mercredi 11 septembre 2013

HECTOR PATOIZEAU ...ET MOI !










HECTOR PATOIZEAU …
                                           ET MOI !


                         



C’est une histoire que tout le monde connaît … L ‘histoire des huîtres de Marennes-Oléron. Allez donc au Château d’Oléron : Vous savez bien que si cette ville porte un nom pareil, c’est parce qu’elle a toujours été fortifiée : Un castel romain d’abord, puis le château d’Aliénor d’Aquitaine et enfin la citadelle à la Vauban, entourée de ses remparts et de ses douves …

Connaissez-vous cette porte, à travers les remparts, que l’on appelle  la « Porte des pêcheurs » ? C’est par là que sont passés les hommes et les femmes, de génération en génération, pour se rendre sur les parcs à huîtres. Cette porte est surmontée d’une plaque commémorative en l’honneur de Hector Barthélémy Patoizeau, qui vécut de 1823 à 1891.

Hector Patoizeau était un Oléronnais, bien de chez nous et originaire de la ville du Château. Il était capitaine d’un navire à vapeur appelé le « Morlaisien ». À bord de son bateau, il avait chargé en 1868 des huîtres à Sétubal, au Sud du Portugal, pour le compte d’un Arcachonnais, Monsieur Coycault.

Il faut dire que, jusque-là, quand on parlait d’huîtres, c’était d’huîtres plates que l’on parlait : On dit que les empereurs romains se faisaient expédier des huîtres pour leurs banquets ; C’était des huîtres plates que l’on parlait ! Et puis, vers le début du XX eme siècle, une épizootie décime les huîtres plates … Il n’y en a plus suffisamment pour en assurer le commerce, ni depuis Arcachon, ni depuis le bassin de la Charente ! Monsieur Coycault décide d’importer des huîtres creuse du Portugal. Ce sont des huîtres qui ont probablement été rapportées involontairement par les Portugais … Elles se seront fixées sur les coques de leurs navires revenant des expéditions lointaines …
Hector Patoizeau charge donc à Setubal une pleine cargaison d’huîtres portugaises. Il se dirige ensuite vers Arcachon … Vous connaissez la passe pour entrer dans le bassin d’Arcachon ? … Bancs de sables mouvants et passe étroite, changeante, déferlantes en rouleaux … La tempête se lève : Le « Morlaisien » ne peut entrer dans le bassin d’Arcachon … Il se dirige vers l’entrée de la Gironde et se met à l’abri près du Verdon.

Bien beau tout cela : Le bateau est sauvé, mais la cargaison ? – La cargaison est faite d’êtres vivants, qui ne peuvent pas demeurer indéfiniment hors de l’eau, leur élément … Patoizeau demande l’autorisation de jeter les huîtres portugaises à la mer … Cette autorisation lui est donnée, mais à condition qu’il aille en haute mer pour cette opération : Craintes de pollution par les mollusques en décomposition, crainte de colonisation et de destruction du biotope ? .. . Le capitaine du « Morlaisien » passe outre et déverse sa cargaison là où il se trouve : au Verdon !

Que croyez-vous qu’il arrivât ? … Quelques huîtres portugaises étaient encore vivantes et firent souche. En quelques années, les bancs d’huîtres portugaises avaient colonisé les bancs de roches … Jusqu’à La Rochelle et l’île de Ré ! … Fortune pour des quantités d’ostréiculteurs de l’estuaire de la Gironde, de l’estuaire de la Seudre et du bassin de Marennes-Oléron ! L’huître portugaise, dont l’élevage n’a cessé de se perfectionner et de se développer, se répand sur tous les éventaires des écaillers et fait la renommée  de toute une région.
  
                                             



Des guerres picrocholines ont longtemps menacé : Les huîtres portugaises étaient, disait-on, les « huîtres du pauvre » … On les méprisait…. L’huître plate demeurant « l’huître des grandes tables ».

-               « Fi, disait-on … Les portugaises, elles ont le goût de la vase sur laquelle on les élève »

Il n’y eut point de guerres … Faute de combattants, car l’huître plate avait disparu ou quasiment disparu.

Retournement de la situation, vers 1970 : Une épizootie ravage les huîtres portugaises à leur tour ... On les remplace par des huîtres japonaises dont l’introduction sauve toute une profession.

La profession est sauvée ? – On voudrait pouvoir le dire, mais les huîtres japonaises sont à leur tour menacées par la maladie : C’est le naissain qui meurt, c’est à dire les tout petits « bébés huîtres » que l’on recueille sur les collecteurs  … Ce n’est plus à un quelconque « Morlaisien » que l’on fait appel … C’est aux scientifiques de l’IFREMER … Nous leur souhaitons la réussite.


Mais mon histoire ne s’arrête pas là …. Car c’est aussi mon histoire et c’est une longue histoire ! Je vais essayer de vous la raconter en la résumant …

Nous sommes en 1851 et nous sommes en Nouvelle-Zélande …  Une corvette française prise dans la tempête fait naufrage à Okaro. En quoi cela me touche-t-il personnellement et  qu’est-ce que cela a à voir avec Hector Barthélémy Patoizeau, capitaine du Morlésien ?

Notons tout de suite que, des Patoizeau, il en existe encore en Oléron … J’en ai connu. Mais parlons un peu de notre corvette qui se nommait l’Alcmène. C’était un bâtiment à voiles, construit en bois … Elle sortait de l’arsenal de Rochefort où elle avait subi des travaux d’entretien après une longue campagne en Chine. Elle avait appareillé de la rade de l’île d’Aix. Son équipage était majoritairement charentais, composé de beaucoup de marins de Rochefort et Oléron … 

Vous commencez à apercevoir les liens, non ? … Je veux parler des liens qui pourraient exister entre la corvette l’Alcmène et le capitaine Hector Patoizeau … Non, vous ne voyez pas ? – Souvenez-vous quand même qu’en 1848, Hector Patoizeau avait vingt-cinq ans …

Dans les années mille neuf cent soixante … Je ne me souviens plus exactement de la date … J’étais en congé et, comme pendant tous mes congés, je demeurais au Douhet, dans la maison au bord du canal

« Popaul » Raffaut, natif de Domino, tenait, avec l’aide de Blanche, sa mère, un bistrot installé dans la carcasse du Pierre d’Argencourt, un bateau à coque en acier qui avait autrefois assuré la liaison entre Le Chapus et Le Château et qu’on avait tiré au sec. « Popaul » était un bon garçon : Un jour il me donne un paquet de feuillets  en me disant : -


                                              
                                           




-    « Tiens, je sais que tu écris … Voilà un manuscrit qui t’intéressera ! »

Ces feuillets  étaient en fait  le récit de la croisière de l‘Alcmène. C’était intéressant en effet, très, très intéressant ! J’en pris copie … Le seul ennui, c’est que je ne savais pas qui avait écrit cela … Qu’importe, les détails prouvaient que le tout était authentique et que ce journal de bord avait été écrit par quelqu’un qui était à bord du bateau et avait survécu à ses aventures.

Quelqu’un … Un survivant … On peut le dire puisque, après trois années de croisière, l’équipage, à son retour en Charente, était réduit d’un bon tiers ! … Tempêtes, cyclones, avaries, perte d’hommes tombés à la mer … Du détroit de Magellan aux îles Marquises puis aux îles de la Société … De Tahiti à la Nouvelle Calédonie 

Aux îles Belep, situées dans le Nord de la Nouvelle Calédonie,  douze marins qui étaient à bord du Canot du Commandant sont pris par les indigènes, massacrés … Leurs cadavres découpés, cuits au four et dévorés … L’équipage de l’Alcmène se venge sur les populations …


Le navire poursuit son voyage : Australie, Tasmanie … Nouvelle-Zélande. Là, un terrible typhon pousse l’Alcmène à la côte, près d’un village maori appelé Okaro … Campement de fortune, longue marche, accueil chez les maoris qui se montrent très hospitaliers … Retour à Papeete sur un bateau de commerce … Mauvais accueil : Travail sur les chantiers  du territoire .. . Enfin, retour à Brest … Consigne de tout l’équipage en attendant le délibéré du tribunal maritime qui juge le Commandant … Acquittement de celui-ci et …. Retour de l’équipage : À pied, de Brest à Rochefort parce que les soldes n’ont pas été versées !

Rarement on a connu pareille odyssée ! Rarement un équipage a subi tant de malheurs … Le journal de bord que j’ai entre les mains est passionnant !

Tout d’abord, je n’ai pas du tout l’idée de le publier : Je n’ai encore jamais publié quoi que ce soit et puis je me trouve encore dans les mers du Sud. Mais comme j’apprécie la valeur de ce document, j’en fais des copies : J’en adresse une au Haut Commissaire de France en Nouvelle Calédonie : Les actes de cannibalisme commis aux îles Belep n’ont-ils pas servi de prétexte à la prise de possession de la Nouvelle Calédonie par la France ? … Cela, c’est tout simplement le Grand Larousse qui me l’apprend … Monsieur le Haut Commissaire de France à Nouméa ne me répondra pas et j’ignore en quelles mains mes documents ont atterri ;

Un second exemplaire est envoyé au Haut Commissaire de France en Polynésie … Ni remerciements, ni même accusé de réception … Quelques années plus tard, Monsieur Marc Darmoy, qui était  chef du service des communications de la résidence de France à Papeete me montrera les épreuves qu’il avait fait tirer pour préparer une publication … Qui n’a jamais eu lieu.

Alors, lors de mon retour en France, l’envie me prend de publier ou de faire publier ce journal de bord : Il est passionnant … C’est un document historique … Il s’agit d’un bateau qui est parti de chez moi, de Rochefort … Et l’équipage était Charentais !

J’envoie un exemplaire de ces documents à une maison d’édition spécialisée dans les récits maritimes … Avant cet envoi, j’avais fouillé les archives du port de Rochefort, j’avais déniché des documents complémentaires concernant l’Alcmène, j’avais procédé à une présentation du récit. Bref … J’envoie le tout sous paquet recommandé, bien certain de la qualité de mon envoi et bien certain de la qualité de l’accueil qui lui serait fait …

                                                   


Patatras ! … Le dossier m’est renvoyé sans plus d’explications : Il ne sera pas publié. Dépité, je range tout dans un tiroir et l’on n’en parle plus. Mais un jour, je suis affecté … à Rochefort ! … Je prends l’habitude, comme je suis officier de réserve, de prendre mes repas du déjeuner au mess des officiers, à Rochefort : C’est pratique, les prix ne sont pas très élevés et cela me donne l’occasion de rencontrer des officiers avec lesquels je me trouve en sympathie… Je raconte mon histoire … L’un des officiers, aide de camp de l’Amiral, me demande de lui fournir un exemplaire de mes documents, pour le verser aux archives de la Marine à Rochefort. J’accède bien volontiers à sa demande … Aux archives, nous le vérifions : Il n’y a aucun autre document concernant ce voyage de l’Alcmène.

Les années passent … Deux fois encore, j’enverrai le récit en question à des éditeurs différents … Sans succès et sans justification du refus … Si vous saviez comment cela se passe, les relations avec un éditeur ! … Vous n’en connaissez aucun et vous n’avez personne pour vous introduire dans ce milieu ? … Vous envoyez votre manuscrit … Dans le meilleur des cas, la maison d’édition accuse réception  en vous disant :

-               « Si, dans quatre mois, vous n’avez pas reçu de proposition de notre part, alors vous pourrez en conclure que nous ne publierons pas votre livre et … Vous pourrez nous adresser la somme de cinq euros pour que nous vous en fassions retour. »

Vous attendez … Vous espérez … Quatre mois sont passés : Vous envoyez vos cinq euros et … Vous remettez votre manuscrit dans un tiroir : Voilà comment cela se passe …
L’éditeur ne prend même pas la peine de vous faire une correspondance : Pensez-vous, il en reçoit tant, des manuscrits ! Il n’a pas le temps de répondre à tous ! … Vous … Eh bien vous … Vous avez travaillé pendant plusieurs mois, pendant plusieurs années peut-être pour rédiger ce manuscrit et :

- « Envoyez-nous cinq euros pour qu’on vous réexpédie votre manuscrit ! » (Éditions Actes Sud)


C’est donc de l’aventure des marins embarqués sur l’Alcmène qu’il s’agit  … L’Alcmène, Corvette du port de Rochefort, qui fit naufrage sur les côtes de Nouvelle Zélande en 1851 … Mais c’est aussi mon aventure que je vous conte … Mon aventure éditoriale … Et elle ne s’achève pas là !

Dépité, je me résouds tout de même à ouvrir un blog sur internet. Dans ce blog, je présente, intégralement le récit des aventures de la Corvette … Plusieurs années se passent et, au tout début de 2012, je reçois un message d’une jeune femme qui habite à Lyon et qui me dit .. . Qui me dit qu’elle a été très surprise en lisant mon blog, par hasard : Elle est la descendante d’un marin nommé Boyer, embarqué sur l’Alcmène. Survivant, il a laissé une série d’aquarelles superbes dans leur naïveté, pour raconter les aventures dans lesquelles cette croisière l’a entraîné. Par ailleurs, elle m’apprend qu’une relation de cette croisière, écrite par un matelot nommé Gendron a été acquise lors d’une vente aux enchères qui a eu lieu à Lyon. Un écrivain demeurant à Tahiti, Christian Beslu, a eu en main deux ou trois autres récits de cette croisière – Eh ! Pourquoi n’y aurait-il eu qu’un seul membre de l’équipage qui aurait écrit ses souvenirs ?

Bref, cette jeune femme charmante m’apprend que Christian Beslu a rédigé un livre qui a pour titre : « Naufrage à Okaro »  qui fait la synthèse de tous ces documents et que la Société des Océanistes a fait paraître au mois de janvier 2007. Sympathique contact : un exemplaire du livre me sera offert et même me sera offert un C.D. me permettant d’admirer toutes les aquarelles dont il m’avait été parlé !

Mais ce n’est pas tout, la jeune femme qui s’est montrée si sympathique et si généreuse me conseille de bien regarder la liste des membres de l’équipage de l’Alcmène, qui figure à la fin du livre … Je regarde attentivement et j’y découvre … Un Patoizeau !

La boucle est bouclée … Je ne peux pas assurer formellement que notre Patoizeau, embarqué sur l’Alcmène pour une catastrophique croisière est bien notre Hector, puisque je n’ai aucune précision quant à son prénom … L’Hector Patoizeau, capitaine du « Morlaisien » … Qui a jeté sa cargaison d’huîtres portugaises à la mer, dans l’embouchure de la Gironde, près du Verdon … Et qui, en faisant cela a sauvé l’ostréiculture du bassin de Marennes-Oléron …

 Souvenez-vous : En 1848, Hector Patoizeau avait vingt-cinq ans … Il a fort bien pu s’embarquer sur l’Alcmène … À son retour en France, il avait, dans ces conditions, vingt-huit ans … Nous sommes dans le domaine du possible ! Il m’a été assuré que le Patoizeau embarqué sur la corvette l’Alcmène était bien le même qui, en 1868, commandait le « Morlaisien » … Il aurait eu trente-cinq ans à ce moment-là …

Peut-être que les Patoizeau qui demeurent en Oléron ont quelque chose à nous apprendre à ce sujet ?
                                                     

Moi, au terme de toutes ces histoires … que me reste-t-il à dire ? ... Il me reste à dire que, s’il y en a un qui peut être déçu, au bout du compte : c’est bien moi … J’avais ce manuscrit depuis le début des années soixante … J’apprends en 2012 qu’un livre a été publié, contant les mêmes aventures … En 2007 ! Et je n’ai toujours pas compris pourquoi je n’avais pas réussi à intéresser un seul éditeur à cette publication … Bah ! Ne soyons pas trop déçus : C’est la vie ! …

Moi, je me sens toujours mal à l’aise, devant un éditeur : Je lui présente mon travail … Et j’ai l’impression de devenir un candidat au certificat d’Études Primaires dont on soupèse la composition française rédigée après tant de travail et après y avoir mis tout son cœur …


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1 commentaire:

Richard Dunais, yacht Tiki a dit…

Bonjour,
Par un heureux hasard, je tombe sur votre document passionnant relatant les peripeties relatives au naufrage de l' Alcmene et vos deconvenues avec les editeurs. Je ne suis pas trop surpris que vous ayiez ete double par une personne malveillante qui s'est approprie votre document. Ainsi va le monde, dites-vous!
Vous citez Marc Darmoy, chef du service de la communication de la Residence de France a Papeete. J' ai rencontre M. Darmoy au cours de circonstances troubles en 1970 alors que livrai le voilier Tiki a son proprietaire et que je me preparais au convoyage du voilier Narragansett qu' Alain Colas avait loue a un proprietaire de San Francisco pour la Transpac. Le jour ou je devais prendre le bateau en main, je decouvrais qu' il avait ete sabote et, par une curieuse coincidence, la presse locale s' etait emparee de l' affaire le jour meme, signe qu' elle etait informee avant moi de l' echec de mon entreprise. On me conseilla d' aller voir M. Darmoy pour eclaicir cette etrange coincidence et c' est dans son bureau que je m' entendis dire a mots a peine couverts qu' il s' opposera a toute tentative de depart du Narragansett. Le bateau devint alors " une prise de guerre" et ne revit jamais son proprietaire. Ainsi va le monde, disiez vous!
(Veuillez m' excuser pour les defauts d' accent, impossible a corriger avec les moyens du bord).
Cordialement.
Richard Dunais