jeudi 1 octobre 2015

LE CRÈV' SOT'











LE CRÈV’ SOT’


Le musée de Saint-Pierre d’Oléron en expose un, mais, si je ne me trompe pas, l’étiquette le présente comme un « tricycle » …

C’est bien un tricycle, en effet : Il a un siège et trois roues nanties de pneumatiques … Il a un guidon, comme les bicyclettes. Il a des pédales pour le faire avancer. Il a une sonnette pour avertir les piétons. Il est généralement peint en noir.

Vous me direz qu’on en fabrique encore de nos jours, des tricycles, légers, modernes … Certains sont même très pratiques : On peut, derrière la selle, poser ses paniers … Oui, mais ces engins ont peu de choses à voir avec les crèv’sot’ !



Du temps de ma jeunesse … Et c’est dire que mon âge commence à mériter l’attribut de « canonique » … Du temps de ma jeunesse, nul ne se serait attardé à regarder un crèv’sot : Il y en avait tellement !



Cet engin qui vous paraît aussi antique que le diplodocus était utilisé surtout par les hommes d’un certain âge … Et les femmes d’une certaine corpulence … Il avait l’avantage de tenir debout tout seul quand on l’abandonnait devant l’église pour la durée de l’office ou au coin du champ lorsqu’on allait faire les foins ou vendanger… bien sûr, on prenait soin de le mettre à l’ombre, tout comme vous feriez pour votre vélo.








Vous en avez déniché un dans le fond d’une grange ? Aurez-vous le courage de l’essayer ? – Facile, direz-vous : Avec trois roues, on ne peut pas tomber !

Ouais, Facile ! … Tout d’abord, il faut grimper dessus et donc lever la jambe … Bon, vous avez réussi à vous asseoir sur le siège ? … Prenez le guidon en plaçant bien vos deux mains … Attrapez les pédales et calez vos pieds … Si vous arrivez du premier coup à partir et à rouler tout droit devant vous, vous êtes bon pour vous engager dans un cirque comme acrobate ! …







Pour ma part, au premier essai, l’engin a refusé obstinément d’adhérer à la ligne droite : Le guidon me conduisait sur la gauche et le tricycle a décrit un cercle ou ce qui y ressemblait beaucoup … Ah bien oui, facile ! … Redressez le guidon et recommencez : Vous partez sur une superbe courbe, à droite ou à gauche … Vous voilà incapable de prédire où vous irez !

Vous avez parfois appuyé durement sur les pédales de votre vélo, sur la route qui va de Sauzelle à Saint Georges ? … Avec le vent debout, il arrive que la randonnée soit ardue, mais essayez donc lorsque vous serez grimpé sur le tricycle … Vous comprendrez vite pourquoi un Oléronnais ne parle jamais d’un « tricycle », mais a baptisé cet engin le « crèv’sot’ ».



Notons au passage que les Oléronnais prononce tous les « t » lorsqu’ils se trouvent à la fin des mots … Et même lorsqu’il n’y en a pas : Par exemple, en ce qui concerne le village de « Dolus », ils diront « Dolut’ » … J’ai retrouvé cette particularité langagière dans le créole de certaines îles ou quelques oléronnais ont dû émigrer …


Bon, vous avez compris ? L’engin était lourd, il fallait une certaine habitude pour le piloter et, lorsque le vent soufflait … Et c’est pour cela qu’on l’avait ainsi baptisé … Vous y êtes ? … Crève sot !

Ah, il fallait voir la Marie, lorsqu’elle venait jusqu’au bourg : Croupe large, enveloppée dans une vaste robe noire, son fichu noir sur la tête …



 Se déhanchant à droite, puis à gauche pour pédaler. On dit qu’elle pesait tant sur les pédales qu’un beau jour elle en a cassé une ! … Le père Crépeau l’a réparée sur son enclume, dans sa forge !

Je me souviens aussi du grand Jacques, tout maigre, aussi long qu’une asperge … Il pédalait sagement et s’arrêtait pour souffler lorsque le vent était trop fort … Il laissait ensuite son crèv’sot’ devant la porte du café de l’océan … Si l’engin n’y était pas, c’était que le grand Jacques n’y était pas !

Ah, les crèv’ sot’ ! Ils faisaient partie du paysage oléronnais et … Au Moins … Ils ne faisaient pas de bruit ! Madame, Madame la conservatrice du Musée d’Oléron, changez vite l’étiquette, je vous en prie  !

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