mercredi 23 juillet 2014

BOIRE UN P'TIT PINEAU !












Le Pineau des Charentes


Dans notre île, Monsieur, il y avait de la vigne partout, des rangées de vignes tirées au cordeau … Il y a toujours eu de la vigne en Oléron, depuis la nuit des temps … Les archives des Prieurés nous le confirment et les gros bateaux venaient charger le vin pour l’acheminer jusqu’aux p ays du Nord !

On avait eu bien peur que le phyloxéra ne détruise tous les ceps et, déjà, les grands propriétaires avaient vendu. C’était au dix-neuvième siècle, c’est à dire il n’y a pas très longtemps … Heureusement, les viticulteurs ont trouvé la parade et notre île a repris son aspect.

Maintenant, bien sûr, les surfaces des vignes ont diminué … Les jachères sont nombreuses … Mais le vin que nous produisons a gagné en qualité.

Il faut vous imaginer que, jusqu’à la deuxième guerre mondiale, là où vous voyez maintenant des bois et des taillis … Il y avait partout des vignes ! Je sais des endroits, jusque dans les dunes de sable, où, lorsque j’étais enfant, j’allais grapiller les raisins !

Mais ce n’est pas tellement du vin que je voulais vous parler aujourd’hui … Je voulais vous parler du pineau !

La légende, en Charente, raconte qu’un vigneron, un jour, découvrit au fond de son chai une barrique qu’il avait oubliée … Une barrique dans laquelle il aurait mis du moût sans s’apercevoir qu’elle contenait déjà un fond d’eau-de-vie, ( Le « bouilleur de cru passait en hiver et distillait à la propriété …)

Il goûta : Et appela son voisin qui passait par là : « Eh, Julot, viens goûter ! »

Mais je m’aperçois que je m’embrouille un peu … Il faut que je reprenne le fil de mon histoire …



Jusqu’à la fin de la guerre … disons jusque dans les années cinquante, il n’y avait pas de coopératives vinicole dans l’île d’Oléron … Chacun faisait son vin dans son chai … Vous voyez, dans tous nos villages, ces portes à deux battants … La plupart du temps, maintenant, c’est là que l’on remise la voiture et les instruments de pêche : Corbeilles, espiot’, filets … Mais lorsque la patronne vous dit : -« Va donc porter ce cageot dans le chai. » … C’est bien du chai que l’on parle : Là était le pressoir avec son « ouillette » … Là s’alignaient les barriques et les fûts. C’était là que l’on faisait « la treuillée » par les soirs de vendanges … La « treuillée » ? Ben, vous avez compris : Le « treuil », c’est le pressoir avec sa vis … Et le moût coulait clair tandis que l’on tournait le « bras » pour  serrer plus fort. Une pompe trempait dans l’ « ouillette » pour transvaser le jus de raisin dans la cuve …

Tout le pays sentait la fermentation ! Le moût « bouillait » !

-      « Il a fait beau tout l’été et encore en septembre : Le moût est fort en sucre : Le vin sera bon cette année ! »

Le vent d’automne emportait les effluves de la fermentation jusque par-dessus la mer et jusqu’aux rivages du continent, en face ! Nous, on était tellement habitué, Monsieur, qu’on ne le sentait même plus : Les vêtements étaient imprégnés de cette odeur ... Elle nous accompagnait jusque dans nos lits … Dame, on avait beau se savonner au-dessus d’un seau, près du puits …!

Il n’y avait que le père Trépeau qui y échappait : Le forgeron était habitué à l’odeur de son foyer et celle-là, elle parvenait à recouvrir l’odeur  de la fermentation.



-      « Eh ! Ernest ! Viens donc goûter : Ce sera du bon, cette année ! »

Ernest entrait, il posait son vélo contre la porte et il entrait …

-      «  Hum ! Du bon, tu l’as dit … Le « bourru » picote encore un peu, mais attends un peu … Il sera bon ! » Et Ernest en buvait un second ?
-      -« Un autre ? »
-      - «  Eh bien, comme tu voudras … » Et d’ailleurs, comment aurait-il fait pour y échapper ? – Le verre qu’il tenait en main, comme tous les verres qu’on trouvait dans les chais, tous les chais … Le verre était un verre à pied … Mais avec le pied cassé : On ne pouvait pas s’en débarrasser en le posant quelque part, il fallait bien le garder à la main … C’était comme ça dans tous les chais, et on ne disait rien … On savait bien que le pied avait été cassé intentionnellement, mais on ne disait rien …
-      -« Allez, le dernier ! »


-      «  Et puis, le pineau de l’année dernière … Je ne te dis que ça ! »
-      « Ah ! Non ! Il faut que je m’en aille : La Fernande m’a demandé d’aller lui chercher une corde d’oignons … Tu sais comment elle est, la Fernande ! »
-      « Allons ! Rien qu’un, et c’est le meilleur! »


Et puis, après le « bourru », le pineau de l’année dernière, celui d’avant …

 - «  Et puis j’en ai gardé un peu de l’année précédente… »
 -  «  Ah ! Celui-là … Il est fameux ! »

C’était la vie … La vie comme cela, dans tous nos villages … On repartait bien un peu « pompette » de temps en temps, mais ce n’était pas bien grave … Et puis :

-« Tu m’as eu … Je t’aurai ! »

… Avec le pineau, ça va vite et on ne manque jamais son coup : Pensez donc : Dix huit degrés, pas moins ! Et puis ce goût de noisette, cette douceur de miel … Surtout que, dans le chai, le pineau se gardait bien frais … Une liqueur à faire damner le Petit Jésus !

Tiens, l’autre jour, c’est Monsieur le Curé qui passait. Il revenait, c’était un samedi … Il revenait de son église où il avait confessé les pénitentes …

-      « Monsieur le Curé ! … Entrez donc vous rafraîchir ! »


Alors, Monsieur, c’est-il pas une misère, maintenant : Quand on veut offrir le pineau à quelqu’un, il faut déboucher une bouteille qu’on a achetée au supermarché … Et d’où cela vient-il, ce pineau ?...
 Il n’y a plus personne qui passe et que l’on puisse inviter à boire un coup : Tout au long de l’année on ne voit passer personne dans la rue … Ah si ! … Une bagnole de temps en temps … Et l’été, on ne peut plus sortir de chez soi : Les touristes, ils passent tous enfermés dans leurs voitures !

Il n’y a plus de pressoirs, plus d’ « ouillette », plus de barriques, plus de passants !

Il faut entrer dans la cuisine pour recevoir ses amis … Et dans la cuisine …. Il n’y a que des verres dont le pied est intact … On les pose sur la table … Et dans la cuisine, la Fernande est là, qui vous surveille !

Le « bouilleur de cru » ne passe plus et, d’ailleurs, c’est la coopérative qui presse le vin et qui le met en barriques … Quand elle le met en barriques ! L’air ne sent plus la fermentation … Si … Il la sent, mais c’est d’une autre fermentation qu’il s’agit : Celle des algues vertes qui pourrissent sur les plages … Et je préférais l’autre pour ma part !
  
  - «  Allez … Entrez donc pour prendre un petit pineau ! Il n’est pas mauvais, malgré tout !









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