vendredi 13 janvier 2012

LES BÊTES À BON DIEU



















LES BÊTES À BON DIEU ….


Il faisait très chaud et, de l’Atlas ni de la mer ne venait un souffle d’air : Un coup de chergui, dit-on ici. Ici, c’est dans la vallée du Souss, au Sud d’Agadir qui n’est pas encore la ville des touristes adeptes du bronzage. 

Il devait être à peu près quatre heures de l’après-midi. Du côté du Tizzin’test, le col qu’il faut passer pour aller à Marrakech, de lourds nuages dont le teint tirait sur le violet étaient arrêtés. L’air autour de nous prit une teinte cuivrée : Une nuée montait et descendait, formant champignon, puis s’élargissant.

C’est alors que les you-you des femmes commencèrent. Ils étaient plus aigus que je ne l’aurais cru possible. Commença aussi le tintamarre des ustensiles de cuisines : Casseroles, poêles, gamelles de toutes sortes, frappées avec ce qui était tombé sous la main, attrapé au hasard … Un tintamarre invraisemblable ! Des cris, il en venait de partout, des bruits de percussion aussi, continus.

Le nuage roux s’était aplati. Il avait perdu de la hauteur. Il s’était abattu sur les terres : Les criquets ! … Les criquets pèlerins, par dizaines de milliers … Et il en arrivait encore, de tous les côtés … On percevait un bourdonnement d’ailes, un froissement, comme un chiffonnement de feuilles de papier … Les sauterelles bourdonnaient à mes oreilles, percutaient mon visage, ma bouche, mes yeux … Il y en avait partout : Sur les branches des buissons de caroubes qu’elles recouvraient entièrement, sur les rares touffes d’herbe qui avaient encore l’apparence de quelques feuilles vertes, sur le sol, sur le tronc des arganiers … L’air s’était vraiment obscurci et les cris des femmes, le tintamarre qu’elle faisaient en frappant leurs casseroles … Rien ne les avait empêché de tout recouvrir … Dans la toison des quelques moutons qui se trouvaient là frémissaient des ailes et des antennes …

Allons, dans quelques heures, il ne resterait rien aux alentours : rongées les feuilles des caroubiers et celle de l’arganier, rongés les épineux, rongée l’écorce des eucalyptus , rongé le moindre brin d’herbe verte ou bien sèche : Les criquets grimpaient sur tout ce qui se trouvait là … Et même ils se grimpaient les uns sur les autres, par vagues successives … Ils s’accumulaient dans chaque fente du sol, ils grouillaient partout.

Je me souviens que lors du dernier passage des sauterelles, j’avais couru en maintenant un sac de jute ouvert au-dessus de ma tête : Ma course faisait entrer les bestioles dans le sac … Nous en avions pris beaucoup comme cela … Que nous avions fait griller au-dessus d’un grand feu et que nous avions mangées … On mange bien des crevettes ! Et je crois me souvenir que les criquets grillés avaient bon goût … demandez donc aux habitants de la plaine du Souss ou de n’importe quelle plaine fréquentée occasionnellement par les criquets !
                                            


                                           *

En France aussi, certaines années et en certaines régions, s’abattent les criquets. Mais toutefois, en Oléron, on n’en a jamais vu … Qu’est ce donc que cette histoire d’insectes que je me propose de vous raconter ? – C’est une histoire tout à fait vraie … Et qui s’est passée dans l’île d’Oléron, il n’y a pas si longtemps.

Oh ! Je sais bien que beaucoup d’entre vous auront du mal à me croire … Pourtant … Et j’étais à la plage, du côté de Plaisance, quand cela a commencé … À la plage … Le cul sur le sable, comme il convient. Je regardais deux céréaliers, en face, au loin et qui manoeuvraient pour s’approcher du môle d’escale de La Pallice. Il y avait aussi pas mal de voiles hautes devant le fort Boyard et deux ou trois voiles de dériveurs, beaucoup plus proches. Il y avait aussi, tout près de nous, un jeune homme qui sautait les vagues, manoeuvrant un grand cerf-volant rouge et blanc qui le tractait : Ah ! Combien j’enviais celui-là ! Du temps où j’avais son âge, ce genre de sport était inconnu … J’aurais aimé … Ah ! Courir comme un centaure !

Quelque chose qui percute ma joue droite, léger : Quelque chose qui vit : Un geste brusque de la main : Une bestiole tombe dans le sable, à côté de mon genou … Une coccinelle ! La pauvre bête rampait comme elle le pouvait, une élytre en bannière, tordue sur le dos. Vous vous rendez compte : Une bête à Bon Dieu … Sur la plage !

Ah bien oui … Sur la plage ! … Mais c’est qu’il y en avait partout des coccinelles ! Ces petites bêtes au vif éclat, rouge pointillé de noir étaient arrivées de je ne sais où. Elles s’abattaient sur le sable : C’était un peuple entier de bêtes à Bon Dieu qui grouillait partout maintenant, les élytres écartées, les ailes vibrantes. D’où venues ? – Qui aurait pu le dire ? Et, bien évidemment, je songeais aux sauterelles de la plaine du Souss : Je ne savais pas que les coccinelles émigraient comme les criquets : Moins voraces car ces insectes sont carnivores et se nourrissent essentiellement des larves des pucerons : Aucun dégât n’était à craindre ni pour les cultures ni pour les jardins. Mais combien nombreuses ! La procédure d’atterrissage est la même pour toutes : Dès qu’elles ont touché la piste, elles replient leurs ailes transparentes, réajustent les volets de leurs élytres et, se présentant alors sous l’aspect d’une pierre précieuse à allure de rubis et à tête noire, elles entreprennent un parcours éperdu qui doit les mener où ?

Certaines atterrissaient sur mon cou, d’autres dans mes oreilles, d’autres encore pénétraient sous ma chemise …   Une invasion de coccinelles ? …. Mourraient-elles ici ou bien repartiraient-elles pour quelque destination plus lointaine ? – Revenant chez moi à bicyclette j’ai pu constater qu’il y en avait partout, dans les champs, dans le village et dans mon jardin … Et dire que, trois jours avant, j’avais payé très cher quatre ou cinq larves de coccinelles à la jardinerie de Saint-Pierre pour essayer de détruire les pucerons qui envahissaient mes rosiers !

J’aurais peut-être dû essayer de faire des you you, comme les femmes de la vallée du Souss … Je ne sais pas, moi, peut-être qu’en tapant avec des cuillères en bois sur des casseroles … Peut-être que cela aurait empêché les coccinelles de se poser chez nous ? … Et pourquoi, me répondrez-vous … Et vous aurez bien raison … Pourquoi empêcher les bêtes à Bon Dieu de se poser chez nous ?  … Le lendemain matin il n’y avait plus rien : Tout avait disparu … Seul le Bon Dieu pourrait me dire ce que les coccinelles étaient devenues !

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