dimanche 11 octobre 2015

L'ÉCLUSIER DU DOUHET





LOUIS ET SUZANNE



























C’était l’éclusier du Douhet. On le voyait peu à la maison. Il était toujours parti par les ruissons et les marais. Dame, le Syndicat le payait pour veiller à la fermeture, à l’ouverture judicieuse des varagnes, autrement dit, c’était lui qui fermait ou bien ouvrait les écluses pour faire entrer l’eau de mer dans les marais lorsque le coefficient le permettait, ou bien pour les vider : C’est une vie qui ne se règle pas sur la pendule, mais sur l’annuaire des marées, publié par l’Imprimerie Pattedoie de Marennes.

Certes, on ne fait plus de sel dans les marais du Douhet, mais il y a des vaches sur les bosses, broutant parmi les joncs et les tamarins, là où, autrefois, on semait de l’orge et du blé . Si l’éclusier ne fait pas son travail, les ruissons restent à sec, les bêtes les traversent et divaguent : Les éleveurs sont mécontents. 

Louis Conil faisait son travail à merveille : La marée était à une heure du matin ? – Il allait tourner ses manivelles à minuit ! Jamais, à ma connaissance, on ne le prit en défaut. L’éclusier a un rôle essentiel dans un pays de marais, et Dieu sait si nous en avons, des marais ! 

Mais les marais sont aussi de vastes étendues pour la chasse, pour la pêche, pour la promenade. En ce qui concerne les couleurs, ce sont toutes les palettes qui s’offrent à nous : Gris-ardoise des bassins secs, verts sombres des tamarins qui les bordent, vert tendre de l’herbe au printemps, violets des fleurs d’artichauts sauvages, qu’on utilise pour faire cailler le lait , piquetages blancs des pâquerettes, taches rousses des champignons en automne, petits mousserons, brunettes plus larges et plus claires, « gros-pieds presque blancs, bleus du ciel qui se reflètent lorsque les marais sont pleins, bleus-verts lorsque la chaleur a fait pousser les algues à la surface de l’eau, jaunes d’or que répandent les mêmes algues par les fortes chaleurs d’été.

Et puis les odeurs Monsieur ! Les odeurs : Effluves du fenouil et odeurs d’absynthe, odeurs des luzernes et des bourraches …

Une poule d’eau vous part dans les pieds dans un battement d’ailes éperdu. Un vol de vanneaux arrive en ordre dispersé, se forme en un champignon de nuage. Ils s’abattent sur une bosse herbue. On entend leurs pépiements incessants. Les vanneaux, on ne peut pas les approcher, ils s’envolent dès que l’on approche. … Si, en voiture, par une route proche, on peut les voir de très prés, mais allez donc ouvrir votre portière : Pffuit ! Ils sont partis !

Le taureau à Mérignant s’ennuie dans son pré, on l’entend beugler à petits coups brefs ; cela fait froid dans le dos.

Louis Conil avance à pas longs et lents. Il a chaussé des bottes de caoutchouc. Il a son fusil sous le bras : la rencontre d’un courlis n’est pas rare ; il se lève presque à la verticale en poussant un long sifflement modulé sur deux tons … L’accord parfait ! Louis n’a plus que deux doigts à la main droite. Je n’ai jamais su ce qui lui est arrivé, mais il conserve le pouce et l’index, une pince qu’il utilise de façon très adroite. Il faut le voir relever ses nasses à anguilles, qu’il place dans l’aqueduc souterrain qui fait commun iquer le canal du Douhet avec la mer !

Les anguilles, Suzanne les fait griller sur les braises d’une trousse de sarments. Nous sommes dans la période d’après-guerre. Elle a ouvert un restaurant dans la maison du Douhet, au bord du canal. Les ouvriers des chantiers avoisinants viennent y manger volontiers. Ils boivent le petit blanc du pays et dégustent les volailles élevées à la maison. Suzanne est une femme de caractère, vaillante, qui ne rechigne pas à aller tirer de l’eau au puits, de l’autre côté du ruisson. Elle affronterait n’importe qui. Son seul point faible : Elle a peur des lézards, mais une peur bleue …Vous ne pouvez pas vous rendre compte de la peur que ces inoffensives bestioles lui inspirent et, bien entendu, nous en introduisons dans sa chambre par les fenêtres entrouvertes. Chez nous, il y a beaucoup de lézards, gris ou même verts. Ah ! Vous pensiez qu’il n’y avait que les souris qui faisaient hurler les femmes ! Eh bien vous vous trompiez, les femmes hurlent aussi quand on leur parle seulement de « ti-lézards », autant que lorsqu’elles aperçoivent une araignée ou une souris, et il est vrai qu’elles monteraient sur une chaise alors qu’on prononce seulement le mot qui désigne cet inocent reptile !

Louis n’entendait rien, bien sûr : Il était en train de s’occuper de ses varagnes ou des rangées de ses cloches à melons, là-bas, derrière les tamarins. À moins qu’il ne fût occupé à planter des pins. 

Mais non … Aujourd’hui ce n’est pas cela : En ce moment même il traverse un étier, de l’eau jusqu’au ras des bottes et, se baissant, il ramasse deux sarcelles … Vous n’aviez pas entendu son coup de fusil ?


























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