mercredi 7 août 2013

LE VÉLO DU PORTEUR DE DÉPÊCHES





LE VÉLO DU PORTEUR DE

 DÉPÊCHES



(Devinez qui m’a raconté cette histoire …)




                                                         





Le porteur de dépêches … Il existait naguère des « emplois réservés » : bureaux de tabac, postes de gardiens des jardins publics, postes de gardes-champêtres … Si je ne me trompe pas, ces emplois étaient réservés aux mutilés de guerre, aux anciens combattants, à ceux auxquels la société devait reconnaissance. Ils leur permettaient de vivre et assuraient leur insertion.

Était-ce un emploi de ce type qui avait été attribué au « porteur de dépêches » ? Je l’ignore. Mon histoire se passe juste dans l’après- guerre … Je parle des années quarante-cinq ou cinquante. L’île d’Oléron n’était pas encore devenue le territoire touristique qu’elle est maintenant : Il y avait encore des villages vivants, des fermes isolées, des agriculteurs, des éleveurs. On labourait, on semait, on fauchait, on battait, on engrangeait, on trayait, on taillait, on vendangeait et on pressait le raisin, on élevait le vin dans les chais. On saignait les porcs qu’on avait élevés. On mangeait ses propres poulets et ses propres lapins. On saignait les pins pour récolter la résine … On allait à la côte lors des grandes marées … On allait à l’épicerie du coin pour acheter de quoi varier un peu la nourriture. On allait à la droguerie du bout de la rue pour acheter son carbure, afin d’allumer les lampes. On allait acheter de la toile chez le marchand de tissus, pour en faire des vêtements. Le boucher, le boulanger, l’épicier passaient jusque dans les écarts pour vendre leurs produits : Les ménagères s’essuyaient les mains à leur tablier et accouraient dès qu’elles entendaient le klaxon d’un commerçant  faisant sa tournée …
                                                      


Les hommes allaient à la chasse. Souvent c’étaient des pratiques pas très régulières, mais que voulez-vous ? – « On est chez soi, non ? » – Maintenant certains disent que la loi française s’arrête à l’entrée du pont …Alors, vous pensez … Quand il n’y avait pas encore de pont !

Alors, on chassait les lapins avec des furets … Il y en avait partout, des lapins ! … Ils dévoraient les salades dans les jardins ! On posait des collets : Ô ! Tout le monde savait bien qui posait ces nœuds coulants, faits de fil de cuivre … Et tout le monde savait bien qui ramassait, pour les plonger dans leur besace, les lapins étranglés. On en connaissait même qui agrainaient les sangliers ou les faisans, pour mieux les tirer au fusil lorsqu’ils étaient bien habitués à venir à l’endroit choisi. On en connaissait qui plaçaient des « bourgnes » et des « javelles » dans les  « ruissons », pour attraper les anguilles, mais ça, après tout, ce n’était peut-être pas interdit …


Tiens ! Et le porteur de dépêches, lui … C’était aux canards qu’il s’intéressait … Il en attrapait, des canards, cols verts et miloins, sarcelles d’été et sarcelles d’hiver …
Il était manchot, le porteur de dépêche. Oui, il lui manquait un bras. Où l’avait-il laissé, son bras ? – Je l’ignore. Était-ce à la guerre ? Avait-il été victime d’un accident ? Bref, j’imagine que c’était à cause de cette mutilation qu’il était devenu le porteur de dépêche. Il habitait au lieu dit « Le Trait d’Union », juste à côté de la poste. C’était pratique : Il était sur place pour porter les télégrammes à domicile quand il le fallait … Il enfourchait son vélo … Oui, malgré son handicap, il se débrouillait très bien sur son vélo !

Rien à dire sur sa façon d’accomplir son travail. Les dépêches arrivaient à l’heure, à l’endroit voulu. On lui offrait bien de temps en temps « la goutte », sur la toile cirée de la salle à manger, mais il n’en abusait pas et son vélo roulait toujours très droit … Que voulez-vous, c’était la coutume : Un petit verre de goutte ou un verre de pineau …-

« Et tâte moi celui –ci : Il est de l’année dernière et tu m’en diras des nouvelles. »
                                                       



Bon, ce n’est pas de cela que je voulais vous parler : Il n’y a rien à redire !

Mais le « manchot », il était chasseur lui aussi ! Comment se débrouillait-il pour tenir son fusil, lui qui n’avait qu’un bras ? – Je n’ai point de réponse à cette question-là, ne l’ayant point accompagné dans ses expéditions. Je sais que la rumeur … Ah ! Cette rumeur qui saurait vous faire pendre !
Je sais seulement que la rumeur courait … Elle disait que le porteur de dépêches chassait particulièrement le canard. Il chassait le canard  au printemps, quand les canets ont perdu leur duvet. Leur dos s’est emplumé et ils sont presque aussi gros que leurs parents avec lesquels ils nagent adroitement dans les « ruissons » des anciens marais salants … Il y  avait d’ailleurs encore quelques marais salants, dans lesquels on faisait du sel ! .. Ils étaient rares, c’est vrai, mais il y en avait encore … Surtout du côté de la Saurine, en allant vers Boyardville.

En fait,le porteur de dépêches, paraît-il, ne se servait guère d’un fusil quand il allait à la chasse aux halbrans – C’est ainsi que l’on nomme les jeunes canards, quand ils en sont encore à l’apprentissage de l’envol. ..
Il paraît que, se cachant derrière les roseaux, il avait le chic pour trouver les canards : La cane et ses petits, tout emplumés. Il les effrayait et, au moment où toute la bande battait des ailes éperdument et tentaient l’envol, il lançait son bâton … Un bon bâton, bien choisi, bien poli, qu’il liait au cadre de son vélo et détachait pour passer à l’action … Un bon bâton, bien lancé, cela s’envole, cela tournoie, cela vole au ras des eaux … On dit que le porteur de dépêches en ramenait beaucoup, des halbrans, auxquels le bâton avait brisé les ailes. Il est vrai de dire aussi que je ne l’ai jamais accompagné et que je n’ai jamais pu regarder dans son sac. Mais, le sac … Je l’ai vu, le sac ! Je l’ai bien vu 
                                                     



« Ah ! bien, moi, je peux vous dire que la rumeur, elle ne racontait pas des mensonges : Le manchot, moi, je l’ai vu faire … Il posait son vélo derrière les tamarins. Il partait au long du « ruisson », courbé en deux, son bâton à la main, son sac accroché à la ceinture … Il emmenait son chien, lequel savait très bien nager pour aller récupérer les victimes … Personne avec lui.

« Les canards, vous savez : Toute la nichée suit la mère, à la file indienne … Les halbrans essaient leurs ailes, ils se dressent sur leurs pattes, ils battent l’air … Ils font peu de bruit … Le bâton volait, tourbillonnait … Des cinq et des six, qu’il en ramassait à la fois, le manchot !
« Je peux vous le dire, moi … J’habitais avec mes parents la ferme de l’Ileau, sur la route du Douhet, tout près du canal et des marais. Je peux même vous dire … Nous avions six ou sept vaches … On les menait au pré le matin, après la traite … La mère emportait les seaux de lait, qu’elle allait vider dans le grand bidon que le camion de la coopérative viendrait chercher … Le père allait prendre sa fourche pour changer la litière … Moi, j’avais tout au plus sept à huit ans, j’allais, avec le chien, conduire les bêtes à la pâture.

« Un beau matin, je siffle le chien, je prends une longue baguette de tamarin, j’ouvre les portes de l’écurie … Les vaches sortent les unes après les autres … Elles ont l’habitude … On n’a juste qu’à veiller à ce qu’aucune ne sorte du rang … On prend une grosse voix : On n’est plus une enfant, puisqu’on conduit le troupeau …

« Les vaches traversent la route lentement … Le chien les tient groupées. Je suis, à la file … J’ouvre la barrière : Vous savez, une barre de bois enfilée dans les trous qui ont été pratiqués dans les deux pierres dressées qui délimitent la porte … Les bêtes passent aussi près des tamarins qu’elles le peuvent : Elles se frottent les flancs sur les branches et essaient sans doute de cueillir quelque rameau au passage.
À cette heure matinale, le marais s’éveille, dans un halo de brume. Les pépiements des vanneaux huppés s’étaient fait entendre toute la nuit, qui avait été calme. Ils se font plus rares maintenant.

« Le sifflet d’un courlis perce le silence, sur deux tons. Il doit y avoir un vol de bernaches cravant non loin … Peut-être au-delà des dunes, dans l’anse de la Malconche : C’est l’heure de la marée basse. Un héron cendré monte dans le ciel en agitant ses grandes ailes molles… L’odeur spécifique de la vase se mêle à celle des champignons et à celle du fenouil …

« Crac ! … Une de mes vaches vacille, se redresse et passe enfin la barrière … Crac ! la seconde en fait autant … Et puis la troisième, la quatrième … Toutes mes bêtes ont marché, l’une après l’autre sur … La bicyclette du porteur de dépêches !

« Il l’avait laissée là, couchée au pied des tamarins, cachée à moitié et gisant dans l’herbe mouillée … Ah ! Elle était dans un bel état, sa bicyclette ! Inutilisable, les roues voilées et les rayons cassés. …
                                                   



« Il avait désailé trois halbrans, le porteur de dépêches, quand il est passé chez nous, à la ferme … Nous, on ne savait rien, bien sûr … On n’avait rien vu …  Mais le père lui a servi un grand verre de blanc, puis il a chargé le vélo dans la voiture et il a ramené le manchot chez lui, au Trait d’Union … Moi … Il était l’heure que je parte pour l’école, à Chéray  … En passant par le Trait d’Union ! … Quand j’y suis arrivée, le vélo était appuyé contre un mur ... En bel état ! 

« J’ai filé sans attarder mon regard : La cloche sonnait à l’école, pour la rentrée en classe … Le père Poirier, garde-champêtre unijambiste qui ne se déplaçait qu’à bicyclette avait embouché sa trompe, (Il ne jouait pas du tambour …) et il criait :

-       «  Avis-s-ss  à la population … ! Monsieur le maire … »

La suite se perdit dans la sonnerie de la cloche de l’école …



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