lundi 2 septembre 2013

LES LAPINS ...











LES  LAPINS

                         
                                   Feuilles d'herbe ....
 -       «  Allez, les enfants … Montez dans la voiture : On va voir les lapins ! »

Mes quatre enfants montent dans la voiture. Il est vingt et une heure passées. Il fait noir. Le ciel est de velours, mais un velours bleuté, tout piqué d’étoiles d’or et d’argent. À l’Est, presque au ras de l’horizon, un croissant de lune, brillant comme un miroir, s’est élevé au-dessus des grands cyprès. La journée a été belle, mais nous sommes restés à la maison, dans le jardin … Trop de monde sur les routes étroites de la campagne oléronnaise : On ne met guère le nez dehors quand les « baignassout’ » sont  partout … Aller à la plage ? – Et où garerait-on la voiture ? Mais c’est maintenant le soir : Les automobiles sont devenues plus rares ...

-       «  Allez, les enfants … Montez dans la voiture : On va voir les lapins ! »

Cris de joie. On s’installe.

- « Où va-t-on ? »

-       «  Dans les Cordières. Et puis après, tu nous emmèneras sur la route des huîtres. On y voit toujours beaucoup de lapins. Quelques lièvres même, parfois.

L’île d’Oléron, c’est le royaume des lapins de garenne. Il y en a toujours eu d’ailleurs puisque, aussi haut que l’on remonte dans la lecture des documents historiques, les tenants des seigneuries d’Oléron recevaient leur tribut en lapins !

                                             
                                                                           Fleur de salsifi


En saison d’été, la chasse n’est pas ouverte, bien sûr, mais tout le monde sait que .. .
-       « Oh, Julot ! Il pose des collets dans les dunes … Et il n’est pas le seul ! »

Vous savez ce que c’est que des collets … Raboliot en posait lui aussi, Raboliot le braconnier … Un lacet de fil de laiton … Faire un nœud coulant  … Attacher l’extrémité du fil à une racine ou à un petit piquet … On ouvre bien le nœud coulant sur le passage présumé des lapins : à l’entrée d’un terrier dans la dune, ou bien dans l’herbe du talus, dans la « passée » que l’on distingue sous les ronces … Pas besoin d’appât … Le lapin passe par là, le lacet le prend au cou … L’animal se débat … Ce qui ne fait que serrer le nœud d’avantage. Il est pris, il est étranglé. Il n’y a plus qu’à le ramasser et le mettre dans le carnier …  Julot passera tous les matins et même tous les soirs, pour vérifier ses lacets et ramasser ses prises.

Quand je vous disais qu’il y en a partout, des lapins … Même mon père et mon oncle Marc parviennent à en tuer quelques-uns, le jour de l’ouverture de la chasse, en automne. Il faut dire qu’il en sort de partout … Les chiens n’ont pas de mal à les déloger.

-       « Lucien … À toi ! »
-       « Où Bon Dieu ? »
-        « Là … Du côté des prunelliers .. »
-       « Pan ! Pan ! »   Doublé : C’est manqué !

Ni mon oncle, ni mon père ne sont d’excellents fusils mais … Aller aux lapins, c’est toujours promener le chien et le fusil … Et puis, il y en a tant ! Il arrive parfois que l’un ou l’autre en ramène un. Alors ma mère fera la gibelotte … Qu’est-ce que ça sent bon !

                                         




























-       «  Les lapins m’ont encore mangé les trois quarts de mes légumes, dans le potager … Il ne me reste plus une carotte … Plus une ! »

-       «  Hier au soir, au clair de lune, il y en avait tout un peuple, dans la luzerne, à côté de chez Louis Thibaudeau … On aurait dit qu’ils tenaient une assemblée générale : Ils étaient tous assis sur leur cul, tout en rond.

-       On se serait attendu à en entendre un prendre la parole, comme le lapin de Lewis Carrol … Celui qui philosophait avec Alice, au Pays des Merveilles ! Oléron, c’est le Pays des merveilles ! Les lapins y tiennent assemblées sous la lune. On est tout surpris de trouver, en larges et parfaits cercles, au petit matin, tous les petits paquets de crottes qu’ils nous ont laissées : Leurs conciliabules ont duré pendant longtemps !

- «  Oui, mais ça commence à m’échauffer les oreilles : J’avais planté toute une rangée de jeune vigne … Ils en ont dévoré la moitié ! C’est quand même terrible : Je suis obligé de protéger chaque plant en l’entourant d’un cylindre de grillage … Et encore, en grattant, ils parviennent à soulever le grillage ! »
                                                           
                                                                   
                                                                    Fleurs de jasmin à La Brée-Les-Bains.

Tout le monde sait bien que les Bouyer … Le père et le fils, chassent au furet … D’ailleurs, tout le monde chasse au furet … Ou tout le monde a chassé un jour comme cela ! … Un joli petit animal, le furet, à fourrure toute douce … Et caressant comme pas un ! … Mais des petits yeux cruels et des dents pointues ! Le furet vit dans une cage, on le nourrit, on le choie. Et puis un jour, on le met dans un sac et on l’emporte dans les dunes, au petit matin. On a repéré les terriers des lapins … On a placé un homme à l’une des entrées du terrier, avec son fusil tout prêt … Les autres entrées, on y a fixé une « poche » de filet, une « bourse », dans laquelle le lapin se prendra quand il bondira hors de terre. On glisse le furet dans un trou de lapin … Et on attend .. . Le furet chemine en souterrain … Cela « racasse » là-dedans … Un bruit de raclements, de frottements …

-       «  Attention … Cela va sortir ! »

Cela sort, comme un obus … « Pan ! Pan ! … Doublé, mais cette fois-ci, c’est parce qu’il y avait deux lapins … Ils sont sortis l’un après l’autre … On les a eus tous les deux ;

-       « Pan ! »

Celui-là, je ne l’attendais pas : Il est sorti d’un autre côté, par une ouverture de terrier que je n’avais pas repérée … Au total, six ou huit lapins de garenne ont jailli du sol … On attend la sortie du furet, que l’on récompensera …Cinq lapins sont dans la gibecière. Je ne sais pas très bien si ce genre de chasse est légal ou pas : Je crois qu’en certaines époques de l’année, il est toléré … Après tout, on chasse bien les lapins en organisant des battues !

Avez-vous participé à une battue, parfois ? cela m’est arrivé … C’était une battue organisée par la société de chasse de Saint Georges. Tous les membres de la société étaient convoqués au petit matin … Cela se passait dans les Près Valet, alors touffus à souhait et marécageux au possible : On pataugeait dans l’eau et des bécasses partaient dans nos pas, au moins autant que de lapins ! Les chiens, que l’on avait lâchés, faisaient un tapage épouvantable et les rabatteurs battaient les buissons avec de longues triques.

Je ne suis guère meilleur chasseur que mon père ou mon oncle Marc. Mon fusil – C’était celui du « Gros Pierre » … Il me l’avait prêté juste avant sa mort … J’en étais donc devenu le propriétaire. Je n’avais pas emmené de chien … Je n’en avais pas et si j’en avais eu un, je me serais bien gardé de l’emmener : Au cours d’une battue, les coups de feu partent dans tous les sens et plus d’un y a laissé son chien !

Vous me croirez ou pas … Je n’ai pas vu un seul lapin, au cours de cette battue … Écoeuré, j’étais … Il est très frustrant de voir partir des palombes, des bécasses … Et de ne pas pouvoir les tirer ! C’est une battue au lapin, pas d’autre gibier ! j’ai encore en mémoire le petit trot provocateur et insolent d’un beau sanglier qui traversait une clairière sans qu’aucun coup de fusil ne l’ait même salué !

Je n’avais pas vu de lapin … J’avais abandonné la battue sur le coup de dix heures sonnant au clocher … Le soir, vers dix-sept heures, quelqu’un cogna à ma porte : On avait étalé le tableau de chasse … Il y avait plus d’une centaine de lapins de garenne … On avait fait le partage et … On m’apportait deux lapins ! Ils furent les bienvenus !

-       «  Une centaine de lapins ? »
-       « Eh oui, que voulez-vous … Il y en a tellement qu’il faut bien s’en débarrasser de temps à autre : Ils dévorent tout ! »

La voiture s’engage dans le chemin des Cordières. Il n’est pas goudronné. Il va presque tout droit à travers les vignes, tout de son long … Jusqu’à la route de Plaisance, qu’il rattrape dans l’angle d’un virage, face à de grands marais salants bordés de tamarins …  (On ne dit pas « tamaris », chez nous ! ).

Exclamations des enfants :

-       « En voilà un ! deux … trois ! … »

Dans les Cordières, on est toujours certain de trouver des lapins, surtout la nuit : Ils étaient là, sur le chemin, à batifoler entre eux, à courir, à « bavarder » … Je crois aussi qu’ils se tiennent sur le chemin, tout simplement pour se réchauffer le ventre sur les pierres de calcaire blanc que le rouleau compresseur a écrasées. Ils sont pris dans les faisceaux lumineux de mes phares. La lumière les aveugle … Où iraient-ils, puisqu’ils ne voient plus rien ? …

Oh ! Je sais bien qu’il y en a qui n’ont pas trop de scrupules ! … J’en connais un que les gendarmes ont pris : Ils avaient découvert dans le coffre de sa voiture … Une bonne dizaine de lapins … Il suffit de bien viser : Les prendre entre les roues pour ne pas les écrabouiller … En général, la tête est heurtée au passage du pont arrière … L’animal est tué net, mais il reste intact. Ils sont nombreux, ceux qui se livrent à ce genre de pratique illégale ! … Nous, on se contente de les regarder, les lapins … Et croyez-moi : Il y en a !

-       «  Papa … Papa ! On va sur la route des huîtres ? »


                                                      
                                                                  Maison traditionnelle à La Brée-Les-Bains


C’est parti pour la route des huîtres, le long de la côte, entre les Allards et Le Château … Là aussi, on est sûr de trouver des lapins en quantité … Parfois même un beau lièvre, avec ses oreilles toutes dressées. Lui aussi , il est statufié par la lumière … Si on voulait …

Une fois … Une seule fois, j’ai posé des collets, entre Plaisance et le Douhet … Dans les dunes … À cette époque, il n’y avait pas une seule maison, entre Plaisance et le Douhet … C’était le royaume des lapins ! … Les Bouyer le savaient bien, eux qui demeuraient là, juste à côté.

Triste aventure, mais on a tous, je crois, en nous l’instinct du braconnage … Au moins un petit peu … Triste aventure, parce que, lassé de m’être dérangé pour rien les deux jours suivants … ( j’avais trouvé mes pièges vides) … Lassé, je m’étais abstenu de faire la tournée le troisième jour … Le quatrième, j’ai bien trouvé un lapin : Il était pris dans l’anneau de fil de laiton … Pris depuis la veille … Mort étranglé en se débattant … Et parfaitement inconsommable : La chaleur avait fait son œuvre … Il était déjà en parfait état de décomposition et les mouches abondaient sur sa dépouille !

Je n’ai plus jamais posé de collets … Je désamorce ceux que je rencontre parfois dans mes promenades …

                                               

                              Cabine de bains - Plage de La Brée-Les-Bains.


Mais il n’y a plus guerre de lapins maintenant … La myxomatose les a décimés : Ô, les pauvres lapins aux yeux gonflés, fermés ! Les pauvres lapins de tous âges … Tassés sur eux-mêmes au bord des chemins … Prêts à mourir sans même bouger ! … Des hécatombes de lapins ! … Certains ont survécu … Assez peu d’entre eux  … À l’heure actuelle, leur nombre a tendance à s’accroître … Peut-être ont-ils développé des anticorps qui leur permettent de mieux lutter contre l’épidémie ? En tout cas … Honte à celui qui, pour débarrasser son jardin de ces petits animaux, leur a très intentionnellement inoculé la myxomatose !




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