BONNE
PÊCHE !
« Ah, Monsieur ! Il était là ! –
J’ai mis le pied dessus … Je ne le voyais pas : Il était posé contre le
fond,. Il s’était soigneusement enfoncé dans le sable : C’est ainsi qu’ils font, les anges de
mer … Chez nous, on les appelle des « bourgets » ou encore des
« bourgeois ». On n’en voit plus, maintenant … Ils ont pratiquement
disparu de nos parages.
Il a une gueule grande comme ça !
Il mesure près de deux mètres de long ! Il est brun, avec des taches plus
foncées sur le dos. Un poisson d’enfer ! C’est le diable qui, seul, peut
l’avoir conçu ! Et pourtant, en bon français, on dit que c’est un ange de mer
… D’un coup de queue, il vous flanque par terre ou il vous casse la jambe … Je
ne sais pas ce qu’il pourrait vous faire si ses dents arrivaient à accrocher
l’une de vos mains »…
Par les grandes marées de sysygies, en plein
mois d’août surtout, il n’était pas rare d’en trouver un, caché dans le sable,
au milieu d’une « casse », c’est-à-dire au milieu d’une grande flaque
d’eau laissée par la mer en se retirant. L’eau est chaude dans une casse … Il
semble que le bourget aime beaucoup les eaux tièdes. –« Vous savez, les
anges de mer … Ou plutôt les bourgets … Ce sont des poissons qui s’ensablent
toujours, à plat sur le fond : Ils restent immobiles et ils attendent
qu’une proie passe à la portée de leur gueule … Ils se nourrissent de raies, de
crustacés, de mollusques »…
« Au beau moment de la marée basse, tout à
coup vous entendiez un pêcheur à la foëne qui hurlait ; - « Au
bourgeois ! » - On savait ce que cela voulait dire : Tous les
pêcheurs du voisinage accouraient pour aider à la capture … Parce que, comme je
vous l’ai dit : Un bourgeois, ça donne de ces coups de queue ! Pour
le maîtriser, il fallait être plusieurs … Ces poissons-là, ça peut bien peser
trente à quarante kilos ! Ce sont des requins, en fait … des cousins des
requins, mais ils sont tout plats : des requins plats, c’est bien ça …
Mais des requins tout de même. D’ailleurs ils pondent des œufs … des œufs qui
ressemblent à des petits coussins noirs, que l’on dirait en matière plastique …
Comme les raies … Les raies qui sont aussi de proches cousines des
requins ».
« En tout cas, moi, quand j’ai mis le pied
dessus, le bourgeois a donné un de
ces coups de queue ! … Le bonhomme a chu en arrière … Va ! les quatre
fers en l’air et le cul dans l’eau, avec la corbeille, l’espiot’ et la foëne …
J’ai gueulé : « Au bourgeois !» de toutes les forces de mes
poumons et c’est Alphonse Monteau, des Boulassiers, qui est venu m’aider … On
l’a eu, le bourgeois ! Il pesait trente-deux kilos ! La patronne l’a
cuisiné et servi pour le repas des vendanges ».
« Des raies, on en voyait beaucoup
.. . Surtout celles que l’on appelle des taires … Celles-là, elles sont
noires de peau. Il y en avait partout. On en prenait dans les filets, dans les
tramails que l’on posait pour les soles. Une vraie plaie ! Elles s’entortillaient la queue dans
les mailles des trois trames du filet et pour les sortir de là … ! Il
fallait d’abord leur couper la queue parce que, à la naissance de la queue,
elles possèdent un aiguillon, parfois double, parfois triple … Un aiguillon
dentelé, cassant ; Si vous vous piquiez avec ça, l’aiguillon cassait dans
la plaie et … Pour l’en sortir ! … D’autant que cet aiguillon, il a les
bords dentelés ! des taires, j’en ai vu d’énormes … Au fond, la taire,
c’est ce qu’on appelle la pastenague, en Méditerranée. Un jour j’en ai vu une
qui devait bien peser cinquante kilos … Je n’ai pas pu la peser, parce que je
n’ai pas pu la prendre : Elle nageait à la surface, dans l’intérieur des
écluses que l’on appelle les Blanchardières, vers le Douhet. Elle s’était fait
coincer dans le piège à poissons. Normalement, la mer, en se retirant, aurait
dû la laisser au sec … J’aurais pu la prendre … Mais le coefficient de la marée
était trop faible … Les écluses ne
se sont pas vidées. Elle était là, elle se cognait le nez contre les murs, elle
agitait ses grandes ailes de papillon géant. Elle tournait en rond, passait
juste à côté de moi puis s’éloignait … Je suis resté une demi-heure à la
regarder et puis … Et puis la mer est montée et quand le niveau de l’eau s’est
élevé
au-dessus
des murs … Elle est partie … Partie je ne sais où … C’était un spectacle
magnifique ! »
« Il y a les raies bouclées. Il y a celles que
l’on appelle, chez nous, les raies « pissouses » parce qu’elles
sentent vite l’ammoniaque, si on ne les mange pas assez fraîches ».
« Les raies bouclées, elles, peuvent aussi
devenir assez grosses : Fleury, l’ancien éclusier du Douhet, savait bien
les attraper, en tendant des lignes dormantes, avec une dizaine de gros
hameçons boëtés avec de tronçons d’anguilles ou de congres … Les raies, toutes
les raies, ont une bouche qui se
trouve du côté du ventre, contre le sol, au fond de la mer … Elles broient les
coquilles des huîtres et des moules pour se nourrir de leur chair. Elles n’ont
pas de dents, mais leurs mâchoires sont équipées de sortes de meules capables
de broyer n’importe quelle coquille ».
« Les taires et les raies bouclées, si on les
mange quand elles sont trop fraîches, la chair est dure. Alors, on les montait
en haut d’un mât, au-dessus du toit de la maison, pour qu’elles sèchent un
moment, assez haut pour que les mouches ne les atteignent pas. Mais le poisson
que l’on perchait ainsi le plus souvent, c’était le tremble … La torpille
quoi ! Vous savez bien … On l’appelle aussi le lapin de mer parce que,
vraiment, on le cuisine comme le lapin : fricassé à la poêle . c’est très
bon, le tremble … C’est le poisson électrique … Quand vous le touchez, il vous
envoie une décharge d’électricité dans le corps. C’est toute une acrobatie
qu’il faut faire quand on en pique un à la foëne : Il faut pouvoir le
mettre dans la corbeille, derrière son dos, sans le toucher ! … On fait
cela en s’aidant de son espiot’ … Encore faut-il ne pas toucher le fer de
l’espiot’ ! … Mais au fait, une foëne et un espiot’’, vous ne savez
peut–être pas ce que c’est .. . La foëne, ou « fouine », c’est
un trident dont on se sert pour piquer dans le sable afin de pêcher les
poissons plats, particulièrement les soles. L’espiot’ c’est une sorte de sabre
en fer forgé, à poignée de bois … On s’en sert pour retourner les roches afin
de pêcher les crabes et on s’en sert aussi pour tuer les poissons. »
« Bon … Les bourgeois, les raies, les trembles,
encore appelés « torpilles », les taires … Ce sont tous des poissons
plats, de la famille des requins … Venons-en aux véritables requins … car il y
a de véritables requins chez nous … Tout ce qu’il y a de requins ! »
« De mon temps … Comme disent
les vieux
… De mon temps, un restaurant n’aurait jamais affiché le
« requin » à son menu … Pas plus que le marchand de poisson, au
marché de Saint-Pierre. Le mot aurait effrayé les consommateurs … Des
requins ! … Il y aurait des requins dans l’île d’Oléron ! … Eh bien,
oui, il y en a ! De nos jours, on n’hésite plus à mentionner ce nom sur
les étiquettes et sur les menus . Aujourd’hui, à la fête de La Cotinière,
on vous servira du requin ! »
« Peau bleue », « chien de mer »,
« touille » … Tout ça, c’est de la même famille … Tout ça c’est des
requins … Et on les mange … Et c’est très bon ! »
« Autrefois, on les pêchait à la ligne de fond,
comme les raies et les taires, en appâtant avec des tronçons de congre … On
posait les lignes à marée basse. On revenait ramasser le poisson à la marée
suivante, même en pleine nuit ».
« Une nuit, j’en ai pêché deux à la fois …
Dans un filet volant … Vous ne savez pas ce que c’est qu’un filet volant ?
– C’est un filet qui n’a qu’une seule trame, qui est plombé juste assez pour
tenir droit dans l’eau, mais ce filet est attaché à une seule extrémité : Il
tourne avec les courants de marée et la ligne de ses bouchons flotte à la
surface. J’avais donc posé vers la plage de Plaisance un filet de nylon de
cinquante mètres. C’était l’époque où les filets de nylon étaient assez rares
encore … On utilisait plutôt les filets de coton, mais le coton imbibé d’eau de
mer, c’est lourd le diable … Et puis, le sel et le soleil brûlent vite les fils
de coton ! »
« J’avais donc posé ce filet sur un banc de sable
… Je viens le relever en pleine nuit … Il y avait deux touilles là-dedans !
Deux touilles qui devaient peser chacun vingt-cinq kilos au moins ! Ils
étaient venus se cogner le nez dans les mailles et s’y étaient entortillé la
queue … »
« J’étais seul … Il a fallu que les traîne , l’un
après l’autre, en les tirant par la queue. Je les ai traînés jusqu’au pied de
la jetée du port du Douhet … Pas question que j’aille chercher de l’aide :
J’étais trop fier de mes prises ! … Je suis allé les vendre à Lucien
Rivasseau, le marchand de poisson de Saint Pierre. Tout autour de moi, dans ma
famille, j’étais devenu le héros … Pour quelques jours ! … Mais on parle
encore du « jour où Michel a pêché deux touilles » !
« Bien sûr, bien sûr … Les temps ont changé … Les
poissons se sont faits rares, les touristes plus nombreux … Maintenant, on élève
les poissons, dans de grands bacs en matière plastique … À la ferme marine du
Douhet … On les fait naître … Et puis on les vend aux stations d’élevage, tout
autour du monde … Quant à aller aujourd’hui à la pêche à la foëne, à la pêche à
l’espiot’, à la pêche aux filets volants ou aux filets dormants … »
« Mais vrai … j’ai vécu ! J’ai vécu de
fortes sensations sur les rochers et sur les sables qui vont de Plaisance
jusqu’à Saint-Denis d’Oléron ! »
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