LES
LAPINS
Feuilles d'herbe ....
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« Allez, les
enfants … Montez dans la voiture : On va voir les lapins ! »
Mes quatre enfants montent dans la voiture. Il est
vingt et une heure passées. Il fait noir. Le ciel est de velours, mais un
velours bleuté, tout piqué d’étoiles d’or et d’argent. À l’Est, presque au ras
de l’horizon, un croissant de lune, brillant comme un miroir, s’est élevé
au-dessus des grands cyprès. La journée a été belle, mais nous sommes restés à
la maison, dans le jardin … Trop de monde sur les routes étroites de la
campagne oléronnaise : On ne met guère le nez dehors quand les
« baignassout’ » sont
partout … Aller à la plage ? – Et où garerait-on la voiture ?
Mais c’est maintenant le soir : Les automobiles sont devenues plus rares
...
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« Allez, les
enfants … Montez dans la voiture : On va voir les lapins ! »
Cris de joie. On s’installe.
- « Où va-t-on ? »
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« Dans les
Cordières. Et puis après, tu nous emmèneras sur la route des huîtres. On y voit
toujours beaucoup de lapins. Quelques lièvres même, parfois.
L’île d’Oléron, c’est le royaume des lapins de
garenne. Il y en a toujours eu d’ailleurs puisque, aussi haut que l’on remonte
dans la lecture des documents historiques, les tenants des seigneuries d’Oléron
recevaient leur tribut en lapins !
En saison d’été, la chasse n’est pas ouverte, bien
sûr, mais tout le monde sait que .. .
-
« Oh, Julot !
Il pose des collets dans les dunes … Et il n’est pas le seul ! »
Vous savez ce que c’est que des collets … Raboliot en
posait lui aussi, Raboliot le braconnier … Un lacet de fil de laiton … Faire un
nœud coulant … Attacher
l’extrémité du fil à une racine ou à un petit piquet … On ouvre bien le nœud
coulant sur le passage présumé des lapins : à l’entrée d’un terrier dans
la dune, ou bien dans l’herbe du talus, dans la « passée » que l’on
distingue sous les ronces … Pas besoin d’appât … Le lapin passe par là, le
lacet le prend au cou … L’animal se débat … Ce qui ne fait que serrer le nœud
d’avantage. Il est pris, il est étranglé. Il n’y a plus qu’à le ramasser et le
mettre dans le carnier … Julot
passera tous les matins et même tous les soirs, pour vérifier ses lacets et
ramasser ses prises.
Quand je vous disais qu’il y en a partout, des
lapins … Même mon père et mon oncle Marc parviennent à en tuer quelques-uns, le
jour de l’ouverture de la chasse, en automne. Il faut dire qu’il en sort de
partout … Les chiens n’ont pas de mal à les déloger.
-
« Lucien … À
toi ! »
-
« Où Bon
Dieu ? »
-
« Là … Du côté des prunelliers
.. »
-
« Pan !
Pan ! »
Doublé : C’est manqué !
Ni mon oncle, ni mon père ne sont d’excellents fusils
mais … Aller aux lapins, c’est toujours promener le chien et le fusil … Et
puis, il y en a tant ! Il arrive parfois que l’un ou l’autre en ramène un.
Alors ma mère fera la gibelotte … Qu’est-ce que ça sent bon !
- « Les lapins m’ont encore mangé les trois quarts de mes légumes, dans le potager … Il ne me reste plus une carotte … Plus une ! »
-
« Hier au soir, au
clair de lune, il y en avait tout un peuple, dans la luzerne, à côté de chez
Louis Thibaudeau … On aurait dit qu’ils tenaient une assemblée générale :
Ils étaient tous assis sur leur cul, tout en rond.
-
On se serait attendu à
en entendre un prendre la parole, comme le lapin de Lewis Carrol … Celui qui
philosophait avec Alice, au Pays des Merveilles ! Oléron, c’est le Pays
des merveilles ! Les lapins y tiennent assemblées sous la lune. On est
tout surpris de trouver, en larges et parfaits cercles, au petit matin, tous
les petits paquets de crottes qu’ils nous ont laissées : Leurs conciliabules
ont duré pendant longtemps !
- « Oui, mais ça commence à m’échauffer les
oreilles : J’avais planté toute une rangée de jeune vigne … Ils en ont
dévoré la moitié ! C’est quand même terrible : Je suis obligé de
protéger chaque plant en l’entourant d’un cylindre de grillage … Et encore, en
grattant, ils parviennent à soulever le grillage ! »
Tout le monde sait bien que les Bouyer … Le père et le
fils, chassent au furet … D’ailleurs, tout le monde chasse au furet … Ou tout
le monde a chassé un jour comme cela ! … Un joli petit animal, le furet, à
fourrure toute douce … Et caressant comme pas un ! … Mais des petits yeux
cruels et des dents pointues ! Le furet vit dans une cage, on le nourrit,
on le choie. Et puis un jour, on le met dans un sac et on l’emporte dans les
dunes, au petit matin. On a repéré les terriers des lapins … On a placé un
homme à l’une des entrées du terrier, avec son fusil tout prêt … Les autres
entrées, on y a fixé une « poche » de filet, une
« bourse », dans laquelle le lapin se prendra quand il bondira hors
de terre. On glisse le furet dans un trou de lapin … Et on attend .. . Le
furet chemine en souterrain … Cela « racasse » là-dedans … Un bruit de
raclements, de frottements …
-
« Attention … Cela
va sortir ! »
Cela sort, comme un obus … « Pan !
Pan ! … Doublé, mais cette fois-ci, c’est parce qu’il y avait deux lapins
… Ils sont sortis l’un après l’autre … On les a eus tous les deux ;
-
« Pan ! »
Celui-là, je ne l’attendais pas : Il est sorti
d’un autre côté, par une ouverture de terrier que je n’avais pas repérée … Au
total, six ou huit lapins de garenne ont jailli du sol … On attend la sortie du
furet, que l’on récompensera …Cinq lapins sont dans la gibecière. Je ne sais
pas très bien si ce genre de chasse est légal ou pas : Je crois qu’en
certaines époques de l’année, il est toléré … Après tout, on chasse bien les
lapins en organisant des battues !
Avez-vous
participé à une battue, parfois ? cela m’est arrivé … C’était une battue
organisée par la société de chasse de Saint Georges. Tous les membres de la
société étaient convoqués au petit matin … Cela se passait dans les Près Valet,
alors touffus à souhait et marécageux au possible : On pataugeait dans
l’eau et des bécasses partaient dans nos pas, au moins autant que de lapins !
Les chiens, que l’on avait lâchés, faisaient un tapage épouvantable et les
rabatteurs battaient les buissons avec de longues triques.
Je ne suis guère meilleur chasseur que mon père ou mon
oncle Marc. Mon fusil – C’était celui du « Gros Pierre » … Il me
l’avait prêté juste avant sa mort … J’en étais donc devenu le propriétaire. Je
n’avais pas emmené de chien … Je n’en avais pas et si j’en avais eu un, je me
serais bien gardé de l’emmener : Au cours d’une battue, les coups de feu
partent dans tous les sens et plus d’un y a laissé son chien !
Vous me croirez ou pas … Je n’ai pas vu un seul lapin,
au cours de cette battue … Écoeuré, j’étais … Il est très frustrant de voir
partir des palombes, des bécasses … Et de ne pas pouvoir les tirer ! C’est
une battue au lapin, pas d’autre gibier ! j’ai encore en mémoire le petit
trot provocateur et insolent d’un beau sanglier qui traversait une clairière
sans qu’aucun coup de fusil ne l’ait même salué !
Je n’avais pas vu de lapin … J’avais abandonné la
battue sur le coup de dix heures sonnant au clocher … Le soir, vers dix-sept
heures, quelqu’un cogna à ma porte : On avait étalé le tableau de chasse …
Il y avait plus d’une centaine de lapins de garenne … On avait fait le partage
et … On m’apportait deux lapins ! Ils furent les bienvenus !
-
« Une centaine de
lapins ? »
-
« Eh oui, que
voulez-vous … Il y en a tellement qu’il faut bien s’en débarrasser de temps à
autre : Ils dévorent tout ! »
La voiture s’engage dans le chemin des
Cordières. Il n’est pas goudronné. Il va presque tout droit à travers les
vignes, tout de son long … Jusqu’à la route de Plaisance, qu’il rattrape dans
l’angle d’un virage, face à de grands marais salants bordés de tamarins … (On ne dit pas
« tamaris », chez nous ! ).
Exclamations des
enfants :
-
« En voilà
un ! deux … trois ! … »
Dans les Cordières, on est toujours
certain de trouver des lapins, surtout la nuit : Ils étaient là, sur le
chemin, à batifoler entre eux, à courir, à « bavarder » … Je crois
aussi qu’ils se tiennent sur le chemin, tout simplement pour se réchauffer le
ventre sur les pierres de calcaire blanc que le rouleau compresseur a écrasées.
Ils sont pris dans les faisceaux lumineux de mes phares. La lumière les aveugle
… Où iraient-ils, puisqu’ils ne voient plus rien ? …
Oh ! Je sais bien qu’il y en a qui
n’ont pas trop de scrupules ! … J’en connais un que les gendarmes ont
pris : Ils avaient découvert dans le coffre de sa voiture … Une bonne
dizaine de lapins … Il suffit de bien viser : Les prendre entre les roues
pour ne pas les écrabouiller … En général, la tête est heurtée au passage du
pont arrière … L’animal est tué net, mais il reste intact. Ils sont nombreux,
ceux qui se livrent à ce genre de pratique illégale ! … Nous, on se
contente de les regarder, les lapins … Et croyez-moi : Il y en a !
Maison traditionnelle à La Brée-Les-Bains
C’est parti pour la route des huîtres,
le long de la côte, entre les Allards et Le Château … Là aussi, on est sûr de
trouver des lapins en quantité … Parfois même un beau lièvre, avec ses oreilles
toutes dressées. Lui aussi , il est statufié par la lumière … Si on voulait …
Une fois … Une
seule fois, j’ai posé des collets, entre Plaisance et le Douhet … Dans les
dunes … À cette époque, il n’y avait pas une seule maison, entre Plaisance et
le Douhet … C’était le royaume des lapins ! … Les Bouyer le savaient bien,
eux qui demeuraient là, juste à côté.
Triste aventure,
mais on a tous, je crois, en nous l’instinct du braconnage … Au moins un petit
peu … Triste aventure, parce que, lassé de m’être dérangé pour rien les deux
jours suivants … ( j’avais trouvé mes pièges vides) … Lassé, je m’étais abstenu de faire la tournée le
troisième jour … Le quatrième, j’ai bien trouvé un lapin : Il était pris
dans l’anneau de fil de laiton … Pris depuis la veille … Mort étranglé en se
débattant … Et parfaitement inconsommable : La chaleur avait fait son
œuvre … Il était déjà en parfait état de décomposition et les mouches
abondaient sur sa dépouille !
Je n’ai plus
jamais posé de collets … Je désamorce ceux que je rencontre parfois dans mes
promenades …
Cabine de bains - Plage de La Brée-Les-Bains.
Cabine de bains - Plage de La Brée-Les-Bains.
Mais il n’y a plus
guerre de lapins maintenant … La myxomatose les a décimés : Ô, les pauvres
lapins aux yeux gonflés, fermés ! Les pauvres lapins de tous âges … Tassés
sur eux-mêmes au bord des chemins … Prêts à mourir sans même bouger ! …
Des hécatombes de lapins ! … Certains ont survécu … Assez peu d’entre
eux … À l’heure actuelle, leur
nombre a tendance à s’accroître … Peut-être ont-ils développé des anticorps qui
leur permettent de mieux lutter contre l’épidémie ? En tout cas … Honte à
celui qui, pour débarrasser son jardin de ces petits animaux, leur a très
intentionnellement inoculé la myxomatose !
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