mercredi 18 septembre 2013

DRAME AU CREUX JEAN-CHARLES










LE CREUX JEAN- CHARLES


                                               (DEUXIÈME VERSION)







                      La pêche de nuit, tu sais  … Je connais. : Par une belle nuit de septembre, une nuit sans lune … Tu arrives à marée basse … La mer s’est retirée très loin et l’estran est découvert. Tu entends les vagues déferler sur les banches, là, devant toi. En septembre, il n’y a plus grand monde sur les plages et, de nuit, on pourrait presque dire qu’il n’y a personne. À peine vois-tu quelque fanal à ta gauche ou à ta droite :

« Tiens, il y a un gars qui lève son filet ou bien quelqu’un qui pêche à l’ouillage … C’est un peu tôt pour se lancer à l’ouillage … C’est la marée montante qui est la plus propice. »

Le sable mouillé sous les pieds, sans un caillou : Délices ! Les phares , tu les connais : Aix, en face, Chassiron à gauche, Chauveau et puis, si la nuit s’y prête, La Coubre à ta droite, loin 

L’angoisse, toujours un peu car le monde de la nuit est un autre monde … Et la mer aussi est un autre monde ! L’angoisse, mais une angoisse délicieuse, sourde, mais maîtrisée et, dans le fond, n’est-ce pas elle que l’on vient chercher ?




                                                  





Quand nul ne la regarde
La mer n’est plus la mer …
                          
                            (Jules Supervielle : La mer secrète) Supervielle : La mer secrète) 

Longues flaques de lumière énigmatiques, larges zones d’ombre … Mais je te connais, pointe aigüe de roches qui t’avance vers la mer …
Je sais le banc de sable qui s’enroule autour de ce trou où l’eau salée est demeurée prisonnière après le reflux … Je sais que le « creux » est profond … Je sais qu’il faut prendre soigneusement ses repères pour trouver le bon chemin lors du retour, après la pêche … Je sais que la brume peut recouvrir subitement tout le paysage … Je sais que les phares même, lorsque le brouillard est trop épais … Les phares même ne sont plus visibles … Alors, tu ne sais plus où tu es … Et tu ne sais plus où se trouve la terre ferme : Tu crois que c’est vers ici qu’il faut te diriger  … En fait, il te faudrait faire un détour : Ne te souviens-tu pas que tu as contourné  le creux lorsque la marée était basse ? … Si tu vas tout droit, croyant retourner sur tes pas … Tu vas tomber sur le « creux » … Comment t’en sortir ? … Et la marée remonte vite, par les forts coefficients des marées d’équinoxe !

Le cœur serré un peu, toujours quand on va à la pêche de nuit … Mais tu connais le coin … Depuis toujours tu viens pêcher là ! Tu connais les rochers, tu connais les bancs de sable … Tu reconnaîtrais ton chemin en identifiant les cailloux … Car tu les connais bien, les cailloux, à leur taille, à leur forme, à leur couleur : Ces cailloux-là, tu les as retournés si souvent, du crochet de ton espiot’, pour y chercher des crabes … Tu sais bien que rien ne peut t’arriver. D’ailleurs, quand tu sens que le brouillard peut survenir, tu prends la précaution de laisser derrière toi, posée sur une roche, une lampe à carbure pour te servir de repère …

Il n’y a pas de vent, ou presque pas, alors, tu entres dans l’eau :  Elle est tiède et rassurante … Elle est claire et les poissons montent à la surface, attirés par le halo de lumière … Mille joyaux invraisemblables scintillent et mille animalcules se meuvent. De longues algues ondulent doucement … Certaines nuits, l’eau est phosphorescente : Tes pas laissent un sillage de perles vertes, rouges,  argentées et diamantées … Comme une voie lactée qui serait allumée à la surface de l’eau ! … L’eau  clapote à peine : Il fait très beau … Tu avances en traînant les pieds … Tu cherches le sable où il fait bon marcher en assurant ses pas … Tu cherches les « platins » de roche lisse …  Tu évites les cailloux : Ne pas trébucher !… Et puis …
Tu ne t’en rends même pas compte tout d’abord … L’eau devient plus profonde à mesure que tu avances … Fraîcheur de l’eau sur la poitrine !  Un, puis deux poissons sautent, tout près : Ce doit être des mulets … C’est la saison ! Ta corbeille, que tu as dans le dos, flotte maintenant et tu lèves ta lampe … Le bec de porcelaine chuinte : La flamme « papillon » vacille un peu puis reprend des forces … Allons, il faut revenir sur ses pas, un peu, pour se rapprocher de la côte … Tu jettes un coup d’œil alentour et tu as vite repéré le compagnon qui est venu avec toi … Tu t’en rapproches et peut-être échangerez-vous quelques mots … Rien que pour se dire que tout va bien ! Les phares sont toujours là, en face et sur les côtés : Tout va bien !



                                

                                                            Huile sur toile de Josette Freschini





























C’est le huit septembre à minuit, et c’est en l’année mille neuf cent cinquante-trois, je crois … J’avais vingt et un ans ! … Je me souviens … Comment pourrais-je oublier ? Qui ne s’en souvient en Oléron ?

Le huit septembre à la nuit, treize compagnons .. Ils étaient treize, je crois … Treize compagnons sont à la pêche à Bellevue, près de La Vieille Perrotine … C’est là qu’il y a de larges bancs de sable … C’est là qu’ils vont à la pêche à la senne.

La senne, c’est un filet de vingt-cinq à trente mètres que l’on déploie au moment de la marée montante, quand le flot apporte les poissons qui cherchent l’oxygène des vagues et les petits vers que la montée des eaux fait jaillir du sable … Le filet est équipé, en haut de flotteurs et, en bas de plombs qui l’alourdissent. À chaque extrémité, il y a un long bâton qui permet de dresser la nappe de mailles à la verticale. Les pêcheurs se saisissent de ces bâtons et tirent … Le filet, tiré par chaque bout, prend un arrondi et forme une poche … On le traîne en marchant dans l’eau …
On le ramène au rivage … Il a pris les soles et les autres poissons qui se sont rencontrés … On les traîne jusque sur le sable …

Treize compagnons, partis de Saint-Georges dans la nuit … Un seul reviendra !

C’était le huit septembre dans la nuit … Un seul reviendra :

-               «  Il est revenu dans la nuit, seul au volant de la voiture … On eut dit d’un cheval fou ! »

Seul un homme est revenu. C’était un jeune abbé du nom de Marcel Jourdain, qui faisait partie de l’encadrement de la colonie de vacances du château Fournier … Il avait nagé, nagé … Le brouillard était venu sur l’estran, pendant que l’on traînait la senne … Le brouillard était venu : Il avait éteint les phares l’un après l’autre, les phares et les feux des autres pêcheurs … Il avait tout envahi et l’on ne voyait plus la côte … On ne voyait plus les flaques, on ne voyait plus les roches, on ne voyait plus les bancs de sable …  Un seul … Par chance ou parce que c’était là son destin … Un seul avait pris le bon chemin … Un seul avait survécu !

Ce fut grand deuil en Oléron … Combien de familles avaient perdu un être cher ou plusieurs à la fois ? Il y a maintenant plus de cinquante ans de cela … Qui pourrait oublier ce cortège qui se dirigeait vers l’église, puis vers le cimetière ? Qui pourrait oublier ses propres larmes ? Qui n’entend encore sonner le tocsin ?

C’était le huit septembre de l’année mille neuf cent cinquante-trois ; J’avais vingt et un ans …



Et, pour que nul n’oublie, voici la liste de ceux qui ont péri … J’ai connu plusieurs d’entre eux …



           




Pierre Joyeau 26 ans Chéray
Solange Tessier, épouse Joyeau 26 ans Chéray
Jean Joyeau 26 ans Chéray
Georges Foucaud St. Pierre
Lucette Joyeau, épouse Foucaud St. Pierre
Pierrette Météreau 18 ans Chéray
Abel Massé 20 ans
Henri Favre 26 ans Chéray
Bernard Mothe Chéray
Michel Chocard 18 ans
Abbé J. Baudoin
Michel Fradin moniteur de colonie de vacances


Ayons une pensée pour eux et pour leurs proches … Ah ! Le long cortège qui se dirigeait de l’église vers le cimetière de Saint Georges !


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