lundi 29 septembre 2014

L'ÉGLADE

















L’ÉGLADE




On dit une « églade » ou une « éclade », c’est selon … Mais, dans l’île, on dit plus souvent « églade ». L’autre mot me semble importé.

La première fois que j’ai vu faire une églade, c’était à Boyardville. Nous étions partis avec un ostréiculteur pour travailler dans ses parcs : Naguère, les huîtres n’étaient pas mises dans des « poches » en plastique, puis installées sur des « tables » … Évidemment, les poches, c’est un progrès. Autrefois, les huîtres jeunes étaient tout simplement répandues sur la vase à grands coups de fourche. À la marée montante, on voyait les « lasses » s’amarrer sur un piquet et les huîtres volaient …

Notre travail du jour consistait à  dégager les huîtres de la vase qui les recouvrait et à les faire remonter à la surface afin qu’ils soient baignés dans l’eau claire. Tous travaux évités par l’utilisation des « poches ». Nous étions équipés, bien sûr : Chacun d’entre nous avait enfilé des « cuissardes » , autrement dit des bottes en caoutchouc  qui remontent presque jusqu’aux aisselles … Nous étions jeunes. Nous nous amusions follement !


Pendant que nous étions au travail, notre ami ostréiculteur prit une corbeille d’osier, en passa la sangle sur son épaule, puis il s’en alla hors du parc. Qu’allait-il faire ? – Il alla jusqu’aux rochers voisins et nous le vîmes se baisser, se relever … Il remplissait sa corbeille avec ce qu’il ramassait sur les rochers.

Le mer remonte. Elle remonte vite sur cette étendue plate … Nous remontons avec elle. Le soleil est haut : Il est plus de midi « au soleil » … On « marche » à l’heure solaire encore, chez nous … Contrairement aux fonctionnaires qui marchent à l’heure « légale ». Bref, midi est passé depuis plus d’une heure.

Ce sont des moules que notre ami a ramassées sur les rochers … De belles moules qui ont été choisies bien noires, bien luisantes, bien grosses. L’ostréiculteur sort un couteau de la poche de son pantalon … Il a lancé ses « cuissardes » sur le sable. Il y a des moules à gratter : On enlève le byssus en grattant la coquille. Le byssus, une sorte de crin qui permet à la moule de s’accrocher aux roches.

Les moules nettoyées, on les remet dans la corbeille et on les lave dans une flaque d’eau de mer.

Après, on sort par l’arrière de la voiture une planche de bois de de cinquante centimètres de côté, à peu près. On la pose sur le sable. En son centre, quatre clous sont plantés en carré.

Ces clous vont nous faciliter les choses : Il faut ranger les moules, une à une et côte à côte, la pointe vers le haut, la charnière vers l’extérieur … Certains répandent tout simplement les moules sur une planche ou sur une pierre … Ils seront surpris du résultat ! … Ce ne sont pas des Oleronnais.

Pourquoi les pointes vers le haut et les charnières vers l’extérieur ? - Faites l’essai, c’est un travail d’artiste ! … Pour faire cuire les moules, il faut les recouvrir d’un matelas d’aiguilles de pin bien sèches : On n’a pas besoin d’aller très loin pour en trouver ! On fait brûler les aiguilles de pin, là, directement sur les moules. Traditionnellement, on a apporté un calendrier … Vous savez, le calendrier du facteur, en carton … On s’en sert comme d’un éventail, pour attiser le feu …Mais pas seulement : Le calendrier est essentiel … Il sert, une fois les aiguilles brûlées, à ventiler les cendres … Allez-y de bon cœur : Il ne faut pas faiblir sans quoi vos moules, que le feu a fait ouvrir, se rempliront de cendre … Vous comprenez maintenant pourquoi il faut soigneusement ranger les moules côte à côte, la pointe en haut et la charnière vers l’extérieur … Si vous ne les avez pas préparées ainsi, vos moules se seront ouvertes de telle façon que les cendres se retrouveront à l’intérieur !

Bon, vous aviez préparé votre « églade » selon les traditions … Les traditions exigent aussi que vous ayez en main une bonne tranche de pain, avec une bonne couche de beurre, (On est en Charente, non ? »  Avec cela, une bouteille de vin blanc bien fraîche, (De ce vin blanc qui a le goût iodé … Le vin d’Oléron !) On mange avec les doigts, là, sur la plage et c’est très bon !

Les moules avaient été bien rangées, on s’en met plein les mains, on a les lèvres pleines de cendre … Pour plus de commodité, vous utiliserez une coquille vide pour vous servir de pinces afin de saisir les chairs.

Cuisine de sauvages ! – Peut-être, mais c’est rudement bon!

Si vous trouvez, au bord de la « route des huîtres » une cabane devant laquelle on a affiché : « Éclades de moules» … Le mot « éclades » vous indiquera sans doute que le cuisinier n’est pas un véritable Oléronnais, mais il peut tout aussi bien indiquer que le patron, par politesse, fait des concessions langagières aux « baignassout’s ». Vous pouvez vous arrêter là : Les moules sont déjà prêtes sur les planchettes et le pain est tranché, le beurrier sorti du frigo et le vin blanc tout prêt. Photo, avant de vous mettre au travail !

Cuisine de sauvages ? – Certes, mais il est quelques « sauvages » qui savent cuisiner de façon excellente !

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