LA LÉGENDE DU MARAIS
CHAT
*
Confortablement
roulée dans le fond de la grange, la chatte de la mère Counil a mis bas. Elle
s’est bien cachée, la mâtine et nul n’a pu la découvrir ! Pourtant, la
semaine suivante, celui qui l’aurait vue chasser par les nuits sans lune eût
peut-être deviné le mystère … Elle se traînait, hâve, maigre à faire peur et
cent fois dans la journée pour le moins, elle faisait le chemin qui conduisait
au grenier … Chaque fois revenant avec une souris grasse et dodue. La chatte de
la mère Counil avait-elle mis bas une portée trop importante et le nombre de
bouches à nourrir était-il si grand qu’elle en fût épuisée ? - Eh,
non ! La chatte n’avait qu’un seul enfant, mais quel enfant ! Le
lendemain de sa naissance, il était déjà aussi gros que sa mère, ou presque …
Alors
que la chatte, épuisée, exhalait son dernier soupir, on eût pu voir sortir de la grange un véritable monstre…
C’était bien juste s’il passait par la porte. Vous me direz qu’avec une taille
pareille, on aurait bien dû le découvrir depuis longtemps … Sans doute, mais
c’était la belle saison et les bêtes étaient au pré : On venait rarement
dans la grange.
Pendant
longtemps encore on n’entendit pas parler du chat monstrueux.
Puis,
un jour, on s’aperçut que les poules désertaient les poulaillers, les pigeons
les colombiers et bientôt les chèvres leur étable … On en perdait la trace et
on se perdait en conjectures .. . On se soupçonnait l’un l’autre, on
s’accusait, on s’épiait et l’on n’invitait plus son voisin à boire un coup dans
les chais. On allait probablement en venir aux mains … Lorsque survint
Pirouitt, le simple d’esprit, l’idiot du village … Il rapportait qu’au clair de
la lune, alors qu’il suçait la rosée sur une feuille de laurier, il avait vu un
énorme chat « bien plus gros qu’un énorme bœuf » … Il sortait du
village en emportant quatre canards, six poulets et un chevreau dont le sang
inondait ses moustaches et ses babines.
On se
moqua, on hua, on siffla … Et pourtant … Les veaux maintenant disparaissaient
et, plusieurs fois, on trouva des traînées de sang conduisant vers les bois ou
les marais … Un soir, enfin Pirouitt mena les plus courageux, armés jusqu’aux
dents, dans les marais. Ils marchaient à reculons pour pouvoir s’enfuir plus
vite en cas de besoin … On vit un énorme tas d’ossements broyés et blanchis.
Juste au moment où l’on vit les feuilles bouger … On prit ses jambes à son cou
… Quatre courageux disparurent ce jour-là, or il n’y en avait que cinq en tout
dans le village. Le dernier assura que le chat les avait mangés, mais d’autres
m’ont dit qu’ils étaient partis chercher fortune en Amérique …
On
tint conseil et l’on décida … De nommer une commission … La commission proposa
de monter une expédition punitive. Oui, mais voilà … Qui irait ?
Les
plus hardis pensaient que, puisque Pirouitt avait été le premier à voir
l’animal, c’était lui qui devait y aller … Chacun trouva ce conseil fort sage.
On offrit des armes. Pirouitt les refusa et, tandis qu’il partait, un brin de
paille à la bouche, on pria pour lui.
Pirouitt
jugea … Il n’était pas si fol ! que
ce gros chat certainement, n’avait pas vu de souris depuis fort
longtemps, incapable qu’il était de se glisser sous,les chatières et sous les
fagots …
Il
emporta donc, dans la seule de ses poches qui ne fût pas percée, une … Petite
souris blanche !
Face à face avec le monstre, au détour d’un
étier, il sortit sa petite souris … Et le chat se sauva à toute vitesse !
… Vous savez, même les éléphants ont peur des souris : Ils craignent
qu’elles ne se faufilent à l’intérieur de leur trompe … Le chat se sauva si
vite que, faute de regarder devant lui, il tomba dans le marais et s’y noya.
C’est depuis
ce temps-là que le marais de Chaucre s’appelle le « Marais Chat ».
Quant
à Pirouitt, on décida de lui faire une statue et de l’ériger devant la mairie.
Mais …. Tout bien réfléchi, on jugea moins coûteux de lui offrir un vieux
chapeau de feutre tout percé au travers duquel, en le tenant devant les yeux,
on pouvait voir les étoiles …
Pirouitt,
pour sa part, estima ce cadeau fort préférable car, à quoi servirait une tête,
si ce n’est à être garnie d’étoiles et de rêves ?
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