GARGANTUA EN
OLERON
“L’an 1553, François Rabelais, de Chinon, mourut en la paroisse de Saint-Paul, à Paris, où il est inhumé et où il s’était fait apporter, malade, de la cure de Meudon. Il avait été Cordelier, puis se fit Médecin, et enfin devint Curé. Il rendit son esprit en raillant, comme il avait passé sa vie en raillerie. Chacun sçait quels sont ses escripts.”
(épitaphier de l’église Saint-Paul)
***
Le seizième siècle n’avait pas de pétrole ... Mais il avait des
jambes ! On signale la présence, ou le passage de celui qui se disait “Maître
Alcofrybas”, en Vendée, bien sûr, où il séjourna longuement, moine en l’Abbaye
de Fontenay-le-Comte puis en celle de Maillezais.
On voyageait très souvent à l’époque, en montant dans les
coches, qu’ils fussent coches d’eau ou voitures traînées par des chevaux de
poste. On chevauchait aussi et enfin on cheminait à pied, s’arrêtant au hasard
des rencontres.
François Rabelais usa-t-il les semelles de ses chaussures sur
les cailloux des chemins ou le fond de sa culotte sur les sièges bringuebalants
des voitures et le dos des chevaux ?
En tout cas, il avait nettement la bougeotte puisqu’on affirme
l’avoir vu à Paris, à Saint-Maur-des-Fossés où il fut moine encore, mais cette
fois-ci bénédictin, à Metz, à Rome et à Turin, à Montpellier où il reçut ses
grades de médecin,à Tarare,, Chambéry, Lyon, Aigues-mortes , que sais-je encore
!
Diable d’homme ! Et quand je parle d’un diable d’homme, je ne fais aucunement ici allusion pernicieuse aux lettres qu’il envoya de Lyon à Rome, lesquelles furent saisies et lui valurent, le 10 août 1537 une assignation à résidence par le Cardinal de Tournon, rien de moins ! Je ne fais, non plus, aucune allusion encore plus pernicieuse à l’insciption de Pantagruel sur une liste de livres coupables d’obscénité, car, en cette matière on a, depuis, fait beaucoup mieux ! Je ne fais pas allusion à la paternité de François Rabelais qui, par autorisation spéciale du Pape Paul III, légitime le 9 janvier 1540 ses deux enfants, François et Junie .... (Il ne s’agit sans doute que du résultat des exercices d’application auxquels a pu se livrer Maître Alcofrybras après avoir écrit l’ouvrage sus-dit ? ) .....
C’est à la fois à des voyages et à des paternités que nous nous
intéresserons puisque c’est de Gargantua que nous entendons parler ce jour.
Comme chacun sait, Gargantua était fils de Grandgousier et de
Gargamelle.
...... “Le bon homme Grandgousier beuvant, et se rigollant
avecques les aultres entendit le cry horrible que son filz avait faict entrant
en la lumière de ce monde, quand il brasmait demandant, “à boyre, à boyre, à
boyre”, dont il dist, “ Que grand tu as le gousier” ! Ce que oyans les
assistans , dirent que vrayement il devait avoir par ce le nom Gargantua, puis
que telle avoit été la première parolle de son père à sa naissance ...”
Je n’ai pas voulu prendre la peine de traduire le passage
ci-dessus, qui donne nom à notre héros. Aussi bien est-il aisément compréhensible,
il me semble. Et aussi bien aurais-je été plus justement conduit à le traduire
en parler d’Oleron, puisque c’est à propos d’Oleron que j’évoquerai le bon
géant que “dix et sept mille neuf cent treize vaches de Pautille et de
Bréhemond “ allaitèrent à sa naissance. Il faudrait ajouter les barriques et
les pichets de vin qu’il but ensuite, mais là, je n’ai pas poursuivi mes
recherches dans les parchemins, encore que les comptes en fussent fort bien
tenus.
Maillezais , ni Fontenay-le-Comte ne sont très éloignés de l’île d’Oleron qui nous intéresse ici. On pourrait rappeler que Gargantua ( Je ne me souviens pas en quelle occasion), posait ses pieds, les deux jambes écartées, sur chacune des tours de l’entrée du port de La Rochelle ... Ah ! Si, il m’en souvient très bien : Il pissait dans l’océan, comme, plus tard il se plantera en haut des tours de Notre-Dame pour pisser sur Paris , ( “et les caniveaux de déborder et les badauds qui furent sauvés furent été obligés de nager en ce torrent “...!
“ ... Il en noya deux cent soixante mille, quatre cent dix huit.
Sans les femmes et petitz enfants.” Dans le port de La Rochelle, sans aucun
doute y eût-il de nombreux naufrages et beaucoup de chambardements ...On parle
aussi de Niort, mais il me faudrait rechercher ce qu’il pouvait bien faire en
cette bonne ville ...
François Rabelais lui-même chemina tellement qu’il n’est point
étonnant outre-mesure que Gargantua fît de même ... N’était-il pas, en quelque
sorte le petit-fils de maître François, par son père Grandgousier qui, lui,
n’était autre que le “fils” de Rabelais ? En tout cas, Gargantua, par ses
malices et par ses excès de tous genres, a laissé des traces dans un grand
nombre de provinces françaises et d’outre frontières ! C’est tout juste, et encore
je n’en jurerais pas, si l’on n’en parle pas outre-mer.
Il me faut ici faire diversion quelque peu. C’est nécessaire à
la compréhension de mon récit, pour autant que je m’exprime de manière
compréhensible et en bon langage commun.
D’aucuns ont prétendu que le nom de notre géant dérivait de
vocables celtes. Je n’aurai pas la prétention d’aller là contre, mais je dois
cependant rapporter ce que je lus, un matin, dans les archives de la très docte
Société de Géographie de Rochefort-sur Mer. Outre qu’il me serait pénible de
mettre en doute telles affirmations d’un société si savante, les affirmations
contenues dans cette communication me semblent mériter qu’on les considère ...
Son auteur affirme en effet que, pendant la période d’occupation
romaine, l’île d’Oleron était dénommée “Antua”. On ne peut s’empêcher de faire
le rapprochement avec le nom d’un géant, Antée, fils de Poséïdon et de Gaïa
respectivement dieu des océans et déesse de la terre. C’est de mythologie
grecque qu’il s’agit mais les Grecs n’étaient-ils pas les plus grands
navigateurs de l’époque ? Notre auteur poursuit en évoquant les vocables qui
contiennent en notre langue française le phonème “garg” : gargoulette,
gargouille, gargouillis, gargote, gargouillement, gargariser, gargarisme,
gargoine, gargouillage ... Faisant observer qu’il s’agit toujours de parler
d’objets ou d’actions communément accompagnés du même bruit de gorge, il
cherchera ce qui, dans les parages d’Oleron, pouvait bien induire ce genre de
bruit.
Il trouvera, faisant remarquer au préalable que le pertuis de
Maumusson n’existait pas dans la période du Haut-Moyen-Âge : Puisque ce pertuis
n’était pas ouvert, le fleuve que l’on appelle La Seudre et qui est une
bénédiction pour l’ostréiculture s’écoulait dans le coureau d’Oleron et ses
eaux y rencontraient celles de la Charente avant d’emprunter le pertuis
d’Antioche.
Je ne suis point si savant que j’aille m’aventurer à contredire
cette thèse, laquelle, par ailleurs, me semble fort raisonnable. Le courant
engendré par La Seudre rencontrait celui de la Charente à l’endroit que l’on
appelle maintenant “La Tour de Juliard”. Il y a là un rocher sur lequel la dite
tour a été édifiée pour le plus grand bénéfice des navigateurs. Et croyez moi :
La rencontre des eaux devait en faire un sacré “gargouillement” ! Si Pierre
Loti évoque, bien plus tard, les “affreux” grondements de l’actuel pertuis de
Maumusson, ce devait être bien autre chose à la Tour de Juliard ! ( en toute
confidence, celui qui saurait qui peut bien être ce Juliard, me ferait plaisir
en me le disant ... Faut-il songer à Jules César ? )
Et voilà, nous avons trouvé la clef ! - Gargantua porte un nom
Oleronnais ! C’est en effet du bruit des vagues dans le coureau d’Antua que
l’on a tiré son nom !
Je ne sais si vous êtes là convaincu comme je le suis mais
d’autres observations vous y méneront.
Je sais bien que les géants marchent à grands pas. On raconte
que, pour échapper à des chiens qui lui mordaient les talons, Gargantua, d’un
seul pas sauta sur le clocher de Luçon. Il passa ensuite de celui-ci au clocher
de Fontenay, puis , et toujours d’un seul pas il atteignit le clocher de Niort
! De telles enjambées permettent de faire du chemin ! Il faut y croire,
d’ailleurs, puisqu’on relève le passage de Gargantua dans presque toutes les
régions de France.
Particulièrement, il avait pour plaisante habitude d’emplir ses
poches de gros cailloux qui ne sont autres que des menhirs et des dolmens ...
Que voulez-vous,à chacun ses enfantillages, sa manie, à lui, c’était de jouer
au palet ! On relève donc son passage à peu près partout où il y a des dolmens
et des menhirs, et même parfois là où il y a de grosses pierres qui n’ont
aucune authenticité celtique !
Je ne prétendrai pas à l’exhaustivité, aucunement, mais j’ai
relevé son passage, signalé par des mégalithes, dans le Bas-Poitou bien sûr,
mais aussi près de Flers, dans l’Orne, près des Andelys et donc au bord de la
Seine, à Jumièges, à Ambérac où il but toute l’eau de la fontaine et assécha
complètement celle-ci, dans l’Yonne, près de Montholon, dans le Val d’Oise où
il jouait aux palets ( et il en laissa sur place ), on parle même du mont
Ventoux, sur lequel il se serait assis, et pourquoi pas ? J’arrêterai là cette
énumération pour revenir en Oleron qui, en ce temps là était bel et bien une
île ... Nous avons vu que c’était d’elle qu’il tirait son nom.
Mais il y a plus : En Oleron, on trouve un “palet de Gargantua”
( on peut le voir encore du côté d’Ors, c’est incontestable ! ) et notre géant
laissa choir sa cuiller à Saint Gilles où elle se trouve encore de nos jours (
après avoir quelque peu voyagé, mais cela c’est une autre histoire et ce qui
importe c’est qu’elle soit revenue ) La “cuiller à Gargantua, elle est bien là,
vous pouvez la voir et la toucher, c’est incontestable.
Voici donc des arguments qui m’ont convaincu et qui ne peuvent
que vous convaincre vous-aussi. Bien mécréant celui qui s’aventurerait là
contre ...! Il faut y croire.
Mais j’arrive à la meilleure partie de mon histoire. Suivez moi
bien car elle apporte la preuve définitive que Gargantua est bien de chez nous
alors que chacun voudrait en faire un citoyen de sa propre région. On peut
supposer qu’il en est de même pour ses parents, Grandgousier et Gargamelle et
de même encore pour son fils Pantagruel, tous de la même famille qui est celle
de François Rabelais, lequel publia cette histoire vraisemblablement au cours
du premier trimestre de l’an mille cinq cent trente cinq si l’on en croit les
documents d’archives.
La rumeur vint jusqu’aux oreilles de Gargantua, lequel était depuis peu de retour d’une expédition contre Picrochole, que les oleronnais et les gens de Marennes, tous armés d’épées de bon acier et de hallebardes, étaient pêts à en venir aux mains. On disait même que leurs mégères avaient saisi leurs longues cuillères à pot, les lardoires et les écumoirs et que les enfants étaient armés des bâtons avec lesquels ils gardaient les oies.
Gargantua, sans aucune hésitation enfourcha sa bonne jument. On
se souvient qu’elle était de belle taille ! N’avait-elle pas, à coups des crins
de sa queue, en voulant chasser les mouches et les frelons, abattu tous les
arbres de la forêt d’Orléans!
C’est dire s’il fut promptement en Basse Saintonge! Il siègea
en justice dès son arrivée. Il s’était installé en terrain neutre, c’est à dire
à peu près neutre puisqu’il siégea du côté de La Tremblade ... Et je ne suis
pas loin de penser que le nom de ce lieu a quelque chose à voir avec les
ébranlements du sol que causèrent les pieds de la jument ... ou bien avec la
frayeur que le géant causa aux villageois !
Il s’enquit de l’objet de la dispute : Les Oleronnais ne
voulaient entendre parler que des huîtres vertes tandis que les gens de
Marennes n’appréciaient que les huîtres laiteuses, dont la chair est bien
blanche.
Du côté de Marennes on faisait ressortir que, en ce qui concerne les huîtres laiteuses, la chair emplit la coquille alors que ce n’est pas le cas pour les huîtres vertes. On aurait pu laisser dire et laisser faire chacun de son côté comme bon lui semblait, mais les Oleronnais arguaient, et on ne trouvait rien à leur répondre que toutes les huîtres portant le label “Marennes-Oléron “ il convenait que l’on se mît d’ accord, faute de quoi, seules les armes devaient avoir raison ! Le ton montait très vite, plusieurs étant, comme on dit “pleins comme des huîtres”.
Gargantua trouva rapidement la solution et lorsqu’il l’eût
énoncée et ordonné sa transcription sur parchemin dûement cacheté , signé et
apostillé, il l’énonça à haute, claire et forte voix :
"Nous, Gargantua, fils de Grandgousier et de Gargamelle, après
avoir écouté les doléances et prétentions des parties, arrêtons ce qui suit et
entendons que chacun des paragraphes de cet arrêté soit respecté jusqu’à ce
qu’un autre arrêté vienne en modifier la teneur .
1°- Les huîtres provenant des élevages de Marennes, de La Tremblade et d’Oleron continueront à être commercialisées sous la dénomination unique “HUÎTRES DE MARENNES-OLERON.
2° Les huîtres de Marennes-Oleron pourront être des huîtres
plates ou des huîtres creuses, des huîtres portugaises ou des huîtres
japonaises, des huîtres vertes ou des huîtres laiteuses.
3° Seules les huîtres ayant séjourné au moins douze mois dans
les claires du dit bassin de Marennes-Oleron auront droit à l’appellation et au
logo qui la représente.
4° Pour mettre d’accord les partisans des huîtres vertes et ceux
des huîtres laiteuses, les laboratoires de la Province seront chargés
d’orienter leurs recherches vers la production d’huîtres “TRIPLOÏDES”
lesquelles présenteront la particularité de toujours être vertes sans jamais
devenir laiteuses mais de toujours être pleines et charnues.
5° Les huîtres triploïdes seront vendues plus cher que les
autres.
6° Il sera interdit à qui que ce soit, fût-il Marennais ou
Oleronnais de contester le présent arrêté et par ailleurs de faire tremper ses
huîtres, quelque particularité qu’elles eussent, en d’autres endroits que dans
des claires dûement autorisées.
7° Il est bien entendu que, suivant la coutume, dont nous
estimons qu’elle doit perdurer, les huîtres doivent être vendues selon le
principe “ TREIZE À LA DOUZAINE”.
Il ne se fiait pas trop aux Oleronnais, pas plus d’ailleurs aux
gens de Marennes,alors, afin d’éviter toute bataille à l’avenir, pesant sur
chacun de ses pieds, Gargantua écarta légèrement les jambes. L’effet de cet
écartement fut la séparation de l’île d’Oleron et du continent. Le bras de mer
qui les sépare a été nommé pertuis. Il s’appelle toujours le Pertuis de
Maumusson. Comme on dit qu’ “en tout pertuis, le renard se faufile”, le courant
de la Seudre, passant par devant La Tremblade s’est, depuis, faufilé dans le
Pertuis de Maumusson. Il ne se heurte plus au courant de la Charente à la Tour
de Juliard, mais c’est en ce pertuis qu’il faut entendre, depuis, les
“gargouillements rageurs de l’île d’ Antua” ! Pierre Loti l’a écrit. Il est
affirmatif .... avec quelque peu d’emphase, mais on connaît ses habitudes ...
Quant au Palet et à la Cuillère à Gargantua, on peut les voir encore
aujourd’hui en Oleron !
Preuve que tout ce que je vous ai raconté ne relève que de la
pure vérité ... Comme à mon habitude ! ... Et qui le contesterait, qu’il soit
puni comme il convient !
"OLERONNADES"
MICHEL SAVATIER
ÉDITIONS : LE CROÎT - VIF
"OLERONNADES"
MICHEL SAVATIER
ÉDITIONS : LE CROÎT - VIF
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