samedi 3 août 2013

BONNE PÊCHE !









BONNE PÊCHE !






« Ah, Monsieur ! Il était là ! – J’ai mis le pied dessus … Je ne le voyais pas : Il était posé contre le fond,. Il s’était soigneusement enfoncé dans le sable :  C’est ainsi qu’ils font, les anges de mer … Chez nous, on les appelle des « bourgets » ou encore des « bourgeois ». On n’en voit plus, maintenant … Ils ont pratiquement disparu de nos parages.

         Il a une gueule grande comme ça ! Il mesure près de deux mètres de long ! Il est brun, avec des taches plus foncées sur le dos. Un poisson d’enfer ! C’est le diable qui, seul, peut l’avoir conçu ! Et pourtant, en bon français, on dit que c’est un ange de mer … D’un coup de queue, il vous flanque par terre ou il vous casse la jambe … Je ne sais pas ce qu’il pourrait vous faire si ses dents arrivaient à accrocher l’une de vos mains »…

Par les grandes marées de sysygies, en plein mois d’août surtout, il n’était pas rare d’en trouver un, caché dans le sable, au milieu d’une « casse », c’est-à-dire au milieu d’une grande flaque d’eau laissée par la mer en se retirant. L’eau est chaude dans une casse … Il semble que le bourget aime beaucoup les eaux tièdes. –« Vous savez, les anges de mer … Ou plutôt les bourgets … Ce sont des poissons qui s’ensablent toujours, à plat sur le fond : Ils restent immobiles et ils attendent qu’une proie passe à la portée de leur gueule … Ils se nourrissent de raies, de crustacés, de mollusques »…

« Au beau moment de la marée basse, tout à coup vous entendiez un pêcheur à la foëne qui hurlait ; - «  Au bourgeois ! » - On savait ce que cela voulait dire : Tous les pêcheurs du voisinage accouraient pour aider à la capture … Parce que, comme je vous l’ai dit : Un bourgeois, ça donne de ces coups de queue ! Pour le maîtriser, il fallait être plusieurs … Ces poissons-là, ça peut bien peser trente à quarante kilos ! Ce sont des requins, en fait … des cousins des requins, mais ils sont tout plats : des requins plats, c’est bien ça … Mais des requins tout de même. D’ailleurs ils pondent des œufs … des œufs qui ressemblent à des petits coussins noirs, que l’on dirait en matière plastique … Comme les raies … Les raies qui sont aussi de proches cousines des requins ».
« En tout cas, moi, quand j’ai mis le pied dessus, le bourgeois  a donné un de ces coups de queue ! … Le bonhomme a chu en arrière … Va ! les quatre fers en l’air et le cul dans l’eau, avec la corbeille, l’espiot’ et la foëne … J’ai gueulé : « Au bourgeois !» de toutes les forces de mes poumons et c’est Alphonse Monteau, des Boulassiers, qui est venu m’aider … On l’a eu, le bourgeois ! Il pesait trente-deux kilos ! La patronne l’a cuisiné et servi pour le repas des vendanges ».

                                                          



« Des raies, on en voyait beaucoup .. . Surtout celles que l’on appelle des taires … Celles-là, elles sont noires de peau. Il y en avait partout. On en prenait dans les filets, dans les tramails que l’on posait pour les soles. Une vraie plaie !  Elles s’entortillaient la queue dans les mailles des trois trames du filet et pour les sortir de là … ! Il fallait d’abord leur couper la queue parce que, à la naissance de la queue, elles possèdent un aiguillon, parfois double, parfois triple … Un aiguillon dentelé, cassant ; Si vous vous piquiez avec ça, l’aiguillon cassait dans la plaie et … Pour l’en sortir ! … D’autant que cet aiguillon, il a les bords dentelés ! des taires, j’en ai vu d’énormes … Au fond, la taire, c’est ce qu’on appelle la pastenague, en Méditerranée. Un jour j’en ai vu une qui devait bien peser cinquante kilos … Je n’ai pas pu la peser, parce que je n’ai pas pu la prendre : Elle nageait à la surface, dans l’intérieur des écluses que l’on appelle les Blanchardières, vers le Douhet. Elle s’était fait coincer dans le piège à poissons. Normalement, la mer, en se retirant, aurait dû la laisser au sec … J’aurais pu la prendre … Mais le coefficient de la marée était trop faible  … Les écluses ne se sont pas vidées. Elle était là, elle se cognait le nez contre les murs, elle agitait ses grandes ailes de papillon géant. Elle tournait en rond, passait juste à côté de moi puis s’éloignait … Je suis resté une demi-heure à la regarder et puis … Et puis la mer est montée et quand le niveau de l’eau s’est élevé
au-dessus des murs … Elle est partie … Partie je ne sais où … C’était un spectacle magnifique ! »

« Il y a les raies bouclées. Il y a celles que l’on appelle, chez nous, les raies « pissouses » parce qu’elles sentent vite l’ammoniaque, si on ne les mange pas assez fraîches ».

« Les raies bouclées, elles, peuvent aussi devenir assez grosses : Fleury, l’ancien éclusier du Douhet, savait bien les attraper, en tendant des lignes dormantes, avec une dizaine de gros hameçons boëtés avec de tronçons d’anguilles ou de congres … Les raies, toutes les raies,  ont une bouche qui se trouve du côté du ventre, contre le sol, au fond de la mer … Elles broient les coquilles des huîtres et des moules pour se nourrir de leur chair. Elles n’ont pas de dents, mais leurs mâchoires sont équipées de sortes de meules capables de broyer n’importe quelle coquille ».

« Les taires et les raies bouclées, si on les mange quand elles sont trop fraîches, la chair est dure. Alors, on les montait en haut d’un mât, au-dessus du toit de la maison, pour qu’elles sèchent un moment, assez haut pour que les mouches ne les atteignent pas. Mais le poisson que l’on perchait ainsi le plus souvent, c’était le tremble … La torpille quoi ! Vous savez bien … On l’appelle aussi le lapin de mer parce que, vraiment, on le cuisine comme le lapin : fricassé à la poêle . c’est très bon, le tremble … C’est le poisson électrique … Quand vous le touchez, il vous envoie une décharge d’électricité dans le corps. C’est toute une acrobatie qu’il faut faire quand on en pique un à la foëne : Il faut pouvoir le mettre dans la corbeille, derrière son dos, sans le toucher ! … On fait cela en s’aidant de son espiot’ … Encore faut-il ne pas toucher le fer de l’espiot’ ! … Mais au fait, une foëne et un espiot’’, vous ne savez peut–être pas ce que c’est .. . La foëne, ou « fouine », c’est un trident dont on se sert pour piquer dans le sable afin de pêcher les poissons plats, particulièrement les soles. L’espiot’ c’est une sorte de sabre en fer forgé, à poignée de bois … On s’en sert pour retourner les roches afin de pêcher les crabes et on s’en sert aussi pour tuer les poissons. »
   
                                                          


« Bon … Les bourgeois, les raies, les trembles, encore appelés « torpilles », les taires … Ce sont tous des poissons plats, de la famille des requins … Venons-en aux véritables requins … car il y a de véritables requins chez nous … Tout ce qu’il y a de requins ! »

« De mon temps    Comme disent les vieux
 … De mon temps, un restaurant  n’aurait jamais affiché le « requin » à son menu … Pas plus que le marchand de poisson, au marché de Saint-Pierre. Le mot aurait effrayé les consommateurs … Des requins ! … Il y aurait des requins dans l’île d’Oléron ! … Eh bien, oui, il y en a ! De nos jours, on n’hésite plus à mentionner ce nom sur les étiquettes et sur les menus . Aujourd’hui, à la fête de La Cotinière, on vous servira du requin ! »


« Peau bleue », « chien de mer », « touille » … Tout ça, c’est de la même famille … Tout ça c’est des requins … Et on les mange … Et c’est très bon ! »

« Autrefois, on les pêchait à la ligne de fond, comme les raies et les taires, en appâtant avec des tronçons de congre … On posait les lignes à marée basse. On revenait ramasser le poisson à la marée suivante, même en pleine nuit ».

« Une nuit, j’en ai pêché deux à la fois  … Dans un filet volant … Vous ne savez pas ce que c’est qu’un filet volant ? – C’est un filet qui n’a qu’une seule trame, qui est plombé juste assez pour tenir droit dans l’eau, mais ce filet est attaché à une seule extrémité : Il tourne avec les courants de marée et la ligne de ses bouchons flotte à la surface. J’avais donc posé vers la plage de Plaisance un filet de nylon de cinquante mètres. C’était l’époque où les filets de nylon étaient assez rares encore … On utilisait plutôt les filets de coton, mais le coton imbibé d’eau de mer, c’est lourd le diable … Et puis, le sel et le soleil brûlent vite les fils de coton ! »

« J’avais donc posé ce filet sur un banc de sable … Je viens le relever en pleine nuit … Il y avait deux touilles là-dedans ! Deux touilles qui devaient peser chacun vingt-cinq kilos au moins ! Ils étaient venus se cogner le nez dans les mailles et s’y étaient entortillé la queue … »

« J’étais seul … Il a fallu que les traîne , l’un après l’autre, en les tirant par la queue. Je les ai traînés jusqu’au pied de la jetée du port du Douhet … Pas question que j’aille chercher de l’aide : J’étais trop fier de mes prises ! … Je suis allé les vendre à Lucien Rivasseau, le marchand de poisson de Saint Pierre. Tout autour de moi, dans ma famille, j’étais devenu le héros … Pour quelques jours ! … Mais on parle encore du  « jour où Michel a pêché deux touilles » !
                                                        


« Bien sûr, bien sûr … Les temps ont changé … Les poissons se sont faits rares, les touristes plus nombreux … Maintenant, on élève les poissons, dans de grands bacs en matière plastique … À la ferme marine du Douhet … On les fait naître … Et puis on les vend aux stations d’élevage, tout autour du monde … Quant à aller aujourd’hui à la pêche à la foëne, à la pêche à l’espiot’, à la pêche aux filets volants ou aux filets dormants … »

« Mais vrai … j’ai vécu ! J’ai vécu de fortes sensations sur les rochers et sur les sables qui vont de Plaisance jusqu’à Saint-Denis d’Oléron ! »



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