LES COLONIES DE VACANCES
En 1950 … J’avais dix-huit ans. Je
passais mon baccalauréat dans le Limousin, tout en étant surveillant au pair
dans un collège, pour payer ma scolarité. Depuis quelques années déjà, je
faisais les vendanges chez Alphonse Monteau, aux Boulassiers, me faisant ainsi
un peu d’argent de poche : C’est ainsi que je me suis offert ma première
montre . Les vendanges, c’était un dur travail, mais ce n’était pas un travail
désagréable et puis … L’ambiance !
Mais, à dix-huit ans … Il m’était venu
des envies de bouger. J’en trouvai le moyen en suivant à Poitiers une formation
de moniteur de colonies de vacances.
Les stages de formation étaient
organisés par les Centres d’Éducation et de Formation aux Méthodes d’Éducation
Active, organisation née dans l’immédiate après-guerre, dans
l’enthousiasme pour le plein air
et pour l’éducation populaire. Ces stages étaient organisés au Centre régional
d’Éducation Physique et Sportive. de Boivre, près de Poitiers. Les formateurs
étaient, pour la plupart des enseignants détachés de leur administration
d’origine.
Il fallait payer, pour suivre ces
stages, qui duraient quinze jours, pendant les vacances de Pâques. Je crois
bien que mon premier stage fut payé par ma rémunération lors des vendanges
précédentes.
On nous apprenait, à Boivre, à construire
des cerfs-volants, à faire de la poterie, à développer des photos … On nous
enseignait un peu de législation et quelques règles de conduite, on nous
apprenait à chanter et à danser … Diplôme en poche, nous étions censés être fin
prêts pour diriger une équipe d’une quinzaine d’enfants l’été, pendant une
durée d’un mois. J’ai participé à l’encadrement des colonies de vacances
pendant dix ans et cela m’a permis d’aller dans les Alpes, dans le Massif
Central, en Provence, dans le Jura .. et même en Corse !
… Mais aussi dans … L’île
d’Oléron ! … Là, je connaissais, j’étais chez moi ! Dans les années
cinquante, il y avait des colonies de vacances partout, dans l’île d’Oléron.
Parfois, dans le même village, il y en avait deux ou trois, réunissant chacune plusieurs
centaines d’enfants … La plupart d’entre elles étaient organisées par les
comités des grosses entreprises, et particulièrement des entreprises
nationalisées. Les autres l’étaient par des municipalités, des départements,
appartenant le plus souvent à la grande couronne parisienne. Celles-là
affichaient clairement leurs options politiques leurs activités étaient
calquées sur celles des « pionniers » de l’U.R.S.S. – On entendait souvent chanter « L’internationa-a-le » … Ces
enfants étaient « l’Espoir du Genre Humain » !
J’avais déjà participé à l’encadrement
de colonies dépendant de l’E.D.F., par son C.C.O.S , autrement dit par son
comité des œuvres sociales. Là, on était très orienté politiquement aussi, mais
c’était moins voyant. J’avais aussi travaillé pour le comité de Klébert
Colombes, pour celui d’Air France, pour quelques autres encore, dont je ne me
souviens plus.
Lorsque je fus appelé à participer à
l’encadrement d’une colonie de vacances en Oléron, ce fut pour le compte de
« l’Enfance Coopérative » et l’établissement se situait à
Boyardville, sur la pointe de sable qui se trouve à l’embouchure du
« Grand Canal ». C’est une grande maison rose, qu’on appelle la
« Maison Heureuse ». Elle s’élève à l’emplacement où la Marine
Nationale avait géré pendant longtemps son « École des Torpilles » (avant
de l’expédier à Saint-Mandrier).
Je n’avais pas la moindre idée de ce que
c’était, « L’Enfance Coopérative » … J’apprendrai plus tard que cela avait quelque chose à voir
avec la « Coopérative d’Aunis et Saintonge » qui tenait commerces
d’épiceries dans à peu près chaque village charentais. La colonie de la
« Maison Heureuse » était organisée par le comité d’entreprise de la
coopérative.
Plusieurs centaines d’enfants
fréquentaient cette maison. Moi, je restais hors du bâtiment, puisque j’étais
moniteur d’une équipe d’adolescents. Nous couchions sous la tente. Le reste du
temps, nous allions à la plage toute proche : Nos garçons avaient tout le
loisir de courir sur le sable, de se baigner et de canoter ..
De canoter … Oui, parce que le directeur
du camp, qui était l’un de mes amis, instituteur à La Noue, dans l’île de Ré,
« Loulou » Gaucher, nous enseignait à fabriquer des kayaks … Rien de
moins ! … J’en ai construit des kayaks, plus tard, lorsque j’étais en
poste à Saint Jean d’Angély, mais nous n’avions ni les mêmes matériaux, ni les
mêmes moyens techniques : À Saint Jean, nous avions de la fibre de verre
et de la résine … À Boyardville, nous n’avions que du bois et de la toile de
bâche ! N’importe, nos kayaks
étaient réussis et ils flottaient ! Les « ados » étaient ravis.
« Loulou » était un homme
extraordinaire et sa jeune femme, Claudette, était charmante. Ils avaient tous
deux des qualités relationnelles remarquables et des dons manuels et artistiques
tout aussi remarquables.
Son épouse tordait bien un peu le nez lorsqu’une
monitrice un peu trop expansive approchait en chantonnant « Tu le sais
bien, Loulou … », chanson qui était à la mode à l’époque …
Mais si elle le tordait un peu, cela n’empêchait pas tous les garçons d’en être
plus ou moins amoureux … Moniteurs comme colons !
- « Cette
tempête … T’en souviens-tu ? Comme le vent soufflait ! Comme la pluie
tombait ! Des éclairs illuminaient par à-coups de lourds nuages noirs qui
filaient vers l’arrière-pays royannais … Tu t’en souviens ? … Les grands
peupliers qui formaient toute une allée, à proximité de nos longues tentes …
Tentes « hôpital », modèle militaire … Et tout d’un coup, un peuplier
qui tombe … D’un seul coup … avec un craquement sinistre … Il tombe, le
peuplier … Un arbre qui mesurait au moins vingt mètres de haut, sinon plus … Il
tombe … de toute sa longueur il se couche sur une tente … de toute sa longueur,
sur les têtes de toute une rangée de lits … Sur tout un côté de la tente.
Quelle peur nous avons eue, rétrospectivement ! … Un ange gardien devait
veiller : La sieste venait juste de finir … Il n’y avait plus personne
sous la tente … Tout le monde
était rassemblé au réfectoire pour le goûter.
« Loulou » savait aussi construire
des cerfs-volants … Pas des cerfs-volants triangulaires avec une queue d’un
mètre cinquante où tournoient des papillotes … Non, il nous apprenait à
construire d’énormes cerfs-volants « cellulaires » … Baguettes de
balsa, colle à bois, fil de ligature, papier huilé .. . On commençait par
construire une carcasse : Un prisme de deux mètres de long et cinquante
centimètres de large, des ailerons … Le tout tendu de papier huilé .. . Et
ça volait ! …Et même, cela montait très haut … Nous en avons fait
monter à plusieurs centaines de mètres de haut … Ensuite, « Loulou »
nous apprit à construire des « navigateurs » : Petits engins
triangulaires munis d’une voile et fixés par du fil de fer à la ficelle du
cerf-volant : ça montait, ça montait vite, ça montait jusqu’en haut et,
lorsque ça butait sur le cerf-volant, un déclic se produisait et le
« navigateur » larguait un parachute qu’on avait fixé là … Il
retombait lentement, en oscillant, et déposait à terre un soldat de plomb … Quelles
merveilles ! Mais nous perfectionnâmes
les choses : À la place du parachute, nous fixâmes un appareil
photographique et nous réussîmes ainsi à prendre des photographies aériennes.
Nos cerfs-volants étaient l’attraction des « baignassout’ » sur la
plage de Boyarville et au-delà.
Certains jours, j’emmenais mon équipe
faire connaissance avec la forêt. La forêt de Boyardville commence aux portes
de la Maison Heureuse. Après un bosquet de chênes verts, dépassé rapidement,
nous sommes dans la forêt de pins. J’apprends à mes colons à sentir, à
regarder, à respecter … On ne ramasse plus la résine des pins, mais les
gemmeurs n’ont pas disparu depuis longtemps : Il y a encore de petits pots
de terre cuite, fixés aux troncs des pins, tout en bas des saignées que l’on a
pratiquées, qui forment une blessure d’au moins un mètre de long : La
résine est encore là, figée, durcie, rendue opaque par le temps et par le
contact avec l’air. Elle colle aux doigts et sent la térébenthine à plein nez …
Qu’est-ce que ça sent bon ! … Évidemment, il faut apprendre à ne pas s’y
coller les doigts, à ne pas s’en mettre plein les vêtements, à ne pas en
barbouiller les camarades … Cela aussi, ça s’appelle de l’éducation ! On
trouve des champignons : Ne touchons pas aux champignons que nous ne
connaissons pas ! Il y a des mûres dans les ronces : On peut les
manger quand elles sont bien rouges, presque noires … Il y a des aiguilles de
pins partout, en couches épaisses, sèches : Craignons le feu et respectons
la forêt … On observera les coupe feu pratiqués par les agents des Eaux et
Forêts … On observera les coupes de bois. On verra comment on éclaircit les
arbres, comment on les taille, comment on les sélectionne pour ne laisser
monter que les individus les plus beaux … D’ailleurs, nous avons pris
rendez-vous avec le garde forestier, à La Nouette, où se trouve la maison
forestière. Le garde forestier nous recevra pour nous expliquer les
réglementations relatives aux forêts,. Il nous détaillera les différents
travaux, tout au long du cours de l’année, nous montrera les plates-formes sur
lesquelles il fait sécher les cônes : Ils s’ouvrent en craquant, laissent
échapper les graines… Qui ont des ailes ! Il nous raconte … Comment on
fait les semis, comment sont faites les adjudications des coupes …
-
« Te souviens-tu de
ce jour ? – Nous étions allés à bicyclette jusqu’à la plage de Gatseau, du
côté de Saint Trojan … Une camionnette nous avait apporté le repas : La
salade de lentilles s’était échauffée … Ah ! … L’épidémie de diarrhées !
… Tous y étaient passés, moniteurs comme colons …
-
C’est ça, l’apprentissage de la vie en commun,
non ? – Remarque, c’est aussi l’apprentissage de la nécessité et de
l’initiative personnelle : Je n’ai jamais revu une situation
pareille : Tout le monde courait, courait … Dans tous les sens !
Tu vois comme on se fait des
souvenirs !
Les « colos », c’était tout de
même pas mal ! …Et les enfants des villes faisaient, en un mois, leur
plein d’activités de plein air, de nature, de mer et de joie …
On chante des rengaines idiotes …
« Un
kilomètre à pied, ça use, ça use
Un kilomètre à pied, ça use les souliers … »
Le soir, à la veillée, devant le fort
qui jouxte la « Maison Heureuse », enveloppé dans une couverture, on
chante encore :
« Monte
flamme légère
Feu
de camp si chaud si bon … »
Et, à tout bout de champ, on s’égosille :
« À la
claire fontaine
M’en allant promener
J’ai trouvé l’eau si
belle
Que je m’y suis
baigné … »
Ou bien, traditionnellement :
« Ne pleure pas Jeannet … et…te,
Nous te marillerons
Nous te marillerons …
Ah ! Les jeux de ballon … Les
cris dans les rouleaux qui déferlent …
C’était dans les années cinquante ou
soixante … Plus d’un ancien « colon », devenu adulte et ayant un
métier, une femme et des enfants reviendra en Oléron … Chaque année, pendant
les congés d’été .. C’est ainsi que s’est constitué le peuple des vacanciers
d’Oléron …
De nos jours, la plupart des colonies de
vacances sont fermées (et leurs
bâtiments, les terrains qu’ils occupent sont guignés par les promoteurs
immobiliers.) Les familles qui
viennent en Oléron louent des mobile-homes … Il n’y a plus de moniteurs de
« colo », mais il y a, dans les terrains des « hôtels de plein
air », des piscines avec des tremplins, des courants et des remous, des
« animateurs » et des Maîtres-Nageurs-Sauveteurs ». On ne va
plus à la plage à pied, en file indienne, et en chantant !
-
«En vacances, on
peut bien emmener les enfants avec nous, puisqu’il y a, dans l’enceinte du
camp, quelqu’un pour s’en occuper ! »
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