PASSER LE TÉMOIN
J’ai été, en Oléron, si heureux, que
j’aurais voulu que mes enfants le soient autant. Ils l’ont peut-être été, mais
je doute que mes petits-enfants et mes arrière petits-enfants puissent goûter
au même bonheur : Les temps ont changé et l’île aussi … Les enfants
également !
J’ai eu quatre enfants : deux
garçons et deux filles. Ils ont couru sur les mêmes chemins que ceux au long
desquels j’avais couru. Ils ont fréquenté les mêmes bosses de marais que celles
où j’allais ramasser des champignons ou rechercher la chardonnette. Ils ont
grimpé dans les mêmes arbres que ceux où j’avais déchiré mes culottes. Ils ont
arpenté les mêmes plages immenses, les mêmes estrans. Ils ont viré les mêmes
roches sous lesquelles se cachaient les crabes, que les Parisiens nomment des
étrilles et que, chez nous, on appelle des « bataillers » … Ils
ont plongé du haut des mêmes rochers, nagé vers la même balise qui servait de
perchoir au cormoran tout noir.
Mes enfants ont cueilli et mâché les
tiges du fenouil. Ils ont ramassé, à la saison du printemps, les poireaux de
vigne et les asperges sauvages. Ils ont pêché les anguilles dans les chenaux et
ils ont trimbalé mon vieux carrelet portatif dans les marais et sur les murs de
la jetée. Ils ont pris, avec ma «trioule », des éperlans par poignées et
des anchois tout luisants. Ils ont pêché la palourde en la repérant, à la marée
montante, grâce aux deux trous que chacune d’elles laisse sur le sable. Ils ont
« détroqué » les huîtres sauvages sur le « Gros Roc ».
Devenus plus grands, ils sont partis
plus loin sur leurs vélos : Ils ont pêché les « sourdons » à
Boyardville ou à Gatseau.
Oléron était une île bénie des
dieux : On trouvait toujours quelque chose à glaner ici ou là.
Les « sourdons », que les
« Parisiens » appellent des « coques », il y en avait
beaucoup sur les bancs de sable de la Perrotine, à droite de l’embouchure du
canal. Certains se sont mis à les pêcher au râteau et à remplir leurs paniers …
Il n’y en a plus guerre maintenant. Mes enfants, eux, avaient l’avantage de
vivre en un temps où la fréquentation des lieux par les vacanciers étaient
encore modérée : Au temps où les campeurs vivaient sous la tente et pas
encore dans les mobile-homes ou les camping-cars concentrés dans les camps
aménagés à cet effet. Mes enfants pêchaient les « sourdons » à la
main … Il y en avait tellement ! Un jour, l’idée leur vint de vendre le
produit de leur pêche … Pourquoi pas ? … Ils allaient dans les terrains de
camping proposer leurs coquillages et, ma foi, ils y rencontraient le succès …
Jusqu’au jour où un campeur grincheux leur fit remarquer qu’ils n’avaient pas
de patente pour commercialiser leur pêche et que le contrôle sanitaire était
une obligation … Ahurissement de nos pêcheurs : On ne parlait pas encore
de pollution des rivages et on ne parlait pas de contrôle fiscal … Ce que l’on
pêchait, on pouvait le consommer ou le donner, le vendre … C’était un don du
bon Dieu ! Mes enfants revinrent à la maison tout maris … C’était un
signal : Les temps étaient en train de changer et les gens que l’on
rencontrait n’étaient plus les mêmes ! Faudrait-il demander une
autorisation pour ramasser des champignons dans les bois ou pour pêcher des
anguilles dans les marais ?
À propos d’anguilles … Là où j’en
pêchais autant que j’en voulais, dans le canal du Douhet ou dans les
« ruissons » qui alimentent le marais, elles sont devenues rares …
Les « pibales » ont été tellement pêchées et vendues à de tels prix
que l’espèce est en voie de disparition. Mes enfants en pêchaient encore, comme
moi : En trimbalant le carrelet portatif ou en posant des lignes dormantes
munies d’hameçons multiples, en piquant la vase avec un « salé » long
et lourd : Sorte de harpon muni d’un long manche …
Un jour, mon fils aîné revient à la
maison. Il porte sur son épaule le fût du carrelet et les
« alarmes », la « marotte » ballote d’un côté et de
l’autre en tintant joyeusement … Dans sa « gourbeille », mon fils me
fait voir une si grande quantité d’anguilles, et elles sont si grosses, que je
m’inquiète un peu :
-
« Où as-tu pêché
tout ça »?
-
« Dans un marais,
là-bas » !
-
« Montre-moi ! »
Il avait passé l’après-midi entière à
pêcher au carrelet dans le vivier de l’éclusier ! Que dire et que
faire ? … Nous avons invité l’éclusier et son épouse à déguster les
anguilles que nous avons fait griller sur des braises de sarments de vigne …
Vous avez essayé la recette ? – Essayez-la, vous m’en direz des
nouvelles ! L’éclusier a bien rigolé lorsque nous lui avons dit la
vérité !
Mais nos cueillettes de printemps dans
les vignes et dans les dunes … Qui
ramasserait de nos jours les poireaux de vignes ? … Les vignes, la plupart
du temps, ne sont plus labourées, butées, décavaillonnées, mais on y répand du
désherbant, repérable au jaunissement des parcelles … Et encore, s’il n’y avait
que les vignes qui subissent ce genre de traitement !
Mes petits-enfants n’iront plus faire
les foins à la Miscandière : Chapeaux de paille au soleil du mois de juin,
lourds râteaux de bois pour retourner le foin afin de le laisser sécher …
Grandes charrettes traînées par le cheval qui encense et chasse les mouches avec
sa queue … Fourches dont on élève la charge pour l’empiler sur le tas … Et je
suis monté tout en haut du tas pour réceptionner les bottes que l’on me fait
passer … Je répartis le foin dans le chargement … Chaleur, suée, raideur
dans les bras et dans les reins, mais quels éclats de rires ! Et puis la
bouteille que l’on se passe et à laquelle on boit à la régalade ! … De nos
jours, il suffit d’une demi-journée à l’agriculteur, avec un tracteur tirant
une modeste remorque : Le foin est coupé, roulé, enveloppé d’un film en
plastique … À peine le temps de s’en apercevoir et les champs sont parsemés de
gros rouleaux noirs ou blancs.
Finies, les parties de rires dans les
rangs de vigne pour les vendanges en septembre ou octobre : Les étudiants
ne participent plus à la récolte, les Espagnols non plus … Plus d’ouvriers des
villes prenant leurs congés pour aider à la vendange : Une machine, même
pas très grosse, qui enjambe les rangs de vigne, des palpeurs qui font tomber
les grains … Le tout est envoyé dans la remorque et celle-ci prend la direction
de la cave coopérative … C’est à peine si on a le temps de s’apercevoir que
l’on est en vendanges ! Où sont nos grandes farandoles d’hommes et de
femmes courbés sur les ceps, armés d’un sécateur, munis de paniers … Où sont
les porteurs avec leur hotte dans le dos ? … Où sont les fouleurs, maniant
le pilon dans les « bassées » de bois ? … Où sont les « douilles » pansus qui
attendaient leur chargement pour s’en aller au pressoir ? … Où sont les
pressoirs autour desquels on s’activait tard dans la nuit, dans tous les chais,
au fond de tous les « quéreux » ? … Où sont nos grandes tablées
du dimanche autour desquelles filles et garçons partageaient le contenu des
plats et des marmites dans lesquels la fermière avait préparé le
repas ? … Entendez-vous encore les exclamations et les rires ?
… Il y en avait au moins un pour écraser une grappe dans le cou d’une fille,
Non ? À moins que ce ne fut l’inverse …
Tout cela, c’est fini … Les chais sont
fermés, les pressoirs démontés.
Regrets ? … Bien sûr ! … Le
temps est venu, pour mes petits-enfants, de manipuler des téléphones portables
ou des « tablettes » en restant assis dans un coin … Le temps est
venu pour qu’ils rêvent au jour où ils seront assez grands pour aller passer
leurs soirées en « boîte » … Ils savent qu’un autobus gratuit les
ramènera chez eux s’ils se sont trop alcoolisés et cela rassurera leurs parents
qui iront eux-mêmes écouter dans l’église du village un orchestre de passage
jouer les Quatre Saisons de Vivaldi … Comme partout ! Les enfants rêvent que quelqu’un leur procurera des
sous pour aller faire les fous sur le toboggan du « Complexe
Aquatique » … Ils rêvent que quelqu’un leur offrira de l’argent pour aller
au bowling … Ils rêvent, qui sait ? … Peut-être rêvent-ils du jour où ils
pourront aller s’essayer sur les machines à sous d’un casino … À Saint-Trojan
ou ailleurs … Oléron ? …
Bah ! les stations balnéaires offrent toutes les mêmes attractions … Il suffit
d’avoir assez d’argent pour se les offrir !
On a construit des pistes cyclables,
dans l’île … Bonne chose, car les routes étroites et sinueuses sont dangereuses
en été, tant la fréquentation en est
importante … Mais la fréquentation des pistes est devenue tout aussi dangereuse
tant le nombre de cyclistes s’est accru et tant l’indiscipline règne sur le
réseau … Si encore ces foules n’étaient observables que sur les pistes :
Sur les routes, c’est bien autre chose ! Quant aux plages … Au mois de
juillet et au mois d’août, il faut d’abord pouvoir garer sa voiture pour y
accéder et … Il y a si peu de parkings ! Ensuite, les passes entre les
dunes sont si étroites qu’on peut avoir l’impression d’accéder à la plage en
passant par un couloir ! Après … Dépliez votre serviette sur le sable si
vous avez trouvé de la place … Si, si … Il y a encore de la place : Les
plages sont tellement longues ! … Mais les tempêtes les rongent. Ne songez
plus à aller, comme nous le faisions, de Saint Denis à Boyardville à
vélo : Les enrochements que l’on a accumulés en épis ou en endiguements
interdisent ces longues balades qui étaient autant de bonheurs.
Mais, peut-être … Sans doute même, au
cours de la saison d’été … Vous aurez la joie d’assister à la présentation d’un
ou de plusieurs feux d’artifices …
C’est du bonheur : Des feux d’artifices … Comme partout ailleurs ! …
Et des vide-greniers, comme partout ailleurs ! Pendant la saison d’hiver …
Ne rêvez pas … Les villages sont vides pendant la saison d’hiver … Ah !
Qui nous rendra la chanson de la margelle du puits dans le fond du
quéreux ? Qui nous rendra le tintement du lait qui gicle dans le fond du
seau de la fermière ? Qui nous rendra la musique de l’enclume, celle du
rabot, celle de la clochette de l’épicerie, qui sonne à chaque ouverture de la
porte ? Qui nous rendra, de septembre au printemps le claquement des
volets qui s’ouvrent au petit matin, le chant des coqs qui saluent le soleil,
le salut des jeunes gars partant pour le travail ?
Et, chaque fois qu’il en sera besoin,
vous irez faire vos achats au supermarché … Comme partout ailleurs !
***
ET, POUR LIRE D'AUTRES TEXTES ET
VOIR D'AUTRES IMAGES, CLIQUEZ SUR
LE PROCHAIN MOT ÉCRIT EN ROUGE,
PUIS SUR L'ADRESSE SURGISSANTE ...
BONNE LECTURE !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire