LES PUCES
J’avais treize ans. Je revenais
d’Algérie avec ma famille. J’avais passé six ans en Afrique du Nord,
c’est-à-dire toute la durée de la guerre. Pendant ces six ans, courant à gauche
et à droite, j’avais amplement bénéficié des ardeurs de tous les petits animaux
domestiques communément rencontrés : Poux en quantité, sarcoptes de la
gale en veux-tu en voilà, teigne, je crois bien … Mais je n’avais jamais été
assailli – Faut-il le croire ou bien n’est-ce là que défaillance de ma
mémoire ? – Je n’ai pas souvenir d’avoir été jamais été assailli par les
puces !
J’avais, il m’en souvient très bien,
encore que cela puisse paraître peu croyable … J’avais lu quelque part une
histoire qui avait frappé mon imagination d’enfant : C’était l’histoire
d’un vagabond, un magicien quelque peu, un mage … Autant le dire tout de suite :
C’était un pauvre hère qui traînait ses mauvais souliers de village en village
… Il gagnait son pain en allant de place en place, de rue en rue, de marché en
marché : Un dresseur de puces !
Je n’avais jamais vu de puces.
L’histoire disait que le bonhomme les faisait sauter dans ses mains : Hop,
dans la paume de la main droite ! Hop, dans la paume de la main
gauche ! J’imaginais très bien les choses et je m’esclaffais à l’idée de
la puce que son dresseur faisait sauter dans le cou du badaud ! … Je ne
savais pas que les puces piquent et sucent le sang. Je ne savais pas que leur
piqûre cause des démangeaisons insupportables.
Dans le train qui nous amenait de Toulon
jusqu’à Bordeaux, je ramassai tout ce que j’étais habitué à rencontrer, et
surtout des poux. Il faut dire que la guerre était à peine terminée, que les
voies ferrées étaient en mauvais état, que les services de la S.N.C.F. étaient
désorganisés, enfin il faut dire que, dans nos wagons s’entassaient en nombre
incalculable des familles que l’on désignait sous l’appellation de
« rapatriés sanitaires ». Nous mîmes cinq jours pour aboutir à
Bordeaux … Dans quel état ! – J’étais couvert d’urticaire, probablement
due à une alimentation improvisée, mais je n’avais toujours pas de puces !
Je ne sais pas très bien pourquoi, mais
ce fut bien autre chose dès que nous arrivâmes dans notre maison de
Rochefort : Elle avait été vide pendant trop longtemps … Les puces y
avaient élu domicile, dans les rainures des parquets. Je me grattais déjà pour
cause d’urticaire … Je commençai à me gratter encore plus furieusement à cause
des puces ! Ma mère, elle, luttait comme elle le pouvait, avec de l’eau de
Javel d’abord, puis avec de la poudre de D.D.T. que fournissaient abondamment
les magasins des troupes américaines. C’était assez efficace.
Arrive le mois de juillet. Nous partons
dans l’île d’Oléron … Bien entendu, nous passons tout d’abord à Saint Georges
pour voir l’oncle Marc … Il nous faut appuyer longuement sur la sonnette pour
qu’il nous ouvre la porte : Il est en peignoir et nu par-dessous … Il
était dans sa baignoire sur laquelle il a posé un petit banc de bois sur lequel
il s’assied, dans la tenue d’Adam au Paradis Terrestre … Pour traquer les puces
dans les ourlets de ses vêtements : Elles ne peuvent, bien sûr, remonter sur les parois d’émail lisse.
C’est un bon truc … D’autant que l’oncle Marc a une chienne dénommée Sarah qui,
paraît-il, ramasse toutes les puces des environs et les ramène à la maison.
De vrai, je vous le dis : Je n’ai,
de toute ma vie, vu autant de puces qu’en cet après-guerre ! Nous sommes
en vacances à Plaisance, dans une maison que Monsieur Murzeau nous a
louée : Épatant … C’est à cinquante mètres de la plage et de la forêt de
pins ! … Mais il y a des puces !
J’ignore toujours si, vraiment, on peut
dresser les puces, mais elles m’ont vite fait gagner le surnom de
« Gratouillard » dont m’affuble l’oncle Marc ! Là aussi, c’est dans les rainures des
parquets qu’elles pullulent. On dit que les puces de parquet sont plus petites
que les puces de chiens … C’est vrai, je crois, mais en tout cas, de parquet ou
de chiens … Elles sont aussi agressives et urticantes les unes que les
autres !
De plus, il faut parler des puces des
oiseaux ! … Eh oui, les étourneaux qui sont venus nicher sous les tuiles
du toit apportent eux aussi des puces par milliers … Sont-elles plus petites ou
plus grosses que les autres, je ne sais, mais je me souviens que lorsqu’on a
ouvert la porte, le premier jour des vacances … J’étais en culottes courtes et
j’avais les jambes nues … Trois minutes après j’avais des chaussettes qui
montaient jusqu’à mes genoux : Des bataillons de puces sorties de
partout !
L’histoire se répètera d’ailleurs,
quelque temps après : Mes parents visitaient à Saint Georges la maison de
la tante Amélie … Je les accompagnais … Nous ressortîmes précipitamment en
frottant nos jambes avec les paumes de nos mains : Incroyable !
Mais nous avons fini par gagner :
Balais, eau de javel, D.D.T., brosses, serpillières, peigne pour le chien,
stations prolongées dans la baignoire ou sous la douche : Nous avons
gagné ! … Ah bien « ouiche » !
… Je me souviens qu’un jour, nous étions en maillots de bain sur la
plage : Sur le sable de la plage, j’ai été piqué à la cuisse par une puce
… Sur le sable ! … Et ce n’était pas une puce de mer !
J’aurais dû me méfier : Ma peau
était-elle donc si sucrée ? – Le fait est que, vers la cinquantaine, je
m’aperçus que j’étais diabétique !
Il est vrai que je suis encore, à mon
grand âge, une des cibles préférées de ce charmant insecte : Je n’ai qu’à
aller au cinéma et la salle fût elle pleine à craquer … S’il y a une puce dans
les environs …Elle est pour moi ! Je n’ai toujours pas appris à les
dresser !
Ah, je m’en souviendrai de ces premières
vacances d’après guerre : Je suis allé passer une semaine chez les
Fonteneau, à la Menounière …
J’y ai attrapé les oreillons ! Et, de plus,
j’étais couvert de furonculose ...
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