de retourner chez eux à toute vitesse
pour chercher de l’aide et … une charrette !
L’administration a toujours lutté
contre l’existence de ces écluses, déjà sous Louis XIV et jusqu’à nos jours,
sous le prétexte du danger qu’elles représentent pour la navigation. Pourtant
ces murs faisaient aussi fonction de brise-lames et protégeaient les côtes de l’érosion,
laquelle ne fait que s’accentuer depuis leur disparition quasi totale.
Pour bâtir une écluse, une
autorisation de l’administration maritime était nécessaire. Une équipe se
constituait, se partageait les « parts » et, munie de l’autorisation,
se partageait les travaux. Il est probable qu’au début, chaque membre de
l’équipe recevait une part égale à celle des autres, mais, au fil des
successions, on pouvait n’hériter que d’un centième de part … Ce qui signifiait
que l’on bénéficiait du droit de pêche tous les cent jours (une marée de jour
et une marée de nuit à la lumière d’un flambeau, d’une torche, puis à celle
d’une lampe à carbure).
Et tant pis si le coefficient de la
marée était trop faible pour que les murs de l’écluse « dérasent »…
On attendrait cent jours de plus !
Il y a eu des écluses à poisson
partout où les côtes étaient rocheuses, c’est-à-dire, essentiellement, de
Chassiron à Domino et même Les sables Vignier et la Cotinière, sur la côte
Ouest, dite Côte Sauvage et de Chassiron à Foulerot sur la côte est. On en
comptait plus de 120 au dix-neuvième siècle. De nos jours, on n’en compte plus
qu’une dizaine qui sont entretenues par des associations et qui sont toujours
dans le collimateur de l’administration maritime. Cette pêche n’est plus,
depuis longtemps, une pêche de subsistance, mais est devenue une pêche de
loisir.
Chaque écluse avait un nom, souvent
terminé par le suffixe « ère » ou « ière », qui sont des
suffixes d’appartenance. ( voir
« Oléron de A à Z, aux éditions
Alan Sutton) » L’abondance des noms terminés par ces suffixes se
comprend si l’on admet qu’ils correspondent aux noms de leurs propriétaires,
comme c’est le cas pour beaucoup de hameaux oléronnais … ( La Jousselinière,
c’était probablement la propriété d’un dénommé Jousselin, à l’origine.).
La Vigne
De si haut que l’on remonte dans le
Moyen-Âge, les navires ont chargé en Oléron le sel et le vin en direction de
l’Angleterre et des pays du Nord. Puis on a trouvé que la distillation
représentait un moyen moins coûteux de
transporter le fruit de la vigne. Les distilleries se sont installées
et, en Oléron, on peut dire que, pratiquement, toute surface qui n’était pas
occupée par les marais ou les sables était plantée en vigne.
Les Rôles d’Oléron (XIeme. ou début XIIeme,
édictés ou confirmés par Aliénor d’Aquitaine) traitent essentiellement des
conditions de chargement, de transport et de vente du vin que les bateaux
transportaient jusqu’en Hollande et au-delà.
Les grandes abbayes exploitent la
vigne par l’intermédiaire d’un prieur ou d’un fermier (Jacques Joly, premier
violon du roi Louis XIV est Prieur de Saint-Georges). Les seigneuries,
également nombreuses sont le plus souvent exploitées en métayage par les
seigneurs, qui demeurent en-dehors de l’île et exercent d’autres charges
officielles.
La grande révolution et l’abolition
des privilèges privent les abbés et les seigneurs de bras et de revenus pour
cultiver les terres.
La vente des biens nationaux permet
la montée des bourgeois qui deviennent des propriétaires, lesquels, à leur
tour, exploitent la vigne par l’intermédiaire de fermiers et de métayers, de
journaliers et d’hommes de peine. Le produit de la distillation part à Cognac
(classement dans les « bois ordinaires »).
Le vin est fait dans les chais des propriétaires
puis distillé par des établissements qui seront à l’origine des coopératives,
après la seconde guerre mondiale.
En 1879, le phylloxéra
est signalé en Oléron. La plupart
des propriétaires vendent leurs terres à leurs fermiers et les propriétés sont
morcelées. Au même moment s’accentue le déclin des salines dont la reconversion
pour l’ostréiculture va commencer.
De 1950 à 1974,
avènement des coopératives vinicoles, de l’ostréiculture et développement du
tourisme.
De 1970 à 1980 le
vignoble est à nouveau en crise, touché par la surproduction du cognac. De 4300
hectares en 1850, on passe à 1075 hectares en 1880, après la crise du phylloxéra. En 1980, on n’est plus
qu’à 1000 hectares.
L’identité d’Oléron
était créée par le sel, par la vigne, par la pêche à pied, par le petit élevage
…
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