LA
SOUPIÈRE DU JEUNE HENRI
Savez-vous pourquoi les Brénâts sont si
riches ? Savez-vous pourquoi la mer ronge les plages de la Malconche, de
Boyardville à Saint Denis ? Et d’abord … Y avez-vous réfléchi ? …
Pourquoi cette anse bordée de plages s’appelle-t-elle « La
Malconche ? … Découpez le mot, cela vous donne la Mal-Conche … Autrement
dit la « Mauvaise Conche » … C’est tout dire !
Savez-vous pourquoi, chaque année, à Prouare,
le sable s’effondre et engloutit, soit un cheval et son cavalier, soit une
vache aux lourdes mamelles, soit une lourde charrette chargée de blonds épis de
blé ?
Savez-vous pourquoi la mer ronge et pourquoi
disparut en son sein un hameau
tout entier, près du moulin du Douhet. Ce hameau s’appelait la
Durandière … Une avenue porte encore son nom …
C’est que la mer a juré de reprendre aux
Brénâts les trésors qu’ils lui ont volés … Car ils lui ont volé des
trésors !
À Prouard, il y a quelques décades, sur les
plateaux rocheux, vint s’échouer le « Jeune Henri ». Il arrivait des
Antilles. En ses flancs se trouvaient des pierreries et de l’or … De l’or en
grande quantité. Ce navire avait été naulisé, dit-on, par un planteur qui
revenait en France avec toute sa fortune. Il vint ouvrir sa carène près de La
Brée, offrant à l’océan, par toutes ses plaies, les trésors dont on l’avait
chargé.
Tout l’équipage ou presque avait péri. On en
trouve encore mention dans les registres d’état civil de la mairie de
Saint-Georges puisque, en ce temps-là, La Brée était incluse dans cette commune
.
Seuls, le second capitaine et l’un des matelots
avaient pu échapper à la nuit sans lune, à la mer en furie, au vent qui
sifflait, à l’orage qui grondait. Ils parvinrent jusqu’à la terre ferme,
poursuivis par l’orage …
Dès que le jour parut, le second capitaine et
son matelot entreprennent d’arracher à l’océan les trésors qu’il avait pris.
Tous les Brénâts les suivent … Et certainement tous les Oleronnais de
Boyardville à Chassiron. L’un emporte un sac lourdement chargé. L’autre, sous
son bras cache des lingots. Un troisième a ramassé des poignées de doublons. Le
plus malin a trouvé une soupière d’or massif emplie de perles fines.
Mais celui-là … Jamais on ne le revit et nul ne
vous dira ce qu’est devenu son butin … On assure que, dès qu’il sortit de
l’eau, la terre s’entrouvrit pour la première fois … Il serait le premier
qu’elle engloutit. Si, depuis, elle avale quelqu’un ou quelque chose, c’est
que, sournoisement, l’océan la mine par en dessous pour reprendre ce qu’on lui
prit.
Si les ports de Saint-Denis et celui du Douhet
sont si longtemps restés complètement ensablés … Si, maintenant encore, il faut
lutter contre leur ensablement, lutter, lutter sans cesse, c’est que la mer a
juré de se venger : Elle a décidé qu’elle parviendrait à ses fins et que
plus aucun bateau n’entrerait dans ces havres … Et le port de Boyardville a bien
du mal à lutter, lui aussi, contre le sort qui lui fut jeté.
Antioche est parsemé de carcasses de
navires : Malgré le sort, ils avaient voulu s’approcher.
Si la vague ronge les plages et si, du côté du
Douhet, le hameau de la Durandière a disparu tout entier sous les eaux, c’est une erreur du
sort : La Brée était visée.
Prenez garde Brénâts, et cachez votre or s’il
vous en reste : jamais l’océan ne renonce … Souvenez-vous … Ô oui,
souvenez-vous du naufrage du « Jeune Henri » !
Souvenez vous aussi … Lorsque vous avez construit un épi
d’enrochements à Prouard, souvenez-vous en : L’océan a démoli toutes les
digues, de Prouare jusqu’à Planginot ! Souvenez vous !
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