mercredi 9 septembre 2015

DEUXIÈME LETTRE DE 1848




DEUXIÈME LETTRE DE 1848







Rochefort, le 7 juillet 1848


Mimie chérie,


Il y a maintenant seize jours que ma dernière lettre est partie de Trizay où je me trouvais alors. Dieu, que le temps paraît long à celui qui attend ! Vous n'avez pas été malade, du moins ? Dites-moi bien vite qu'il n'en est rien et que vous allez bien.
À mon impatience et aux affres que je ressens je mesure celles qui seront les miennes lorsque je serai à bord de l'Alcmène ... Pensez donc : Une campagne de trois ans ! C'est bien pour une campagne de trois ans que je pars. Mais je n'oublie pas que vos angoisses et vos impatiences seront au moins égales aux miennes. Ne craignez rien cependant, l'Alcmène est un bon bateau : Une Corvette construite à Saint-Servan, qui a été mise à l'eau pour la première fois en 1834 et qui a déjà fait ses preuves lors de multiples campagnes.
Elle est armée de trente canons, mais nous ne devrions en avoir aucun besoin, l' Anglais n'étant point en guerre contre nous, même s'il nous bat froid. En tout cas, vous n'aurez point à craindre pour moi les balles perdues des révoltes ou révolutions : Je serai bientôt très loin de ces agitations qui se déroulent en ce moment à Paris et qui échauffent les ouvriers. Il vous faudra, lorsque vous m'écrirez, me raconter tout cela et me dire comment Monsieur de Lamartine entend remettre en ordre la nation.
Mais je vous ennuie sans doute en vous parlant politique, douce Angèle qui êtes faite pour tout autre chose ! Que mes pensées les plus douces vous accompagnent : Elles ne vous quitteront pas et je sais que le soir, à l'heure où se lève le croissant de la lune, vous songerez à moi, ballotté par les flots. Vous vous en souvenez, n'est-ce pas : La lune éclairait les flots, lors de notre première promenade sur la plage de Foulerot ...

Je vous promets de penser à vous chaque jour et, chaque soir où cela me sera possible, Mimie chérie, je tiendrai mon journal à jour, afin de vous conter, tout simplement, ce que seront mes heures loin de vous. Elles seront tristes, assurément, mais elles seront surtout fiévreuses car chaque journée qui va passer me rapprochera de vous.


Nous larguerons les amarres avant le quinze juillet si tout va bien. L'armement du navire a déjà commencé : Nous faisons embarquer les vivres frais, les salaisons, les tonneaux de vin et ceux de poudre à canon ... Nous descendrons ensuite le cours de la Charente ... Le plein des réserves d'eau douce sera fait au fort Lupin où se tient la pompe. Le navire, alourdi, gagnera l'estuaire de la Charente, puis la rade de l'île d'Aix. Le quinze, nous devrions lever l'ancre après avoir embarqué les passagers : Entre autres, nous devrions embarquer un Monsieur D'Éhrensward, officier suédois, lequel doit faire campagne avec nous.
Ce Monsieur a été autorisé par le Ministre à faire également embarquer son épouse à notre bord ... Ne craignez rien, mon amie ... Elle est sûrement moins jolie que vous, encore que je ne l'aie pas aperçue ... Et puis j'aurai bien d'autres choses à faire plutôt que de m'occuper d'elle, ne croyez-vous pas !
Partant le quinze, nous devrions d'abord nous rendre à Rio de Janeiro, puis à Valparaiso et enfin aux îles Marquises et à Tahiti. Nous faudra-t-il six mois ... Plus ? Je ne manquerai pas, en tout cas, de vous écrire et de vous faire parvenir mes courriers par chaque navire que nous rencontrerons, fût-il anglais !
Encore une fois, mon âme, je vous prie de saluer de ma part madame votre mère et de me rappeler au bon souvenir de Monsieur votre père. Des inclinations bien tendres me poussent vers eux parce qu'ils sont vos parents, tout simplement.


De bien doux baisers vont jusqu'à vous, mon Angèle chérie.
Tout à vous ...






Aucun commentaire: