vendredi 9 août 2013

LE HÉRON DU FORT BOYARD










LE  HÉRON DU FORT BOYARD

                                                               




Le fort Boyard, tout le monde le connaît : On l’a tant vu sur les écrans de télévision ! Ses images ont fait le tour du monde. Des Tahitiens même,qui venaient me rendre visite en Oléron, n’ont rien eu de plus pressé que de me demander de les emmener voir le fort Boyard ! Ayant parcouru pour venir ici la moitié du tour de la terre … Ce qu’ils voulaient voir, c’était le fort Boyard !

«  Ah, bien oui ! Vous l’avez vu sur le petit écran ? Les acrobaties en grimpant des escaliers, les plongeons dans la mer, du haut des murs, les allures des bravaches qui passent auprès des fauves … Vous avez vu le « Père Fouras »  et toutes ces simagrées qui font rire et frissonner le peuple … Le peuple, tout autour de la terre … Le peuple qui rigole en se tapant les cuisses ! »

« Mais, dis-nous, Pépé … Dis nous le fort Boyard. Nous y allons demain matin, avec le bateau de Monsieur  Gaury.

« Le fort Boyard, le fort Boyard … Ce n’est pas un cirque – Il n’a pas été bâti pour des clowns. C’est un ouvrage militaire ! En fait, on peut même dire que c’est un truc qui a coûté très cher, horriblement cher … Et qui n’a jamais servi à rien !

« Mon père disait qu’il y était allé souvent, du temps où il commandait un centre de ballons captifs installé aux Saumonards … Il disait qu’il y ramassait … Du persil et du cerfeuil ! »

« Oui, c’est vrai : le fort était resté si longtemps inhabité qu’il était fréquenté seulement par les oiseaux de mer. Ce sont les oiseaux qui avaient transporté les graines : Entre les pavés de la cour, il poussait du persil et du cerfeuil … entre autres herbes folles ! Il en poussait tellement que leur croissance disjoignait les pavés et les pierres … Le fort Boyard était en grand péril et l’on pouvait prévoir son écroulement. »

«  Mais enfin, Pépé, dis-nous pourquoi on a construit une telle forteresse, entre l’île d’Aix et l’île d’Oléron … »

« Oh ! C’est une longue histoire ! … Une très longue histoire ! Je vais essayer de vous la faire comprendre.

                                                                   


Au XVII eme siècle, le Roi Louis XIV et son Ministre Jean-Baptiste Colbert font construire le port et l’arsenal de Rochefort, pour remplacer le port de Brouage qui est envasé. Les guerres avec l’Angleterre sont incessantes : Rochefort a l’avantage d’être situé sur la Charente, protégé par l’île d’Aix, l’île d’Oléron, l’île Madame et l’île de Ré. La navigation sur l’estuaire de la Charente peut facilement être contrôlée : Il suffit de bâtir deux ou trois forts sur les berges. C’est ce que l’on fait. On construit ensuite des fortifications sur chacune des îles … L’ennemi ne peut plus passer pour attaquer Rochefort : Les canons installés dans chacune des forteresses auraient tôt fait d’envoyer par le fond les navires qui voudraient s’approcher … »

« Mais les canons … Ils tiraient leurs boulets à quelle distance ? »

«  Voilà le problème : La portée des canons, au XVII eme siècle, était de quinze cents mètres au maximum. Ces canons pouvaient parfaitement empêcher les vaisseaux ennemis de passer entre les îles … Mais pas entre l’île d’Aix et l’île d’Oléron : Le passage est trop large … La portée des canons est insuffisante ! D’où l’idée de Louis XIV : Il n’y a qu’à construire un fort entre les deux îles … Les canons du fort empêcheront les navires ennemis de passer ! Justement, au beau milieu, il y a un banc de sable, que l’on appelle la longe de Boyard … Il n’y a qu’à construire un fort sur le banc de sable …

Y’a qu’à … Y’a qu’à … On fait venir Monsieur de Vauban , le grand constructeur de forts et de forteresses, celui qui a élevé les murs de presque toutes les fortifications qui protègent les frontières du royaume.

Monsieur de Vauban étudie le problème, fait faire les sondages nécessaires, calcule la force des courants, étudie leur direction … Son avis est sans appel :

« Sire, dit-il, il serait plus facile de saisir la lune avec  les dents que de tenter en cet endroit pareille besogne. »


«  Mais, Pépé … On l’a bien construit tout de même, le
   fort  Boyard ! »
                                                 



-       « Bien sûr … Mais à l’époque, on n’avait pas les moyens techniques suffisants. C’est Napoléon Bonaparte, quand il était Premier Consul, qui a repris l’idée de cette construction. C’était en 1801. Bonaparte était venu inspecter les côtes atlantiques et les installations de Rochefort. On craignait toujours une incursion anglaise et la nécessité de construire un fort pour barrer le passage entre Aix et Oléron était une évidence. Les travaux ont été commencés en 1803. »

-       « Comment a-t-on fait pour construire un bâtiment pareil sur un banc de sable ? … Tout ce poids de pierres sur du sable, le tout aurait dû s’enfoncer !»




-       « C’était la grande difficulté. On a transporté des tonnes et des tonnes de pierres. On les a entreposées à l’embouchure du canal qui va jusqu’à la Saurine 

-       «  Mais, Pépé, tu nous as dit l’autre jour qu’autrefois, il n’y avait pas du tout de village à Boyardville ! »


-       « C’est vrai, il n’y avait pas de village du tout. L’endroit était nu, entouré de marais salants … Justement, si le village s’appelle Boyardville, c’est parce qu’il a été édifié pour servir de base arrière, de campement, aux ouvriers qui construisaient le fort Boyard .. . Auparavant, cet endroit s’appelait tout simplement « la bouche du grand canal » »

-       « Il y en avait beaucoup, des ouvriers ? »


-       « Tu parles ! On a transporté des milliers et des milliers de tonnes de pierres, qu’on jetait à la mer sur la longe de Boyard, des centaines de milliers de tonnes ! Les travaux ont été longs, difficiles : Les tempêtes détruisaient tout au fur et à mesure que l’on avançait. Les pierres s’enfonçaient dans le sable, les murs s’écroulaient … Il y a eu jusqu’à vingt-sept navires pour transporter les pierres et les mettre en place. Les travaux ont été arrêtés plusieurs fois. En 1808 l’Empereur Napoléon a dû revoir son projet à la baisse. Les travaux ont été même abandonnés complètement en 1809 : Faute de fortifications, la flotte française avait été incendiée par les Anglais, juste derrière l’île d’Aix … »

-       « Et quand est-ce qu’on l’a terminé, le fort Boyard ? »

-       « Les travaux ont repris en 1841 seulement, sous le gouvernement du Roi Louis-Philippe. Ils n’ont été achevés qu’en 1857. On a installé les canons en 1859. « 

-       « C’était l’époque de mon arrière-grand-père … »
                                                                 

                                         Toile de Bergagna


-       « Oui, exactement … Est-ce que je t’ai dit que ton arrière-grand-père, qui était médecin de Marine et natif de saint Georges d’Oléron … Est-ce que je t’ai dit qu’il avait été médecin du fort Boyard ? »

-       « Il y a donc eu une garnison, dans le fort Boyard ?. Il a donc servi à quelque chose… »

-       - « Il y a eu une garnison : deux cent cinquante hommes. Mais le fort ne servait à rien : la portée des nouveaux canons était suffisante pour interdire le passage entre Aix et Oléron. Le fort Boyard a servi de prison : On y a enfermé des prisonniers Prussiens pendant la guerre de 1870, sous Napoléon III. On y a également enfermé des prisonniers politiques, après la révolte de la Commune de Paris, et puis … et puis … On ne savait plus quoi en faire, alors … On l’a abandonné, complètement abandonné. Les canons ont été vendus en 1913. Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands se sont servi du fort comme cible d’entraînement.

-       « C’est à ce moment-là que le fort Boyard est devenu un jardin potager où mon père cueillait du persil et du cerfeuil dans la cour, entre les pavés ! »

-       Oui, c’était juste avant 1939, juste avant la guerre … Seuls les oiseaux de mer : cormorans, hérons et goélands y venaient prendre du repos ou bien y faire leurs nids. Quand on passait au ras des murailles, en bateau, les oiseaux nous observaient du haut des murs, manifestant par des cris leur droit de propriété. Pendant plus de quatre-vingts ans, le fort Boyard a été complètement abandonné. Les jetées qui permettaient d’accoster ont été détruites par les vagues … Ce qui n’a pas empêché le pillage des installations … »

-       « J’ai pu le constater : En 1948, je suis passé au fort Boyard … À l’intérieur, il ne restait plus rien : Les fenêtres avaient été arrachées et emportées, les tuyaux des canalisations avaient disparu, les meubles n’étaient plus là, les grilles non plus … Rien ! Il n’y avait plus rien … Que les oiseaux qui étaient chez eux et que le vent qui soufflait du Nord-Ouest. Je me suis promené sur le haut des murs : Je me prenais pour Robinson Crusoë ! »

« Tu aurais pu, tout aussi bien, te prendre pour le Roi des pirates ! »

Le fort Boyard, dans le fond, c’est un grand navire … Un grand vaisseau de pierre … Avec deux rangées de sabords, par où passaient les canons. C’est un grand vaisseau immobile de soixante-huit mètres de long sur trente et un mètres de large. Ses murailles s’élèvent à vingt mètres de hauteur.  Sa réalisation a duré soixante-cinq ans, si l’on compte depuis le début des travaux ordonnés par Bonaparte jusqu’à leur achèvement sous Louis-Philippe, en mille huit cent soixante-six. En fait, si l’on compte depuis la première idée que l’on s’en est faite, en mille six cent soixante-six, sous Louis XIV, il aura fallu exactement deux cents ans et beaucoup d’argent, et beaucoup d’efforts … Pour que cela ne serve à rien ! … Il en est ainsi, parfois, des grandes idées des hommes ! … Il y a d’autres exemples, nombreux, sur la terre … Tout cela pour construire un fort qui a été vendu par l’armée en mille neuf cent soixante-deux, pour une bouchée de pain, à un dentiste belge ! »

-       « On connaît la suite … Le fort, qui est rattaché à la commune de l’île d’Aix, reste pendant longtemps le royaume des oiseaux de mer … Il est revendu en mille neuf cents quatre vingt huit à un producteur d’émissions de télévision, puis le Conseil Général de la Charente Maritime s’est porté acquéreur pour un franc symbolique, en réservant l’utilisation au producteur d’émissions, mais en s’engageant à assurer l’entretien du gros œuvre .. »

« Belle opération ! … Mais qui permettra tout de même au fort Boyard d’acquérir une renommée mondiale et, par la suite, cette renommée sera son plus sûr garant de pérennité … Il est toujours là, le fort Boyard ! »

-       «  On peut mettre en doute la qualité intellectuelle des émissions de télévision auxquelles il a servi de support, mais ce sont bien elles qui lui ont permis de résister au temps, aux vagues, aux vents, aux herbes folles et aux oiseaux dont les déjections blanchissaient les murs … Et puis … Des clowneries, on a vu tellement d’autres ! … Il en faut bien pour dérider les gens et leur faire oublier leurs misères. »

                                                                   

-       « Je me souviens … Je me souviens … En mille neuf cent quarante-huit, peu après la seconde guerre mondiale … J’étais allé au fort Boyard … Le bateau n’avait pas pu s’amarrer … Il faisait des ronds autour du fort, pendant que j’explorais les intérieurs … Le désert ! Un désert jonché des débris laissés par les pillards … Désolé, désolant ... Le bruit des vagues et le vent très vif qui soufflait en haut des murs … Des oiseaux, une nuée d’oiseaux, sortis d’un film d’Hitchcok … S’envolant et battant des ailes, criant sur tous les tons … Le ciel gris d’un petit jour laissant prévoir la pluie … Un héron cendré, traînant pitoyablement sa patte cassée, agitant les ailes, et criant …

- « Fais attention à son bec ! »,  hurla mon frère, resté sur le bateau … »

            Effectivement, le héron me donna un coup de son bec,    qu’il avait long comme une dague … Le cri de mon frère me sauva les yeux, que j’avais protégés avec mon bras : Le coup m’atteignit à la joue …



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