DEUXIÈME LETTRE DE 1848
Rochefort, le 7 juillet 1848
Mimie chérie,
Il y a maintenant seize jours que ma dernière lettre est partie
de Trizay où je me trouvais alors. Dieu, que le temps paraît long à celui qui
attend ! Vous n'avez pas été malade, du moins ? Dites-moi bien vite qu'il n'en
est rien et que vous allez bien.
À mon impatience et aux affres que je ressens je mesure celles
qui seront les miennes lorsque je serai à bord de l'Alcmène ... Pensez donc :
Une campagne de trois ans ! C'est bien pour une campagne de trois ans que je
pars. Mais je n'oublie pas que vos angoisses et vos impatiences seront au moins
égales aux miennes. Ne craignez rien cependant, l'Alcmène est un bon bateau :
Une Corvette construite à Saint-Servan, qui a été mise à l'eau pour la première
fois en 1834 et qui a déjà fait ses preuves lors de multiples campagnes.
Elle est armée de trente canons, mais nous ne devrions en avoir
aucun besoin, l' Anglais n'étant point en guerre contre nous, même s'il nous
bat froid. En tout cas, vous n'aurez point à craindre pour moi les balles
perdues des révoltes ou révolutions : Je serai bientôt très loin de ces
agitations qui se déroulent en ce moment à Paris et qui échauffent les
ouvriers. Il vous faudra, lorsque vous m'écrirez, me raconter tout cela et me
dire comment Monsieur de Lamartine entend remettre en ordre la nation.
Mais je vous ennuie sans doute en vous parlant politique, douce
Angèle qui êtes faite pour tout autre chose ! Que mes pensées les plus douces
vous accompagnent : Elles ne vous quitteront pas et je sais que le soir, à
l'heure où se lève le croissant de la lune, vous songerez à moi, ballotté par
les flots. Vous vous en souvenez, n'est-ce pas : La lune éclairait les flots,
lors de notre première promenade sur la plage de Foulerot ...
Je vous promets de penser à vous chaque jour et, chaque soir où
cela me sera possible, Mimie chérie, je tiendrai mon journal à jour, afin de
vous conter, tout simplement, ce que seront mes heures loin de vous. Elles
seront tristes, assurément, mais elles seront surtout fiévreuses car chaque
journée qui va passer me rapprochera de vous.
Nous larguerons les amarres avant le quinze juillet si tout va
bien. L'armement du navire a déjà commencé : Nous faisons embarquer les vivres
frais, les salaisons, les tonneaux de vin et ceux de poudre à canon ... Nous
descendrons ensuite le cours de la Charente ... Le plein des réserves d'eau
douce sera fait au fort Lupin où se tient la pompe. Le navire, alourdi, gagnera
l'estuaire de la Charente, puis la rade de l'île d'Aix. Le quinze, nous
devrions lever l'ancre après avoir embarqué les passagers : Entre autres, nous
devrions embarquer un Monsieur D'Éhrensward, officier suédois, lequel doit
faire campagne avec nous.
Ce Monsieur a été autorisé par le Ministre à faire également
embarquer son épouse à notre bord ... Ne craignez rien, mon amie ... Elle est
sûrement moins jolie que vous, encore que je ne l'aie pas aperçue ... Et puis
j'aurai bien d'autres choses à faire plutôt que de m'occuper d'elle, ne
croyez-vous pas !
Partant le quinze, nous devrions d'abord nous rendre à Rio de
Janeiro, puis à Valparaiso et enfin aux îles Marquises et à Tahiti. Nous
faudra-t-il six mois ... Plus ? Je ne manquerai pas, en tout cas, de vous
écrire et de vous faire parvenir mes courriers par chaque navire que nous
rencontrerons, fût-il anglais !
Encore une fois, mon âme, je vous prie de saluer de ma part
madame votre mère et de me rappeler au bon souvenir de Monsieur votre père. Des
inclinations bien tendres me poussent vers eux parce qu'ils sont vos parents,
tout simplement.
De bien doux baisers vont jusqu'à vous, mon Angèle chérie.
Tout à vous ...
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