lundi 7 septembre 2015

DEUX LETTRES DE 1848







                    *
DOCUMENTS AUTHENTIQUES : DEUX LETTRES


L' Abbaye de Trizay, le 21 juin 1848




Mimie Chérie,


Ainsi donc, chère âme, je pars à nouveau. Du moins avons-nous eu le bonheur de nous voir quelques jours ... Ces quelques jours, que n'ont-ils duré des mois !
Embrassons nous. Cet embarquement était écrit dans ma destinée : Il faut bien qu'un marin navigue!
Savez-vous qu'il m'arrive de bénir les fièvres qui m'ont saisi à la Martinique en décembre dernier, puisque ce sont elles qui m'ont ramené vers vous pour cette convalescence bien douce. Elles m'ont obligé à quitter ma Corvette, qui était un très excellent bateau, mais voici que je vais retrouver une autre Corvette, un peu plus grande puisqu'elle a, à dire vrai, la taille d'une Frégate. Je crois que je ne perdrai pas au change. Et puis, cette campagne achevée, ne serons-nous pas unis pour toujours ?


-" Ne pas vous écrire pendant deux mois et n'avoir rien à faire ?" _ Vous l'avez dit _ Oui mais mieux vaut promettre peu et tenir beaucoup. Allons, Chérie, n'est-ce pas que vous n'avez pas pu croire cela ?


Comme vous l'avez vu, je suis à Trizay. Le 19 juin je suis arrivé à Saujon à huit heures du matin ; la voiture de Rochefort ne part qu'à deux heures. J'avais donc six heures pour courir la ville et les champs. Je suis allé du côté de Ribérou ; j'ai roulé une grosse pierre sous un tamarin pour m'en faire un siège et ... Je me suis mis à rêver. A deux heures, j'ai pris la voiture qui m'a transporté à Saint-Agnant où je me suis trouvé en pleine assemblée. La bête joie de ces paysans a redoublé ma tristesse. J'ai gobé le reste de la route à pied ( cinq kilomètres environ ) et je suis arrivé vers six heures et demie à Trizay. J'y fus reçu aussi indifféremment que d'habitude, excepté par mon frère Lucy qui me fit mille amitiés.

Aujourd'hui, je me purge : La bile m'étouffe. Que ferai-je demain ? - Je n'en sais rien. Il était convenu que je devais aller mercredi vous chercher pour vous conduire chez Émile, à Saint-Georges d'Oléron. La satisfaction de vous faire ce plaisir m'est même enlevée car mon père vient d'emmener tous les chevaux à la Chaussée de Marsay, à six kilomètres de Surgères.


Ma permission me paraît bien longue maintenant. Qu'aller faire dans l'île d'Oléron sans vous, ma belle âme chérie ? Tant qu'à mon voyage en Poitou, je m'ennuie d'y aller, pour la même raison et pour une infinité d'autres.


Enfin, de quoi me plaindre? N'aurai-je pas eu ces quelques jours de bonheur, en juin mille huit cent quarante huit ! _ C'est beaucoup pour moi qui n'y suis pas habitué.
Oui, tu resteras gravé longtemps dans mon souvenir, jour heureux : Dix sept juin mille huit cent quarante huit !


Bain à la Grande Conche, promenade à deux dans Royan, aller et retour en char-à-bancs à deux places, etc., etc. _ À nous voir bras dessus, bras dessous, parcourant triomphalement les Quinconces, il me semblait que nous étions déjà unis par d'autres liens que ceux de l'amour. Mais cette union sera prochaine ... Pour le moment, sachons attendre car malheureusement nos positions ne nous permettent point de pouvoir escompter le bonheur. La réalité actuelle est bien dure pour nous ; la chance n'est pas souvent des nôtres. Mais, chose que je puis vous assurer, ma bonne petite Angèle, c'est que je vous aimerai toute ma vie de tout coeur, quoi qu'il arrive.


Je vous ai laissée bien souffrante, mon amie, soignez vous ; je tiens à lire dans votre prochaine lettre que vous continuez à profiter et que, lorsque je retournerai vous voir, vous serez de plus en plus grassouillette et bien portante.

Le premier, je serai chez moi et peut-être avant. Espoir, adieu et mille baisers, mon Angèle chérie !!!! Tout à vous.

Bien des choses à Madame votre mère. Ne pensez plus à cette pénible obligation que j'ai dû signer avant mon départ : _ " Au nom du Peuple Français "écrivait le Notaire en précisant que je m'engageais à rembourser la somme empruntée à Madame Pelletier ... "Dans le cours de trois ans à ce jour et à lui en servir l'intérêt au taux de cinq pour cent l'an, payable par année échue, aussi à compter d'aujourd'hui" ... Mais qu'est-ce qu'un emprunt de mille francs ? ... Le service en campagne à la mer m'aura bientôt permis de rembourser cela ... Vous le voyez bien, qu'il me fallait partir !


Aucun commentaire: