vendredi 6 septembre 2013

L'HÉRITAGE ...





Toutes les illustrations sont issues de photos prises à La Brée-Les-Bains en Juillet 2013

                                                           





L’ HÉRITAGE



Mon grand-père, Léon Savatier est mort à l’âge de trente-deux ans, à Madagascar. Je ne l’ai donc pas connu et c’est tout juste si mon père l’a connu. Ma grand’mère paternelle s’appelait Suzanne. Rentrant en France avec son gamin, elle se rapprocha de sa propre famille, c’était normal.

La famille de ma grand’mère était issue  d’Oléron. Le patriarche, que je n’ai pas connu, avait été huissier de justice. Moi, j’ai connu et côtoyé toute la fratrie de ma grand’mère, soit huit frères et soeurs … Il y avait eu cinq garçons et quatre filles, mais l’un des garçons s’était noyé dans la Malconche … On raconte qu’il s’était noyé en portant secours à quelqu’un et que le courant l’avait fait dériver pendant un temps qui avait paru infini à ceux qui étaient restés sur la plage, vers Foulerot ou vers la Gauterelle.

Bref, j’ai connu, dans l’ordre ou à peu près :

L’aîné, qui avait été Administrateur des Colonies à Madagascar : L’allure et le comportement d’un notable, de façon évidente. Il ne s’est jamais marié , mais je sais que, vers la fin de sa vie, les médecins l’ont beaucoup vexé en lui enlevant la prostate …

Venait ensuite un  boucher–éleveur : Carrure d’un hussard à cheval, qu’il avait été dans sa jeunesse. Son épouse s’appelait Élise. Le boucher avait deux enfants :  L’un  deviendra ostréiculteur … Il était bon et courageux … Il a laissé des enfants qui demeurent encore à Sauzelle. Le second ? -  Mille métiers, mille misères ! Il y avait ensuite une fille, qui était un peu mongolienne mais qui était aimable et rendait des services.

Le troisième demeurait à Périgueux, je crois, et devait être contrôleur des poids et mesures, après avoir été officier … dans les spahis, si je ne me trompe.. Il avait épousé une authentique Princesse irlandaise. On le voyait de temps en temps en Oléron où il avait gardé une petite maison. Son épouse avait une fille. En regardant une photo, je me souviens qu’elle était très belle … Le « colonial » disait d’un air équivoque qu’elle avait « de grosses cuisses grasses » … Cela faisait rire, mais je trouve que cela ne correspondait pas à la réalité. Il y avait aussi parmi les jeunes de la seconde génération un garçon, artiste peintre dont j’ai conservé une œuvre de jeunesse … Il est devenu décorateur. Nous nous sommes perdus de vue.

 Je me souviens moins du suivant, probablement parce que je l’ai moins rencontré : Il gérait le camp militaire de la Courtine. C’était un personnage … Je pense qu’il n’a pas eu de descendance, mais je n’en suis pas très sûr ... Son épouse devait s’appeler Amélie.

Parmi les quatre filles, ma grand’mère, Suzanne, était l’aînée : Dignité et discrétion étaient ses qualités les plus remarquables. Elle ne se remaria jamais et vécut petitement à Rochefort, dans un appartement qui appartenait à mes parents … Pour aller chez elle, il fallait grimper un rude escalier au fond de notre cour !

 Sa soeur la plus proche : Fort caractère et femme dont l’activité commerciale était intense, très en avance sur son siècle. Elle avait épousé un Monsieur que je n’ai pas connu. Ils avaient eu un garçon : Il  émigra aux Etats-Unis où il fit souche, et Jacqueline, ma cousine préférée, très proche de ma grand’mère et de nous-mêmes. En fait, ce n’est pas ma cousine, mais celle de mon père. Elle a dix ans de plus que moi et nous trimbalait dans les jardins de Rochefort. Elle est toujours en vie, Dieu merci ... Très croyante, elle a fait beaucoup de bien autour d’elle, sa vie durant.  Jacqueline et son frère ont des descendants que je côtoie encore occasionnellement.

Jeanne, que j’aimais beaucoup avait épousé un tapissier d’ Aubusson, meilleur ouvrier de France. J’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui ont été jugés dignes de la médaille récompensant les « meilleurs ouvriers de France ». Après la mort de son mari, Jeanne est venue vivre à Rochefort, petitement, en faisant des travaux de couture à domicile. Elle n’avait pas d’enfants.

Laure, enfin, la plus jeune, deux fois mariée …  Commerçante avisée et débrouillarde en cet après-guerre ! Je l’ai connue antiquaire à Rochefort. Elle avait un fils, que j’ai connu marchand ambulant : Il vendait de la quincaillerie sur les marchés et sur les foires. Il a ensuite ouvert un magasin à Rochefort : Il y vendait des réfrigérateurs et des cuisinières. Ses affaires ne lui ont, semble-t-il pas très bien réussi. Je le retrouverai, après la mort de sa mère, dans le magasin d’Antiquités, en face du groupe scolaire Émile Zola. Il a eu une descendance dont j’ai perdu la trace.


                                                   


Rien que du côté de ma grand’mère, cela faisait une sacrée famille, quand nous nous réunissions dans les bois de Foulerot, à la Malentreprise. Nous y avons fêté Pâques, une année … L’aîné de mes oncles avait caché des œufs sous les buissons … Nos réunions étaient joyeuses. Il avait fait construire un pavillon près duquel nous préparions une églade de moules et des braises pour rôtir les anguilles. Il y avait une pompe à proximité, ce qui permettait de mettre les bouteilles de vin blanc à rafraîchir en attendant de les vider … Du vin blanc de l’Ïle, clair, frais, légèrement perlant … Il avait un goût prononcé de pierre à briquet … Je peux vous l’affirmer car j’y goûtais toujours un peu en cachette !


Une famille très unie, donc, et heureuse de se retrouver, de raconter ses aventures et ses potins.

                                                    


Bon … Celui que j’aimais le plus, c’était l’aîné … D’abord il est toujours resté très proche de sa sœur Suzanne, ensuite de mon père, auquel il a dû servir un peu de tuteur … Nous allions souvent chez lui, à bicyclette, venant de Rochefort lorsque mon père y était affecté. Mon père, Lucien était Officier de Marine, dans l’aéronavale … Ce dont j’étais très fier.

Comme mes parents n’étaient pas très riches, je crois bien que l’ancien Administrateur a contribué quelque peu au financement de mes études, au moins en termes d’avances. Il avait l’air bourru et impressionnait toujours. Jacqueline me dit qu’elle « en avait la trouille » …

Après avoir terminé sa carrière d’Administrateur des colonies, mon oncle était revenu vivre à Saint-Georges, dans la maison de ses parents. Il avait été ensuite maire de sa commune, puis Juge de Paix du Canton de Saint-Pierre. Il avait tout à fait l’air d’un notable et, dans cet après-guerre dont je me souviens bien, il avait deux voitures … Il devait bien être le seul Oléronnais à posséder deux voitures, toutes deux des Peugeot : l’une verte, décapotable, pour se déplacer dans l’île, l’autre grise, décapotable également, mais un peu plus sophistiquée … Celle là, il la réservait à ses déplacements sur le « continent » … Il l’utilisait lorsqu’il allait faire ses cures à Vichy … Il y faisait une cure tous les ans … Ah ! Ces coloniaux !

Cet oncle a tenu une grande place dans mon existence. Il avait un filet, une senne que nous traînions sur les bancs de sable de Plaisance … Souvenirs enivrés ! Comme il était très bon bricoleur, son frère  lui avait confié pendant la guerre un flotteur d’hydravion, trouvé je ne sais où … L’oncle  en avait fait un superbe canoë dont il nous confia l’étrenne dans le canal du Douhet … Il avait aussi fabriqué des pagaies doubles : Mon Dieu qu’elles étaient lourdes !
Le carrelet que j’utilisais était également de sa fabrication : Je le transportais tout au long du canal du Douhet, ou bien sur la pointe de l’épi de la Tourelle … J’en passé des heures et des heures, parmi les fenouils et les prunelliers ! J’en ai pris, des anguilles et des « moines », autrement dit des éperlans, tout brillants d’argent dans la poche du filet !
J’ai dit par ailleurs que mon oncle de Saint Georges  construisait et entretenait des ruches … Il ne sucrait jamais son café avec autre chose que le miel de ses abeilles. J’ai aussi dit les parties de cartes quotidiennes, avec, en face lui, celui qu’on appelait « Compagnon » et qui était effectivement un ancien compagnon du Tour de France … Qui étaient les deux autres partenaires ? … Il ne m’en souvient plus .. Ah ! Si, bien sûr : Il y avait Pierre Perroteau, dit le « Gros Pierre » ..  Par contre, le quatrième, je ne sais plus … À bien y réfléchir, ce devait être le commandant Giroin, l’un des derniers cap-horniers … Je l’ai connu … Sur sa tombe, dans le cimetière de saint Georges, il y a un albatros en céramique blanche …

                                                   


Ah ! J’aurais voulu raconter, raconter encore, dire … Mon oncle est mort le jour où j’ai passé mon baccalauréat, en 1952. Mes parents ne me l’ont pas dit, pour ne pas me déstabiliser en ces moments importants de ma scolarité. J’étais loin, très loin d’Oléron, surveillant au pair dans le collège de Bellac, en Limousin.



Lorsque j’appris ce décès, il me sembla que le ciel s’écroulait …
L’histoire commençait ! … L’histoire de l’héritage de l’oncle  … Elle devait durer vingt-cinq ans … Vingt-cinq ans de rivalités, de commérages, de petits et de gros mensonges, d’intimidations, de non-dit et de « trop dit » … Vingt-cinq ans de procédures juridiques et de chicane … Une famille que l’on aurait cru si unie !



C’était pourtant bien simple, apparemment : Mon oncle  avait laissé un testament dans lequel il écrivait : - « Je laisse tout, absolument tout, à mon neveu ... » C’était clair … Qu’est-ce qu’il y avait à contester ?

Il paraît qu’il y eut un cousin qui monta sur le toit pour chercher sous les tuiles afin de vérifier si un second testament n’y était pas caché …

Je crois aussi que mon père, qui n’avait en lui aucune agressivité, ne fit pas grand chose pour se défendre … Je crois que les hommes de loi ont beaucoup laissé traîner … Bref : Vingt-cinq ans !

Nous, adolescents, nous étions tenus à l’écart de tout cela et nous ne comprenions guère se qui se passait .. ;

Il semblait qu’il ne se passait rien ! Mon père avait quitté la marine. Il était allé ensuite travailler dans le Limousin, comme ingénieur à la mine de Puy-les-Vignes : Mine de wolfram … Vous savez ce que c’est, vous, que le wolfram ? … Il paraît que c’est un métal dont on se servait pour fabriquer les ampoules électriques. Nous habitions à Saint-Léonard, petit bourg médiéval où nous connûmes nos premières amours …

Puis notre père a été malade et il a dû quitter son emploi. Il en a trouvé un autre, comme ingénieur aux « Bois Déroulés », à Rochefort. C’était un établissement où l’on fabriquait du contre-plaqué à partir de bois coloniaux. Nous habitions dans la rue Grimaux. J’étais maître d’internat au lycée, autrement dit j’étais « pion », une fois de plus.

La santé de notre père ne s’arrangeait pas beaucoup et son travail ne semblait pas lui donner l’épanouissement nécessaire. Il prit sa retraite et annonça sa décision de s’installer dans l’île d’Oléron, à Saint Georges, dans la maison que lui avait léguée son oncle.

Ah bien oui ! … L’une des tantes avait ameuté ses frères et sœurs. Ensemble, ils contestaient le testament de l’oncle. Les scellés avaient été posés par un huissier de justice sur toutes les portes de la maison …

Qu’est-ce à dire ? … Eh bien … Je l’appris à cette occasion, mais je l’appris sans qu’on me le dise, sans qu’on m’explique les choses … En écoutant, en devinant … (Ces choses là, on n’en parle pas devant les « enfants ») … Mon oncle  habitait dans ce qui avait été, en fait, la maison de ses parents, des parents de toute la tribu. On ne lui contestait pas ce droit : La maison était bien à lui. Comment l’était-elle devenue ? - Je l’ignore, mais c’était un fait établi … Mais dans la maison, il y avait un buffet, le « buffet de famille » et dans le buffet, il y avait, paraît-il … des louis d’or ! Combien y en avait-il ? – C’est ce que je ne saurai jamais … Pas des quantités d’après ce que je peux en juger .. .

- « Ces louis d’or n’appartenaient pas à lui … Ils étaient la propriété de nos parents ! » - Allez donc vérifier !

                                                         



Et puis … Et puis, si la maison appartenait bien au défunt, le garage qui était au bout de la rue, celui dans lequel il rangeait sa voiture verte … Ce garage et la petite cour qui le jouxtait … Ce n’était pas à lui … C’était une propriété de « nos parents ». L’autre garage, lui appartenait bien  … Il n’y avait pas de contestation à ce sujet, mais  « l’Américain », qui était venu à l’enterrement de l’oncle, avait emprunté la voiture grise, la « belle voiture » pour  repartir à Rochefort et y prendre le train . Il avait laissé la voiture au garage Peugeot, chez « Perronnet » … Et elle y est restée pendant plus de vingt ans !… Jusqu’à ce que le garagiste, excédé, obtienne l’autorisation de s’en débarrasser ! … Fit-il payer les droits de gardiennage ? - C’est ce que j’ignore … Mon père ne disait rien, laissait faire les avoués, les avocats, les notaires … Et l’une des tantes, secondée par une de ses soeurs et son fils 

Et puis … Le pavillon que le disparu avait fait construire dans la forêt de la Malentreprise , celui auprès duquel la famille se réunissait pour faire griller des anguilles … La « Cabane », quoi ! …

- « Ce pavillon avait été construit sur un terrain qui appartenait à « nos parents » ! Il était bien propriétaire de tout le reste du terrain, mais pas du rectangle de vingt mètres sur dix sur lequel la « Cabane » était construite » !

La tante n’en dormait plus, m’a-t-on dit. Le cousin  n’en dormait pas non plus. Une sourde agitation se faisait sentir … C’est dommage, je pensais … Parce que je les aimais bien, au fond, tous ces oncles, toutes ces tantes, et les cousins et les cousines … J’avais eu longtemps l’habitude d’aller, chacun à son tour, leur souhaiter la bonne année, tous les ans. Mais les relations n’étaient plus les mêmes … Les grandes embrassades, c’était fini, et les grosses rigolades aussi … Ma grand’mère restait muette sur tout cela, mais je savais qu’elle était la seule à soutenir mes parents.

Alors voilà : Un jour, j’appris que mes parents quittaient Rochefort :
Ils avaient vendu leur maison et ils allaient demeurer à Saint Georges, dans l’île d’Oléron … « Le Tribunal » … Je ne savais pas de quel tribunal il s’agissait mais j’entendrai souvent parler du « Tribunal » ... Le « Tribunal » avait ordonné la levée des scellés et la mise à disposition de mes parents de la maison de l’oncle. Sans doute, mais l’on ne me dit rien là dessus, sans doute les louis d’or avaient-ils été mis sous séquestre …

Un beau matin … Les matins sont toujours beaux, n’est-ce pas ? – Un beau matin,  un oncle arrive avec sa charrette. Il vient chercher le canoë, le beau canoë que son frère avait fignolé à partir d’un flotteur d’hydravion :

« Tu comprends … C’est moi qui ai fourni le flotteur … J’ai deux fils … C’est pour aller à la chasse aux canards dans les marais … »

                                                    



Il est parti, le superbe canoë … Celui que l’oncle  nous avait fait essayer dans le canal du Douhet … Nous l’avions mis à l’eau à la « cabane des douaniers » … Là où la route de Plaisance fait un virage presque à angle droit … Comme il était beau, notre canoë ! … Car il était à nous, n’est-ce pas ? … Comme la menuiserie était parfaite, comme l’accastillage brillait, comme les pagaies, bien que lourdes, étaient tout de même fières ! Eh bien voilà … Le canoë était parti … Nous ne le reverrions jamais … Il paraît qu’il fut laissé à pourrir, sur un coin de vasière, quelque part dans les marais  … Quelqu’un me dit un jour qu’un canoë comme cela, ce n’était pas pratique du tout pour la chasse aux canards …


-               « Je laisse tout, absolument tout à mon neveu » …

Je pense que c’est pour nous consoler un peu que Alphonse Blanchard, des Boulassiers, nous fit cadeau d’une périssoire … Avec laquelle nous n’avons pas péri … Mais c’est bien grâce à la Providence !
-               « Nous passons ici-bas comme une ombre légère
       Nous marchons à grands pas
       Vers notre heure dernière. »

C’est écrit sous le cadran solaire, sur le mur de l’église de Saint Georges et c’est signé « Abbé Chaumeil » … Le temps passe et nous passons … Le temps, le temps … Il y a des mois et des mois, des années et des années, des lustres et des lustres : Le temps passe et rien ne bouge à propos de cet héritage ... Rien … Tout juste nous apercevons de temps en temps, dépassant de la boîte à lettre, une enveloppe à en-tête, : Je sais que c’est un homme de loi qui réclame ses honoraires et « les provisions » …

Les avoués n’existent plus : C’est une profession qui a été supprimée. Mon père était représenté par un avoué … Heureusement, c’était un avoué plaidant : Il a changé de titre, mais tout continue comme avant … Simplement, maintenant, il est avocat au lieu d’être avoué. Cela continue comme avant, c’est à dire qu’il ne se passe rien !

-               «  C’est quand même dommage, de ne pas pouvoir aller chercher la voiture grise à Rochefort … Et c’est dommage de ne pas pouvoir se servir de la verte qui est là, dans son garage, juste à côté ! »

Mon père avait acheté une traction avant Citroën d’occasion, quand il travaillait aux « Bois Déroulés » … Il s’en sert encore … Jusqu’au jour où il devra s’en débarrasser : Il était parti, un beau matin, au volant de sa voiture … Il est revenu vers midi, avec … Une paire de draps usagés contre lesquels il avait troqué la traction.

De temps à autre, le cousin qui habite à Rochefort et que l’on n’avait pas vu dans l’île depuis très longtemps, vient à « La Cabane », dans la forêt de la Malentreprise. Il a demandé une clef, et il vient ostensiblement pique niquer avec sa famille, parfois avec des amis … Juste pour proclamer ses « droits ». Mes parents ne disent rien : Ils patientent. Les jours où ils s’aperçoivent que la place est occupée, ils repartent sans rien dire .

«  Tiens, la cabane est occupée », dit-on dans le voisinage.
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Nous n’avons plus de nouvelles de la tante qui mène l’affaire.  Nous savons seulement qu’elle actionne encore les hommes de loi et qu’elle asticote ses frères et sœurs … Mais tout se passe en silence et … Le temps passe : Les deux voitures rouillent lentement, les bâtiments sont inutilisés, tout au moins en ce qui  ne relève pas directement de la maison d’habitation, que nos parents occupent depuis qu’ils ont obtenu la levée des scellés…

« Les voitures … Elles commencent à devenir des antiquités. Elles prennent peut-être de la valeur ! »

Les louis d’or dorment sous séquestre, la maison qui est à l’autre bout de la rue, celle au rez de chaussées de laquelle dort « la  verte » est inoccupée … tout juste, à la saison, j’ai le droit d’y aller ramasser les figues mûres et les poires, les petites poires qui mûrissent à la saint Jean … Ah ! si … Au premier étage, j’ai installé mon pigeonnier : Deux couples de pigeons Carneau et un couple de lynx de Pologne que j’ai achetés par l’intermédiaire des petites annonces du « Chasseur Français ».

                                          



Et  puis, tout d’un coup, cela se débloque, comme la détente d’un ressort. Allez donc savoir pourquoi ! La maison du coin de la rue est mise en vente … Le produit de la vente doit être partagé entre tous les ayant-droit, ceci incluant mon père, bien sûr, en tant qu’héritier de  « l’Administrateur des Colonies en retraite  de son vivant. »


On va vendre la maison qui est au coin de la rue, son jardin et son garage … On va vendre le terrain de la Malentreprise sur lequel est construite « La Cabane » !

On va les vendre à l’office notarial de Saint Pierre d’Oléron. Ce sera une vente « à la bougie ».
Vous savez ce que c’est, vous … une vente « à la bougie » ? – Je me renseigne … C’est une procédure qui semble un peu bizarre, un peu médiévale … C’est une vente aux enchères, bien sûr … Et le Notaire fait office de commissaire-priseur … Mais les enchérisseurs n’ont pas le droit de se manifester eux-mêmes : Je ne sais pourquoi, mais ils ne peuvent porter une enchère que par l’intermédiaire d’un avocat qui les représente … Eux, ils ont juste le droit de se taire … Alors ils chuchotent ou font des signaux discrets pour faire intervenir leur représentant ou lui faire comprendre qu’il faut s’abstenir, que l’on n’est plus enchérisseur … Il est des choses bien compliquées en ce monde, et particulièrement en ce monde des hommes de loi … La loi divine peut paraître compliquée parfois, et j’ai eu bien du mal à comprendre le mystère de la Sainte Trinité … Mais alors, là ! … Je n’y comprendrai jamais rien ! Je doute que, vous-mêmes puissiez comprendre, et pourtant, vous jouissez bien de toutes vos facultés …

¨Pour assaisonner les choses, pour ajouter un air d’obscure cérémonie de magie noire, le notaire allume une bougie … Oh ! un petit lumignon ! … Tant que la bougie brûle, les enchères peuvent se manifester … Quand elle s’éteint, la vente est conclue, irrémédiablement .

Irrémédiablement … C’était ce que je croyais. Je me trompais : La bougie est éteinte, les avocats se taisent, le notaire rassemble ses documents : La maison est vendue à quelqu’un … Un architecte qui veut en faire sa résidence secondaire.

« La Cabane » m’est échue, mais j’agissais en tant que mandataire de l’un de mes frères … Elle resterait dans la famille, c’était certain !

Eh bien, non, ce n’était pas certain ! … N’importe qui, m’apprit-on, pouvait porter une surenchère s’il agissait dans les huit jours. Je ne comprenais pas très bien comment quelqu’un qui ne s’était pas dérangé pour la vente pouvait présenter une surenchère … Mais c’est ainsi !

Le cousin de Rochefort trouvait, et sa mère aussi, très probablement, que les enchères n’étaient pas montées assez haut et qu’il serait anormal que nous entrions en possession pour une somme qu’ils ne jugeaient pas assez conséquente. Ce cousin, qui ne dispose pas, personnellement, d’une trésorerie suffisante, bat le rappel de ses amis et en trouve un, complètement étranger à l’histoire, qui porte la surenchère …

Il faut recommencer tout le cirque … Nous revoilà dans l’antre feutré du sorcier, revoilà les avocats … Et la bougie ! Je représente mon frère, à nouveau … Il n’y a pas grand monde autour de la table. La bougie est allumée à la flamme du briquet du notaire … Il a du mal à enflammer la mèche : Le briquet est récalcitrant. Chuchotements, regards inquisiteurs et suspicieux, narquois parfois … Regards en dessous … Regards furtifs. Les prêtres de cette étrange liturgie sont à l’œuvre … Signes discrets d’un coup de menton, d’un doigt à peine levé … Les enchères se limitent aux miennes : L’ami du cousin n’a pas l’intention de miser plus que cela. La flamme de la bougie vacille, faiblit, se couche, s’éteint : Au nom de mon frère, je me vois attribuer la propriété de « La Cabane » … À un prix double de celui pour lequel l’affaire avait été conclue au moment où la bougie s’était éteinte, la première fois … Mais nous sommes quatre frères et sœur et trois d’entre nous abandonneront leurs parts dans la répartition des revenus de la vente : L’affaire ne pouvait nous échapper …

Au total, vingt-cinq ans se seront écoulés … Des tantes, des oncles, de cousins ne s’adresseront plus la parole qu’en regardant de côté.  Un canoë aura pourri dans la vase. Une voiture grise aura rouillé dans le fond d’un garage, à Rochefort. Une voiture verte aura rouillé dans un chai à Saint Georges … Elle sera emporté par un ferrailleur… Nos parents auront attendu plusieurs années pour entrer en possession de leur maison dont la porte était scellée. Une maison aura été vendue. Nous aurons dû racheter « La Cabane » à laquelle nous tenions tant.

Ah ! J’oubliais ! … Les louis d’or ! … Ils ont été partagés entre les héritiers … Je ne comprends toujours pas pourquoi, mais mes parents auront sans doute jugé que c’était là le prix de leur tranquillité … Tranquillité ? – Ah bien ouiche ! Lorsque ma mère voulut me montrer ce qui lui en restait, elle monta dans sa chambre pour fouiller dans ses tiroirs et en redescendit avec un petit tube en cuivre de trois centimètres de long … Elle ôta le couvercle … Le tube était vide ! … Nous ne saurons jamais qui l’a vidé ! … Ce sont des histoires dont on ne parle pas, dans les familles !

Pauvre Tonton … Si tu savais ! …

« Je laisse tout, absolument tout à mon neveu … »

                            



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