Le Pineau des Charentes
Dans notre île,
Monsieur, il y avait de la vigne partout, des rangées de vignes tirées au
cordeau … Il y a toujours eu de la vigne en Oléron, depuis la nuit des temps …
Les archives des Prieurés nous le confirment et les gros bateaux venaient
charger le vin pour l’acheminer jusqu’aux p ays
du Nord !
On avait eu bien
peur que le phyloxéra ne détruise tous les ceps et, déjà, les grands
propriétaires avaient vendu. C’était au dix-neuvième siècle, c’est à dire il
n’y a pas très longtemps … Heureusement, les viticulteurs ont trouvé la parade
et notre île a repris son aspect.
Maintenant, bien
sûr, les surfaces des vignes ont diminué … Les jachères sont nombreuses … Mais
le vin que nous produisons a gagné en qualité.
Il faut vous
imaginer que, jusqu’à la deuxième guerre mondiale, là où vous voyez maintenant
des bois et des taillis … Il y avait partout des vignes ! Je sais des
endroits, jusque dans les dunes de sable, où, lorsque j’étais enfant, j’allais
grapiller les raisins !
Mais ce n’est
pas tellement du vin que je voulais vous parler aujourd’hui … Je voulais vous
parler du pineau !
La légende, en
Charente, raconte qu’un vigneron, un jour, découvrit au fond de son chai une
barrique qu’il avait oubliée … Une barrique dans laquelle il aurait mis du moût
sans s’apercevoir qu’elle contenait déjà un fond d’eau-de-vie, ( Le
« bouilleur de cru passait en hiver et distillait à la propriété …)
Il goûta :
Et appela son voisin qui passait par là : « Eh, Julot, viens
goûter ! »
Mais je
m’aperçois que je m’embrouille un peu … Il faut que je reprenne le fil de mon
histoire …
Jusqu’à la fin
de la guerre … disons jusque dans les années cinquante, il n’y avait pas de
coopératives vinicole dans l’île d’Oléron … Chacun faisait son vin dans son
chai … Vous voyez, dans tous nos villages, ces portes à deux battants … La
plupart du temps, maintenant, c’est là que l’on remise la voiture et les
instruments de pêche : Corbeilles, espiot’, filets … Mais lorsque la
patronne vous dit : -« Va donc porter ce cageot dans le
chai. » … C’est bien du chai que l’on parle : Là était le
pressoir avec son « ouillette » … Là s’alignaient les barriques et
les fûts. C’était là que l’on faisait « la treuillée » par les soirs
de vendanges … La « treuillée » ? Ben, vous avez
compris : Le « treuil », c’est le pressoir avec sa vis … Et le
moût coulait clair tandis que l’on tournait le « bras » pour serrer plus fort. Une pompe trempait dans
l’ « ouillette » pour transvaser le jus de raisin dans la cuve …
Tout le pays
sentait la fermentation ! Le moût « bouillait » !
-
« Il a fait beau
tout l’été et encore en septembre : Le moût est fort en sucre : Le
vin sera bon cette année ! »
Le vent
d’automne emportait les effluves de la fermentation jusque par-dessus la mer et
jusqu’aux rivages du continent, en face ! Nous, on était tellement
habitué, Monsieur, qu’on ne le sentait même plus : Les vêtements étaient
imprégnés de cette odeur ... Elle nous accompagnait jusque dans nos lits …
Dame, on avait beau se savonner au-dessus d’un seau, près du puits …!
Il n’y avait que
le père Trépeau qui y échappait : Le forgeron était habitué à l’odeur de
son foyer et celle-là, elle parvenait à recouvrir l’odeur de la fermentation.
-
« Eh !
Ernest ! Viens donc goûter : Ce sera du bon, cette
année ! »
Ernest entrait,
il posait son vélo contre la porte et il entrait …
-
« Hum ! Du
bon, tu l’as dit … Le « bourru » picote encore un peu, mais attends
un peu … Il sera bon ! » Et Ernest en buvait un second ?
-
-« Un
autre ? »
-
- « Eh bien, comme
tu voudras … » Et d’ailleurs, comment aurait-il fait pour y
échapper ? – Le verre qu’il tenait en main, comme tous les verres qu’on
trouvait dans les chais, tous les chais … Le verre était un verre à pied … Mais
avec le pied cassé : On ne pouvait pas s’en débarrasser en le posant
quelque part, il fallait bien le garder à la main … C’était comme ça dans tous
les chais, et on ne disait rien … On savait bien que le pied avait été cassé
intentionnellement, mais on ne disait rien …
-
-« Allez, le
dernier ! »
-
« Et puis, le
pineau de l’année dernière … Je ne te dis que ça ! »
-
« Ah !
Non ! Il faut que je m’en aille : La Fernande m’a demandé d’aller lui
chercher une corde d’oignons … Tu sais comment elle est, la
Fernande ! »
-
« Allons !
Rien qu’un, et c’est le meilleur! »
Et puis, après
le « bourru », le pineau de l’année dernière, celui d’avant …
- «
Et puis j’en ai gardé un peu de l’année précédente… »
- « Ah ! Celui-là … Il est
fameux ! »
C’était la vie …
La vie comme cela, dans tous nos villages … On repartait bien un peu
« pompette » de temps en temps, mais ce n’était pas bien grave … Et
puis :
-« Tu m’as eu … Je t’aurai ! »
… Avec le
pineau, ça va vite et on ne manque jamais son coup : Pensez donc :
Dix huit degrés, pas moins ! Et puis ce goût de noisette, cette douceur de
miel … Surtout que, dans le chai, le pineau se gardait bien frais … Une liqueur
à faire damner le Petit Jésus !
Tiens, l’autre
jour, c’est Monsieur le Curé qui passait. Il revenait, c’était un samedi … Il
revenait de son église où il avait confessé les pénitentes …
-
« Monsieur le
Curé ! … Entrez donc vous rafraîchir ! »
Alors, Monsieur,
c’est-il pas une misère, maintenant : Quand on veut offrir le pineau à
quelqu’un, il faut déboucher une bouteille qu’on a achetée au supermarché … Et
d’où cela vient-il, ce pineau ?...
Il n’y a
plus personne qui passe et que l’on puisse inviter à boire un coup : Tout
au long de l’année on ne voit passer personne dans la rue … Ah si ! … Une
bagnole de temps en temps … Et l’été, on ne peut plus sortir de chez soi :
Les touristes, ils passent tous enfermés dans leurs voitures !
Il n’y a plus de
pressoirs, plus d’ « ouillette », plus de barriques, plus de passants !
Il faut entrer
dans la cuisine pour recevoir ses amis … Et dans la cuisine …. Il n’y a que des
verres dont le pied est intact … On les pose sur la table … Et dans la cuisine,
la Fernande est là, qui vous surveille !
Le
« bouilleur de cru » ne passe plus et, d’ailleurs, c’est la
coopérative qui presse le vin et qui le met en barriques … Quand elle le met en
barriques ! L’air ne sent plus la fermentation … Si … Il la sent, mais
c’est d’une autre fermentation qu’il s’agit : Celle des algues vertes qui
pourrissent sur les plages … Et je préférais l’autre pour ma part !
-
« Allez … Entrez donc pour prendre un petit pineau ! Il n’est pas
mauvais, malgré tout !
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