LES TOURTERELLES
On les appelle des « tourtes », en Oléron.
Il y en a toujours eu beaucoup et les chasseurs ne leur ont jamais fait trop de
mal … Oh ! La flûte monotone, la plainte, la lamentation de la
tourterelle, douce, douce !
J’avais souvenir
d’une histoire que racontait mon père : C’était aux alentours de mille
neuf cent quarante deux et c’était au Maroc … Très précisément dans le Sud
d’Agadir … Mon père était officier de marine, dans l’aéronavale. Il était
lieutenant de vaisseau à l’époque et se trouvait être le commandant en second
d’une base qui construisait la première piste d’atterrissage du Sud marocain.
Le commandant, qui s’appelait Lucas, devait, lui, avoir cinq galons panachés.
Il y avait un
petit kilomètre entre la base et la maison que nous habitions ... Voilà qu’un
jour, revenant à pied, les deux officiers aperçoivent un nid de tourterelles
dans un bigaradier … Et voici mon
père qui laisse sa casquette entre les mains du commandant Lucas … Le temps de
grimper dans l’arbre pour dénicher les jeunes oiseaux ! Il les passe à son
commandant … Qui les met dans la casquette … Le tout devant la guérite du
factionnaire, que l’on devine impassible face aux acrobaties des deux officiers
en uniforme !
Quand nous
passions nos vacances au Douhet, il y avait beaucoup de tourterelles, mais ce
n’étaient pas les mêmes que celles que l’on peut voir maintenant. Elles étaient
plus foncées, leur plumage semblait tuilé, un peu roux. C’étaient des
tourterelles des bois, paraît-il et elles migraient, comme les palombes. Elles
restaient chez nous tout l’été, faisant souvent deux couvées avant de repartir
je ne savais où … Je crois qu’elles franchissaient les Pyrénées, comme les
palombes, et qu’elles allaient passer l’hiver … en Afrique du Nord … Jusqu’au
Maroc !
Encore un
changement pour les populations d’oiseaux : Maintenant, il y a des
tourterelles partout, mais elles ont le plumage beaucoup plus clair, un collier
autour du cou … Ce sont, me dit-on, des tourterelles Turques … Sacrés
Turcs ! … Ils nous ont envoyé leurs oiseaux et les nôtres ne viennent
plus ! … Si, on voit encore des tourterelles des bois … un peu …mais un
peu seulement. Quant aux tourterelles turques, elles ont même envahi les
villes !
Quand nous
étions des adolescents encore, nous faisions de fréquentes expéditions vers les
bois de la Malentreprise pour y ramasser du bois mort avec lequel notre mère
alimentait le fourneau de sa cuisine. Nous utilisions pour transporter ce bois
une petite remorque basse à trois roues que nous avions trouvée … Sur le tas
d’ordures ! Nous rapportions, passant par Plaisance, du bois et des pommes
de pin.
Nous en
profitions de temps en temps pour dénicher des tourterelles … Oh ! Cela ne
nous est pas arrivé très souvent … qu’aurions-nous fait de ces oiseaux ?
Mais enfin, tout de même, il ne se passait guère de saison d’été sans que nous
ayons à la maison une paire d’oiseaux auxquels nous donnions la becquée.
Un nid de
tourterelles, c’est vraiment une construction élémentaire : Une douzaine
de brindilles entrecroisées à l’enfourchure de deux branchettes et … C’est
tout ! La femelle pond au centre de cette installation … La plupart du temps, deux œufs, tout
blancs, chacun gros comme une prune. Elle s’installe sur le nid et couve. Le
mâle la remplace lorsqu’elle va quérir sa provende. En dehors de ces
moments-là, il roucoule : Deux tons, l’un roulé, plaintif, l’autre plus
bref et plus aigu.
Un beau jour,
grimpant dans un pin pour en faire choir les cônes mûrs, vous apercevez à
terre, au milieu des aiguilles sèches, une coquille brisée en deux : Les
œufs ont éclos ! Il faut laisser le nid tranquille : Ne pas y toucher
car les parents risqueraient d’abandonner leur progéniture … Vous revenez de
temps à autre, mais sans trop approcher du nid. Les petits grossissent, puis
ils s’emplument. Et puis un beau jour, vous les prenez l’un après l’autre,
délicatement : Ils sont tout chauds au creux de vos paumes … Ils se
tiennent coi, la plupart du temps. Ils agitent assez drôlement, parfois, leurs
moignons d’ailes sur lesquels poussent les tuyaux des rémiges.
Vous êtes un
voleur et vous avez un peu honte … Les parents n’ont pas réagi. Où sont-ils
d’ailleurs ? On ne les voit pas … Vous placez les jeunes oiseaux dans le
creux de votre béret et vous enfourchez votre vélo. À la maison, sur le mur de
notre chambre, il y a une petite fenêtre oblongue, percée dans l’épaisseur de
la maçonnerie : C’est là que nous installons nos oiselets, sur un lit de
paille sèche. Un grillage fermera cette « cage » du côté intérieur de
la chambre. Il est rare que nous ne parvenions pas à élever nos tourterelles.
Nous les nourrissons de blé mâché. Ah ! Le goût du blé que mes dents
écrasent et dont ma salive fait une pâte ! …
Délices !
Ensuite, vous prenez délicatement l’oiseau dans vos
mains … Il en prend vite l’habitude : Il met le bec dans votre bouche,
entre vos lèvres, et il se gorge jusqu’à plus faim. Même démarche pour le faire
boire : Vous prenez de l’eau dans votre bouche et vous introduisez le bec
avide entre vos lèvres … Il arrive bien que l’oiseau s’agite : L’eau lui
est entrée dans les narines, il se secoue … Il se remue tellement que le voilà
tout mouillé … Un coup de chiffon pour le sécher et vous le remettez dans sa
cage.
Les tourterelles
sont faciles à élever : Il me souvient que l’une d’elles prenait un
plaisir évident, parvenue à la taille
adulte, à se percher sur le guidon de mon vélo … Nous allions ainsi de
la maison du Douhet à la « Cabane » de la Malentreprise !
D’où vient que
les tourterelles turques, sédentaires, ont presque complètement éliminé les
tourterelles des bois ? … Mystère dans lequel les hommes sont peut-être
pour quelque chose ? …
Dernier
souvenir : Ma chatte à poil long … Ma « douce » chatte … Elle
avait réussi … Depuis le temps qu’elle essayait de le faire ! … Elle avait
réussi à attraper une tourterelle dans mon jardin, au pied du grand pin parasol
… J’ai eu juste le temps de bondir pour lui faire lâcher prise ; L’oiseau
parvint à s’envoler … Il ne lui restait plus qu’une seule plume à la
queue ! … Chatte, vous ne
serez pas punie pour cette fois-ci, mais ne recommencez pas !
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