LES LUMIÈRES DE CHASSIRON
Art populaire : Décor sur une cabine de bains - La Brée-les-Bains.
Lorsque tu vas à
l’ouillage … Et d’abord, si tu n’as jamais pratiqué ce genre de pêche, n’y
vas pas seul, suis un praticien confirmé : D’autres y ont laissé la
peau ! Lorsque tu vas ainsi pêcher la nuit … Par une nuit
bien noire : Ce sont celles qui sont les plus propices, les nuits de
« lune noire » … Tu entres dans l’eau à pied, parfois jusqu’à la
ceinture et même au-dessus. Tu as ta corbeille dans le dos, ton espiot’ à la
main, sans doute une épuisette à manche raccourci, portée en bandoulière dans
le dos grâce à une cordelette que tu passes derrière ton cou … Tu as peut-être
de lourdes et hautes bottes que l’on appelle des cuissardes … Elles remontent
jusqu’aux hanches … Ou bien tu as enfilé carrément une combinaison qui, d’une
seule pièce, te couvre de la pointe des pieds à la poitrine, équipée de
bretelles passant sur les épaules … Remarque bien que je ne te conseille pas un
pareil équipement : Trop lourd, trop encombrant et, somme toutes, inutile
pendant la saison d’été : L’eau de mer n’est pas froide et, avec un bon
pull-over et des sabots de caoutchouc … Percés les sabots … percés car cela
permet de les vider … Pourquoi traîner des sabots alourdis, pleins d’eau ?
Dans la main
restée libre par l’espiot’ , tu portes une lampe à carbure : c’est la
seule qui éclaire suffisamment devant toi. Elle étale une belle nappe de
lumière, bien large … Les poissons y viennent comme les papillons viennent à la
lumière de la lampe à pétrole. Tu n’as plus qu’à viser et leur taper sur la
tête avec ton sabre en fer forgé …
J’ai pratiqué ce
genre de pêche bien souvent, toujours par des nuits sans lune … Repère toi aux
lumières des phares … On ne sait jamais … Les brouillards sont vite arrivés,
les côtes et les bancs de roches, les sables des plages disparaissent …
Tu ne sais plus où tu es … D’autres l’ont payé de leur
vie : Souviens-toi … J’avais vingt ans … Douze personnes ont péri, noyées
au creux Jean-Charles, à Bellevue, tout près de la Perrotine. Douze personnes
qui étaient parties pêcher à la senne sur les sables … Et la brume s’est
abattue … Et la mer a monté … Et ils ont perdu tous leurs repères … Un
seul est revenu !
Si le brouillard
survient, alors … rentre chez toi sans hésiter … Tu retourneras une autre fois
à l’ouillage !
Mais toutefois,
si la brume est absente, si elle est vraiment légère … Regarde en face … Vers l’île
d’Aix … Il y a deux phares … garde les à l’Est par rapport à toi.
Illustration : Tableaux de Daniel Bergagna
Atelier à L'Éguille, St. Pierre d'Oleron.
Je me place là
dans une situation que je connais bien … Celle que je connais le mieux :
Je pêche à marée montante, dans l’anse de la Malconche, entre Foulerot et
Saint-Denis. Tu as au Nord Est le feu de Chauveau : Il indique la
direction du port de La Pallice … Au Nord, tu vois le phare des Baleines … Un
phare puissant, qui se trouve à la pointe extrème de l’île de Ré, marquant
l’entrée du pertuis Breton. Et puis au Nord Ouest, tu as le phare de Chassiron,
marquant l’entrée du pertuis d’Antioche. C’est sur ces feux, qu’il faut que tu
te guides … Ils te permettront de toujours savoir où se trouve la côte qu’il te
faudra regagner.
Chassiron …
C’est le phare le plus proche … Il a un éclat toutes les dix secondes … Tu les
comptes … Tu ne peux pas te tromper : Tu ne peux le confondre avec nul
autre : Toutes dix secondes, un pinceau lumineux qui tourne dans le ciel,
en allant dans sens des aiguilles d’une montre … Mais tu l’as bien repéré en
plein jour, derrière le port de Saint-Denis … De jour, on aperçoit sa haute
tour par-dessus les blanches maisons du village, par-dessus les grands cyprès …
Sa haute tour qui s’élève à quarante trois mètres au-dessus des falaises du
« Bout du Monde ». Elle est blanche, avec trois bandes horizontales
noires, pour que les marins puissent aisément la distinguer de la tour des
Baleines, toute blanche, elle …
Chassiron, qui s’élève là depuis 1836 …
(La première route, épine dorsale de l’île d’Oléron, a été construite pour
permettre l’édification du phare.)
Chassiron … La tour qui
remplace celle que l’on construisit à l’époque de Louis XIV, pour guider les
navires entrant au port de Rochefort ou sortant de son arsenal … Chassiron, qui
n’a pas suffi à empêcher les naufrages : Les rochers d’Antioche, tout
près, sont jonchés de débris et d’épaves… Depuis, on a construit la tour
d’Antioche, édifiée pendant la première guerre mondiale … Le pertuis est
maintenant balisé et les naufrages sont devenus rares. Ils sont devenus
d’autant plus rares que, juste à côté de la tour de Chassiron se trouve le
sémaphore … Il est équipé de puissants moyens de radio guidage … C’est de là,
de la tour du sémaphore, que mon père, alors président de la Société de Secours en Mer … C’est de là qu’il suivait les
efforts de l’équipage du canot de sauvetage de la Cotinière … Je l’y ai
accompagné plusieurs fois : Ah ! La veille en haut de la tour du
sémaphore ! … Les grésillements du poste récepteur …Ces voix venues l’on
ne sait d’où ! La nuit alentour … Le son des rouleaux qui déferlent sur
les rochers ! Mais l’étoile des faisceaux lumineux de Chassiron !
Chassiron fut équipé initialement d’une
lampe à huile, puis d’une autre fonctionnant au gaz d’acétylène et enfin,
depuis 1905, il fonctionne à l’électricité. Depuis 1998 l’éclairage est
automatisé. Il n’y a plus de gardien à Chassiron … Ah ! Les gardiens de
phares … Ils en ont nourri des rêves et des légendes ! Il n’y a plus de
gardien de phare à Chassiron et le phare a été confié à la commune de
Saint-Denis … Qui l’a équipé pour en faire un « parcours » muséal …
On visite le phare, moyennant une petite somme … Et l’on peut, du haut de la
lanterne, après avoir gravi 224 marches d’escalier … On peut contempler L’île
de Ré, La Rochelle, Chatelaillon et toute une moitié d’Oléron … On peut aussi
rêver à tous les grands voiliers qui sont passés là devant, à tous les bateaux
de pêche appareillant pour des courses lointaines ou pour les bancs plus
proches … On peut rêver … Devant le port de La Pallice
il y aura certainement quelques cargos ou quelques
pétroliers en attente d’accostage au môle d’escale …
-
Ah ! .. « Où
sont-ils, ces marins et ces capitaines … Partis un jour pour des courses
lointaines ? »
Au pied du phare, on a aménagé un jardin
en forme de rose des vents … Il est surprenant … Il est superbe .. . Il
est classé parmi les
« Jardins remarquables ».
Mais venir à Chassiron la nuit ! … Ah ! …
S’asseoir ou, mieux, s’allonger au pied du phare … Lever la tête vers la
lanterne … Voir tourner les pinceaux lumineux … Tous ensemble alors qu’à
distance, on n’en perçoit jamais qu’un seul, toutes les dix secondes … Un
pinceau blanc.
Chassiron, de ses huit faisceaux lumineux, est visible
jusqu’à cinquante-deux kilomètres par temps clair. Le spectacle de ses huit
faisceaux, tournant à la fois, tous dans le même sens : Immense fleur de
lumière tournant, tournant lentement, régulièrement … Toutes les dix secondes,
la tour du sémaphore s’illumine, puis s’éteint, puis s’illumine encore …
Quelques tamaris, quelques cyprès … Comme des illuminations de Noël …
-
« De Chassiron à
Juliette-Gaston Conchon … Où êtes-vous ? êtes-vous arrivés sur zone ?
– Répondez … »
-
« De
Juliette-Gaston Conchon à Chassiron … Non, on n’est pas encore sur zone, mais
on doit en être proches maintenant. La mer nous brasse, mais ça va … Chassiron,
restez à l’écoute, je vous rappellerai … »
C’est encore une fois un chalutier qui est en
perdition … Trois hommes à son bord … Il ne donne plus de nouvelles depuis une
demie- heure …
L’étoile lumineuse à huit branches tourne toujours …
Elle tournera jusqu’au petit matin …
Un vol de bernaches se fait prendre à l’attrait de la
lumière : Autant d’étoiles filantes qui s’allument, puis s’éteignent pour
se rallumer au passage du faisceau suivant : Souvent, des oiseaux
migrateurs se heurtent aux vitres de la lanterne … On fait ce qu’on peut pour
leur éviter la fatalité des chocs … Le phare est équipé pour ça.
L’air sent le varech : On l’utilise pour engraisser
le sol des vignobles. Il sent aussi le tamarin et … L’artichaut … Je ne sais
pas pourquoi, mais j’ai toujours connu des champs d’artichauts autour de
Chassiron … Sans doute, ce doit être une plante qui ne craint ni le vent, ni
les embruns …
-
« De
Juliette-Gaston Conchon à Chassiron … M’entendez-vous ? Parlez … »
-
« Chassiron …
Chassiron vous reçoit cinq sur cinq … Juliette-Gaston Conchon, parlez … »
-
« Bon, tout est
fini … On a les trois gars à bord … On rentre à La Cotinière … »
Les
marins ne sont pas bavards … Je n’en saurai pas plus pour le moment …
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http://oleron-saint-georges-michel-savatier.blogspot.fr/
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