ON
A PERDU LE PÉPÉ !
Un beau dimanche matin de printemps, (C’est toujours
un beau dimanche de printemps que cela commence, n’est-ce pas ?) … Je m’en
vais à la messe. Dans mon village, l’église n’est pas très loin de ma
maison : Une rue, puis une placette à traverser … Je suis devant le
porche. Je la connais bien, mon église. Elle date en partie du XIeme siècle.
Elle a été ensuite plusieurs fois remaniée, mais le résultat est superbe.
Lorsque j’arrive, il y a déjà beaucoup de monde :
Dame, c’est le printemps et les résidents secondaires sont arrivés pour ouvrir
leurs fenêtres et secouer les tapis ! … (« Vous croyez que l’on a des
tapis, dans les résidences secondaires ? ») … Nous sommes en
Oléron : l’hiver, l’église est presque déserte le dimanche. D’ailleurs il
n’y a plus qu’un seul curé pour la « paroisse d’Oléron », assisté par
un autre prêtre, très âgé, qui réside au Château d’Oléron. Il y a huit communes
dans mon île, et chaque commune a son église, mais on a beau regrouper tous les
fidèles dans une seule église, cela ne remplit jamais la nef ! Sauf
pendant les périodes de vacances … Quand les résidents secondaires sont là en
même temps que les occupants des mobile-homes.
Bon, aujourd’hui, la messe commence à dix heures
trente. À l’entrée, nous trouvons le bedeau … Ou tout au moins celui qui fait
office de bedeau : c’est du grand Daniel que je veux parler, Daniel
Dodin : Tout le monde le connaît. Il salue tout le monde d’un air grave.
Le prêtre n’est pas encore arrivé : Il viendra de Saint Pierre d’Oléron où
se trouve la cure, maintenant qu’il n’y en plus qu’une. Il vient dans sa
voiture, qui est une petite Renault, je crois bien.
Tout le monde est assis, sauf quelques-uns qui
bavardent avec Daniel et les quelques « empressés » habituels.
Le prêtre arrive. Il passe directement dans la
sacristie. Il enfile ses vêtements sacerdotaux. Il prend la tête, devant les
enfants de choeur . Il enfile l’allée centrale. Le voilà à l’autel.
Mon épouse
arrive à ce moment-là. Elle avait été retenue par ses occupations. Il ne reste
que peu de places. Elle s’installe donc près de la porte d’entrée et reste
debout jusqu’à ce qu’elle aperçoive une chaise vide. Elle s’assied à côté d’une
dame âgée, non accompagnée, d’un âge que l’on dira « certain ». Cette
dame est vêtue de noir, mais porte un foulard coloré. Elle semble inquiète et
serre son sac à main contre sa poitrine … qu’elle a, disons très avantageuse.
Je ne conterai
pas la cérémonie : - Assis … Debout … Assis … Debout .. . Répondre
.. . Se taire … Chanter … Assis … Debout … Serrer des mains … Se signer …
Bénir …
Vous connaissez
… Inutile de rentrer dans les détails. La voisine de mon épouse semble de plus
en plus agitée. Elle se tourne souvent vers la porte, maintenant fermée. Elle
se penche en avant : C’est comme si elle attendait quelqu’un qui ne venait
pas ! Elle s’est même levée deux ou trois fois à contre temps … Puis s’est
assise de nouveau. Maintenant, elle tournicote en tous sens, sur son
siège : Son regard explore la nef et les transepts. En effet, il y a une
autre entrée, dans le fond de la nef : Le porche principal, dont les
portes sont fermées pour la durée de l’office … Mais, s’il était entré par
là ?
« Il » … C’est son mari. C’est son mari, que
cette femme cherche. Elle le confie à mon épouse, en chuchotant … Car mon
épouse lui demandait à voix basse ce qui l’inquiétait et si elle pouvait
l’aider en quelque chose …
La messe est dite : « Allez, dans la paix du
Christ ! » … Tout le monde sort. Il ne reste plus, là-bas, du côté de
la sacristie, que le bedeau qui ramasse les corbeilles des quêteurs. Il emporte
ces corbeilles. Le prêtre, qui s’était placé à côté de la porte pour saluer les
paroissiens à la sortie … Le prêtre a ôté son étole, puis il a disparu dans la
sacristie. Très vite, il est remonté dans sa voiture et a pris la route.
-
« C’est mon mari que je
cherche. Il m’a déposée devant la porte, puis il est partie chercher une place
de parking pour la voiture. Je ne l’ai pas revu ! Il n’est pas entré dans
l’église, j’ai bien regardé, mais je ne l’ai pas vu ! »
Allons, bon !…
-
« Michel, cette
dame a perdu son mari » …
Mon épouse me raconte l’histoire. Je cherche un peu
plus de renseignements :
-
« Comment est-il,
votre mari ? À quoi ressemble votre voiture ? »
Nous faisons, à trois, le tour de la nef, le tour des
transepts … Nous regardons derrière les piliers, qui sont larges …
Personne ! Même Daniel est parti déjeuner !
Nous
faisons le tour de la place, ou plutôt le tour des places, car il y en a une
devant l’église, et une autre derrière, vastes toutes deux. Seules trois ou
quatre voitures sont encore garées là.
- « Comment est-elle, votre
voiture ? »
- « C’est un gros machin … Elle est toute
neuve. Mon Jojo l’a achetée récemment … Un gros machin … On peut coucher
dedans. »
Bon, nous savons maintenant que son mari s’appelle
Jojo et que la voiture … La voiture ? – Il peut s’agir d’un fourgon … Il
peut aussi s’agir d’un camping car ! À quoi ressemble réellement cette
voiture ?
En attendant : Pas de Jojo !
Nous emmenons la dame jusque chez nous. Nous
essayons de la réconforter …
-« Il y a cinquante ans que nous sommes
mariés … Dites, il ne m’a pas abandonnée, mon Jojo ? Il ne m’aurait pas
fait ça ! »
Que
faire ?
- « Écoutez : Où habitez-vous ?
Nous allons voir si nous trouvons
votre mari … »
Je sors ma propre voiture. La dame y monte, mon
épouse aussi.
- « Où habitez-vous ? »
- « À Chaucre … Nous avons acheté un petit
terrain au bord de la mer, juste à côté de la passe dans les dunes. »
Va pour Chaucre : Il n’y a que cinq kilomètres
tout au plus, de Saint-Georges où nous sommes jusqu’à Chaucre … Je connais
l’endroit : Nous traversons Chéray, roulons entre les vignes, enfilons les
ruelles bordées de maisons blanches et basses. Nous voilà devant l’entrée de la
passe : Nous voyons rouler les grosses vagues sur les rochers des pièges à
poisson.
-
« Ah mais
non ! Ce n’est pas là … C’est vrai, nous avions acheté un petit terrain
ici, mais on nous a refusé le droit d’y bâtir une maison. Alors, nous sommes
partis ailleurs : Nous avons acheté une maison à Saint Denis. »
Elle commence à m’inquiéter, cette brave dame … La
maladie d’Alzeihmer, ça existe
et, dans ces âges … Il est
vrai que je ne suis guère plus jeune, moi non plus …
Allons-y pour Saint Denis ! … Routes étroites,
vignes, friches, tamaris … Ruelles tordues …
- « Où est-ce ? – Où se trouve votre
maison ? »
Bon. C’est là. Mais votre maison, elle est
fermée : grille, portes et fenêtres … Il n’y a personne là-dedans !
- « Ah mon Jojo ! Si tu m’as fait
ça ! … Attends que je te retrouve, je t’arrache les oreilles,
moi ! »
À l’évidence, Jojo n’est pas là et nous ne
pouvons aider la dame à entrer chez elle. Et, d’ailleurs, que ferait-elle chez
elle, toute seule ?
Perplexe, je suis. En désespoir de cause, je
décide que nous allons nous rendre à la gendarmerie. Nous reprenons la route
vers Saint Pierre d’Oléron. Au premier virage, nous croisons deux voitures de
pompiers, rouges et toutes sirènes hurlantes. Je m’arrête :
- « Non, nous ne connaissons pas
d’accident dans lequel ce monsieur aurait pu être impliqué. Nous ne sommes
intervenus nulle part ce matin. Nous sommes en exercice. Il n’y a eu aucune
évacuation vers l’hôpital … »
Nous voilà repartis vers Saint Pierre, en
passant par Chéray : Quinze kilomètres de route droite.
Voici la gendarmerie. Je stoppe, je sonne à la
porte d’entrée … C’est dimanche aujourd’hui … La gendarmerie est fermée.
J’insiste : Je sais que les gendarmes habitent dans le bâtiment. En effet,
un gendarme finit par bouger : En chemisette et en short, tête nue. Il
semble qu’on l’ennuie en le dérangeant : Dame, il était peut-être en train
de découper une volaille à la table de famille …
-
« Je vous amène
une dame … Je ne la connais pas. Elle a perdu son mari. »
- « La gendarmerie est fermée. C’est dimanche.
Ce que je vous conseille, c’est de garder la dame auprès de vous. Si vous
n’avez pas retrouvé son mari à seize heures, téléphonez-moi. »
- Le gendarme
n’a pas ouvert la grille. Il nous salue … Il rit, puis fait demi-tour …
« Retourne découper la volaille ! »
C’est bien beau … Qu’est-ce que je fais, moi,
avec cette dame que je ne connais pas ? … Je téléphone à Coluche et aux
« Enfoirés » ?
-
« Ah mon
Jojo ! C’est pas vrai que tu m’as fait ça ! Tu vas voir, si je te
retrouve ! »
Et
moi, avec mon épouse, nous nous retrouvons devant la porte de la gendarmerie de
Saint Pierre d’Oléron … Porte fermée. Que faire ? – Il est bientôt
quatorze heures maintenant et j’ai faim.
- « Écoutez, Madame, nous allons retourner
à Saint Georges. Vous allez déjeuner avec nous. Nous verrons
ensuite . »
Et c’est parti pour Saint Georges !
Une
intuition : - « Et si nous retournions jeter un coup d’œil à
l’église ?
-
« Là ! Il est
là ! » …
Ce n’est pas le mari, que nous avons trouvé … Pas
encore ! Mais c’est la voiture, ou plutôt le fourgon : Un gros
fourgon, rutilant, tout neuf, immatriculé en Belgique … Ah ! oui … J’avais
oublié de lui demander d’où elle venait, cette brave dame ! – Eh bien elle
est Belge et son mari est Hollandais … Mais, je vous l’assure, ce n’est pas une
histoire belge … Même si cela peut y ressembler !
-
« C’est la voiture
… C’est la voiture … Là, sous les arbres, sur la place de
l’église ! »
La voici partie à fond de train. Elle fait le tour de
la voiture : Les vitres sont teintées …Elle colle son nez contre chacune
d’elles pour essayer de voir à l’intérieur … Elle tente d’ouvrir chaque
portière :
-
« Il n’est pas à
l’intérieur ! »
Mais
où est-il donc, le grand père ?
Ma femme retourne explorer la nef de l’église … Il est
là, le grand père ! Il est là, ! Il flotte dans son manteau. Il a
l’air complètement désemparé. Il tourne autour des piliers …
-
« Monsieur, vous
cherchez quelqu’un ? »
-
« Ah, mon
Jojo ! C’est mon Jojo ! Où étais-tu ? »
En fait, c’était tout simple : Jojo avait laissé
descendre sa femme devant le portail de l’église. Il était parti garer son
fourgon, mais il n’avait trouvé de place qu’un peu plus loin, derrière
l’église. Il était entré et avait assisté à la messe … Mais il était entré par
l’autre portail et était resté debout, ne trouvant pas de chaise libre …
Debout, mais à l’autre extrémité de la nef. Il avait cherché son épouse dès que
la messe avait été finie, mais elle était déjà sortie, par la petite porte et
elle le cherchait en vain. Comme elle ne savait pas où la voiture avait été
garée …
Cela
ne fait rien : Nous étions soulagés … Rendez-vous compte : Une
grand’mère qui vous tombe dans les bras, un dimanche matin !
-« J’avais peur, me dit le grand-père …
Elle fait un début de la maladie d’Alzheimer … »
-
« Ils vous ont
remerciés ? »
« Chaudement, mais nous n’en avons plus jamais
entendu parler … Pas plus que du gendarme, d’ailleurs ! Je ne sais pas si
les faits ont été consignés sur la « main courante » de la
gendarmerie de Saint Pierre d’Oléron … »
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