mercredi 31 juillet 2013

LE GARDIEN DU FEU



                                                                   

                                          John Taylor - Galerie Gantois - Cannes.

                                      


                    LE GARDIEN DU FEU

 - "Amis, puisque longue sera la veillée ... 
Voulez-vous que je vous conte la véritable histoire 
du Diable et de son âne, Martin ?

 - " Robert, gardien du phare de Chassiron, 
mieux vaudrait allumer ton fagot ! 
Ne vois-tu pas la brume qui couvre les flots."

- "Mon bois est bien trop humide et jamais ne prendra.
 Mieux vaut rôtir nos patates sous la cendre."

- "Robert, gardien du phare, il faut allumer ton charbon. 
N'entends-tu pas les vagues qui ragent ?"

- "Mon charbon fait bien trop de fumée. 
Elle cacherait la flamme.
 Il vaut bien mieux rôtir nos anguilles sur les sarments ..."

- "Robert, gardien du phare, 
il faut allumer ton quinquet. 
N'entends-tu pas le vent qui hurle du côté d'Antioche ?"

- " Avec un vent pareil, jamais la flamme
 de mon quinquet ne tiendra. 
Mieux vaut veiller notre églade de moules 
sous les aiguilles de pin parfumées."

- " Robert, Robert, gardien du phare de Chassiron, 
n'entends-tu pas la sinistre corne de brume ? 
- Un navire est là, prêt à se jeter sur les rochers !"

- "Hélas, je ne peux plus rien pour lui ! 
Seul le Diable pourrait allumer un feu 
en haut de la tour, par un temps pareil ! 
Pour sauver ces matelots, 
il faudrait une flamme d'Enfer !"



                                               ***

- "Tu m'as appelé ? - Je suis Satan, monté sur mon âne 
Martin ...  Pourquoi crains-tu, puisque tu m'as appelé ? 
- Tu crains parce que mon âne crache des flammes ... 
Eh ! Ce sont celles de l'Enfer que tu demandais ... 
Tu te bouches le nez ? 

- Certes les sabots de mon âne Martin font jaillir 
le soufre en milliers d'étincelles ... Tu m'as appelé : 
Me voici. 

- Veux-tu que j'allume la flamme, tout en haut 
de la tour ?

- Va quérir un fagot, dans ce bois que l'on nomme 
"Le Petit Enfer"- Ma flamme saura bien l'allumer ! 

- Tu crains pour ton âme ? - Je te la laisse : 
Elle est bien trop insignifiante pour remplir 
mon chaudron ! 

Comme prix de ma peine, je ne veux que le droit, 
une fois l'an, d'éteindre la flamme : Ce jour-là, 
j'emporterai dans mes Enfers toutes les âmes des 
naufragés ! - Va ... 

Va quérir ton bois !

                                ***

En un instant la flamme s'est allumée ... La corne de 
détresse du navire s'est éloignée ... 

Satan a disparu dans un nuage de fumée : 
Les sabots de son âne Martin faisaient jaillir 
le soufre enflammé sur les rochers ...


                                                ***

- "Robert, Robert ... Tu as vendu ton âme, 
les âmes des naufragés ! Robert, gardien du feu, 
qu'as-tu fait ? La flamme qui brille tout en haut 
de la tour est celle de Satan ! ... 
Plus rien jamais ne pourra l'éteindre, 
plus rien, que Satan lui-même, une fois l'an !"

On alla chercher Monsieur le Curé. 
Les Oleronais sont allés à Chassiron en procession ...
Croix en tête, tout le monde est monté 
en haut de la tour : C'était le jour où 
Satan devait revenir ...

À grands renforts de coups d'encensoir, 
on chassa les vapeurs de soufre. 
On enferma la flamme infernale  
sous un globe de verre 
ciselé. Ce globe fut béni au nom de la Croix 
et, toujours en procession, les Oleronais se rendirent 
à Saint Denis afin de prier à l'église. 

Sur ces entrefaites, le Diable arriva. 
À peine avait-il touché le globe de verre 
qu'il le lâcha en hurlant ! ... Furieux, dupé, 
il courut jusqu'à Boyardville, 
se débattant dans le feu divin. 
Il tordit les pins dans la forêt, 
les griffa, les saigna ... 

C'est depuis ce temps que les pins 
sont si tordus ... 
C'est depuis ce temps-là que les 
gemmeurs recueillent 
au bas des saignées la résine 
qui coule en larmes épaisses ...

Mais, à son retour, ce fut bien autre chose 
quand il vit que les Oleronais s'étaient emparés 
de son âne Martin ! 
On lui coupa 
la tête et l'on jeta à la mer, face aux Boulassiers, 
la tête, 
le corps, les jambes aux pieds fourchus, 
l'âne et Robert, le gardien failli ... 
La mer écuma, bouillonna et ...

 C'est depuis ce temps-là que, près de la côte, 
sur l'estran, 
on peut vous montrer le "Creux Nègre", 
là où la tête de 
Satan s'est abîmée, le "Creux Vert", 
là où son corps perdit son sang verdâtre et nauséabond, 
le "Creux Martin", 
là où tomba l'âne et ... Le "Creux Robert", où le gardien 
sinistre fut noyé. 


Ces creux, même les marées basses les plus fortes 
n'en découvrent jamais le fond : 
Tous les pêcheurs à pied les connaissent bien !


Ensuite, les Oleronais se rendirent sur les rochers 
et là, ils entonnèrent un "Te Deum". 
Depuis, on appelle ce rocher "La Blanchardière", 
car c'est ici que les âmes furent lavées et rincées.

Plus jamais le feu de Chassiron ne s'est éteint. 
Oleron devint le pays béni qu'il est encore aujourd'hui : 
Plus jamais Satan 
ni ses sbires n'y remirent les semelles de leurs sabots ... 

L'île est tout embaumée de sainteté : 
Les marins qui passent devant ses côtes vous le diront ...
 C'est pour cela qu'on l'a appelée "Olerum",
qui, en Latin signifie "parfum" : 

L'île des parfums ! 
- Avec le temps, "Olerum" est devenu 
"Olleron" ... Puis "Oleron" et, enfin "Oléron".

                                        

                                           Figure de proue - Musée Naval de Rochefort.








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